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Acadie (littérature d')

Acadie (littérature d'). L’Acadie désigne la population d’expression française des provinces maritimes du Canada (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ile du Prince-Édouard), qui est en majorité formée de descendants des premiers colons français en Amérique du Nord. Dans une des péripéties de la guerre coloniale entre la France et l’Angleterre, ils furent déportés entre 1755 et 1763 vers les colonies américaines et même vers l’Europe : cette déportation marque fortement la conscience acadienne. Nombre d’entre eux réussirent à s’échapper ou à regagner leur terre d’origine, où ils sont aujourd’hui plus de 300 000 et constituent au Nouveau-Brunswick le tiers de la population. Vivant dans des provinces majoritairement anglophones, les Acadiens ne forment pas une entité politique et n’ont pas de gouvernement propre, mais ils ont pu se doter d’institutions éducatives et culturelles, et d’une protection juridique qui leur permet de vivre en Français, en particulier au Nouveau-Brunswick.
Première moitié du siècle. Même si Marguerite Maillet a pu, dans son Histoire de la littérature acadienne (1983), faire remonter les origines françaises de cette littérature au début du XVIIe siècle, avec la publication des œuvres historiques et poétiques de l’explorateur français Marc Lescarbot, il faut attendre le milieu du xxe siècle pour voir naître, en Acadie, une littérature qui ne soit plus dominée par des genres non spécifiquement littéraires (relations de voyages, histoire, discours, traités de linguistique ou d’ethnologie). Parmi ces auteurs, membres du clergé pour la très grande majorité, qui publient pendant la première moitié du XXe siècle des livres d’histoire régionale et des recueils de traditions populaires, de contes et de légendes, il convient de citer Pascal Poirier, homme politique et membre du Sénat canadien. Auteur polyvalent, il s’est essayé à tous les genres, mais sa contribution la plus importante porte sur l’histoire et la langue acadiennes. Il publie en 1928 Le Parler franco-acadien et ses origines, tentative de réhabilitation de la langue acadienne par la mise en évidence de ses liens avec le français de France. Son œuvre principale reste le Glossaire acadien, publié en feuilleton dans un journal, L’Evangéline, de 1927 à 1932 (rééd. 1993). Quelques ouvrages appartenant aux grands genres littéraires commencent aussi à voir le jour. La déportation occupe une grande place dans ces romans et pièces de théâtre d’inspiration historique, patriotique, qui défendent la terre, la langue, la foi. Des journaux publient occasionnellement des poèmes, depuis le début du siècle. Un premier recueil paraît en 1948. Les premiers poètes acadiens, religieux et patriotiques, s’inspirent, pour la forme, de modèles québécois et français d’il y a au moins cent ans. Naissance d’une littérature. Telle est la situation lorsque, au tournant des années 1960, s’instaurent des conditions favorables à l’éclosion d’une véritable littérature acadienne. Après l’élection du premier Acadien, Louis-J. Robichaud, à la tête du gouvernement du Nouveau-Brunswick, la création d’une université de langue française à Moncton permet un regroupement des forces et une ouverture sur le monde qui provoquent une prise de conscience collective coïncidant avec la montée du nationalisme québécois, dont les échos se propagent jusqu’en Acadie. L’Acadie profite aussi de l’intérêt accru accordé aux minorités de langue française au Canada grâce à la politique de bilinguisme du gouvernement Trudeau à Ottawa. Antonine Maillet arrive donc à point nommé. Elle a déjà publié deux romans autobiographiques, qui n’ont guère fait de bruit, et une pièce de théâtre, Les Crasseux (1968), qui contient presque toute la galerie de personnages qu’elle reprendra jusqu’à Crache à Pic (1984). En 1971, La Sagouine, composée en une série de monologues de théâtre, met en vedette une vieille femme de ménage qui réfléchit tout haut en mirant son visage ridé dans l’eau crasseuse de son seau. Ce témoin, le plus humble qui soit, aux mains gercées, aux genoux meurtris, mais jouissant d’un point d’observation idéal au cœur de l’intimité des riches, a la sagesse issue d’une longue humiliation et la fausse naïveté des ignorants. Antonine Maillet, par sa bouche, dans une langue qui constitue un modèle de transposition de la langue populaire, peut s’exprimer sur la société acadienne, mais son propos comporte aussi une valeur universelle. La question de l’identité, de la religion, du rapport des classes trouvera en Acadie une résonance particulière, mais en parlant de la vie, de la mort, de la souffrance et de l’espoir, la Sagouine s’adresse à tous les publics. Le succès immédiat de cette œuvre ne sera pas étranger à la prise de parole collective qui s’ensuit, ne serait-ce que par la réalité qu’il donne au métier d’écrivain. Cependant, il faut encore un embryon d’institution littéraire pour accueillir et orienter les jeunes écrivains acadiens, aussi inexpérimentés qu’impatients de clamer leur existence, qui ne pouvaient ou ne voulaient encore compter sur les éditeurs québécois. La création des Éditions d’Acadie, en 1972, vient à leur secours. De manière parallèle et parfois concurrente, l’Acadie développera sa littérature au cours des années 1970 par la poursuite de la carrière internationale d’Antonine Maillet comme romancière et dramaturge et par l’avènement, autour des Éditions d’Acadie à Moncton, de tout un groupe de jeunes poètes.
Le roman. Inaugurée au théâtre avec Les Crasseux et La Sagouine, la saga acadienne d’Antonine Maillet se poursuit dans six romans publiés entre 1972 et 1984. Les premiers racontent les luttes de deux clans d’un petit village acadien le long des côtes, vers les années vingt ou trente : d’un côté les « genses d’en bas », fêtards, paillards, qui « froliquent », forniquent et trinquent, vers lesquels va la sympathie de l’auteur ; de l’autre, « les genses d’en haut», bourgeois, bien-pensants, gardiens de l’ordre et des mœurs. Antonine Maillet emprunte aux conteurs populaires une bonne part de la matière de ses romans, mais aussi la manière de raconter, caractérisée par de nombreux subterfuges de retardement de l’action et d’amplification épique. La parole est au cœur de ces récits, celle de la romancière d’abord, aiguisant auprès du lecteur l’intérêt des actions racontées, celle aussi de ses héroïnes, championnes du verbe. Antonine Maillet situe l’action de ses personnages à l’époque de son enfance, mais l’exploration de ses racines la conduit à remonter aux origines de la conscience collective, vers l’épopée du retour d’exil, sujet de Pélagie-la-Charrette (1979, prix Concourt). Le Huitième Jour (1986) et L’Oursiade (1990) exploitent encore la veine des contes et légendes populaires dans le style hyperbolique caractéristique de l’auteur, tout en s’écartant, pour la première fois, de la galerie des personnages acadiens. Même si aucun d’entre eux n’approche même de loin la reconnaissance internationale qu’elle s’est acquise, l’influence d’Antonine Maillet sur les autres romanciers acadiens se manifeste à la fois dans le style et dans la matière : l’Acadie du passé, omniprésente. Ainsi Laurier Melanson pratique, lui aussi, l’humour grivois et la verdeur du langage populaire (Zélika à Cochon vert, 1981). Louis Haché, à l’opposé par l’idéalisme de l’univers qu’il crée, fait revivre la petite histoire et les coutumes ancestrales des villages de pêcheurs de la côte acadienne, dans cinq fictions publiées entre 1974 et 1991. Avec La Mariecomo (1974), Régis Brun dresse un portrait de la société acadienne traditionnelle qui s’écarte de celui d’Antonine Maillet : les Acadiens y demeurent bons vivants, mais ils sont beaucoup plus contestataires et opposés à toute autorité, religieuse ou administrative. Toujours dans la veine de l’Acadie du passé, la Française Jeanne Ducluzeau a publié aux Éditions d’Acadie deux romans historiques, Anne d'Acadie (1984) et Le Chemin des huit-maisons (1987), qui retracent la vie des Acadiens retournés au Poitou après la déportation. Claude LeBouthillier, auteur de quatre romans depuis 1977, embrasse avec Le Feu du mauvais temps (1989) toute l’histoire de l’Acadie, en suivant le fil généalogique de son héros jusqu’à la déportation. Ses trois romans précédents mélangeaient le réalisme et l’utopie, le roman d’anticipation et le regard vers le passé, dans un univers manichéen où l'Acadien se trouve obligatoirement du bon côté de la barrière. Aux deux extrémités de cette période, quelques romanciers échappent au retour vers le passé. Dès 1962, Ronald Després publiait Le Scalpel ininterrompu, roman-sotie écrit sous la forme d’un journal intime, chargé d’une joyeuse satire de la société contemporaine : le héros n’y entreprend rien moins que la vivisection de la totalité du genre humain ! Jacques Savoie, tout en poursuivant une carrière de scénariste au Québec, a publié quatre romans entre 1979 et 1988, traitant de sujets contemporains : divorce, village global, transplantation cardiaque, et surtout, dans un esprit postmodeme, de la création artistique sous toutes ses formes. France Daigle, refusant les catégories du roman traditionnel que sont l’histoire, les personnages et la chronologie, explore, dans les huit livres qu’elle a publiés depuis 1983, une forme originale caractérisée par la fusion entre l’univers du langage et l’univers réel, où les notations les plus réalistes se transforment en allégorie de la création, dans une atmosphère empreinte de gravité et d’humour. La poésie. Au cours des années soixante, Ronald Després, cavalier seul en poésie comme Antonine Maillet dans le roman, obtient plus vite qu’elle l’attention de la critique québécoise. Les trois recueils qu’il publie entre 1958 et 1968 sont de facture et d’inspiration modernes, par l’exploration surréaliste du langage, l’onirisme, la noirceur et la violence du propos. Mais le véritable coup d’envoi de la poésie acadienne est la fondation des Editions d’Acadie. Trois recueils marquent ces débuts : Cri de terre (1972) de Raymond Guy Leblanc, Acadie rock (1973) de Guy Arsenault et Mourir à Scoudouc (1974) d’Herménégilde Chiasson. Influencée par la poésie nationaliste québécoise, dont les échos parviennent jusqu’en Acadie, cette poésie correspond aussi à un besoin profond de briser deux siècles de silence. Poésie militante, cri pour ne pas mourir, ayant pour thème principal l’Acadie elle-même, elle exacerbe l’aliénation contemporaine en y surimposant la condition de minoritaire dominé et exploité. Mais cette poésie de la souffrance et de la dénonciation est aussi une poésie de la reconquête d’une identité. Devant l’urgence de prendre la parole, les préoccupations formelles passent au second plan. Coupés de toute tradition littéraire, ces poètes établissent dans une très grande liberté les règles de leur art. Ils créent un genre poétique que pratiqueront ensuite Ulysse Landry, Calixte Duguay, et surtout Léonard Forest qui publie un recueil, Saisons antérieures (1973), où la réalité acadienne se cache derrière une expression riche et subtile, inspirée de la tradition poétique française.
Parmi les poètes acadiens, c’est sans doute Gérald Leblanc qui réalise le mieux la jonction entre la poésie de revendication nationale des années soixante-dix et la poésie des années quatre-vingt. Déjà présent dans la revue L’Acayen à l’époque la plus militante du nationalisme acadien, il a ensuite ouvert les voies de l’avant-garde à la poésie acadienne. Avec six recueils depuis 1986, Herménégilde Chiasson a imposé une œuvre émouvante tout en expérimentant les procédés les plus modernes. Désormais, l’Acadie est beaucoup moins présente dans les textes des poètes, et cette disponibilité nouvelle a été orientée par le postmodemisme ambiant, qui rejoint une donnée de la littérature acadienne naissante : le rejet des modèles antérieurs et la redéfinition des règles et valeurs de la littérature, dans une liberté où trônent la subjectivité retrouvée et l’émotion à l’état pur. La poésie acadienne est aujourd’hui traversée par les grands courants de la littérature mondiale : poésie de femmes, rejet de toute contrainte d’ordre rationnel ou esthétique, prosaïsme minimaliste, fantastique et onirisme. L’Acadie bilingue, aux confluents des influences française, québécoise et américaine, est le creuset naturel de la pensée du métissage et de l’hétérogène que les grandes cultures, inquiètes d’une identité exacerbée, recherchent aujourd’hui avec avidité : tout cela s’exprime non sans imperfections, et sans qu’aucun auteur ne puisse encore prétendre à une grande œuvre, chez Rose Després, Dyane Léger, Roméo Savoie, Louis Comeau, Fredric Gary Comeau, Rino Morin Rossignol. Mais cela n’empêche pas l’expression d’une poésie plus sobre, plus classique dans ses thèmes et dans sa forme, comme chez Huguette Légaré, qui revendique le rare privilège d’avoir publié trois recueils à Paris, Huguette Bourgeois, Hélène Harbec, Maurice Raymond ou Martin Pître. Dans les voies singulières de la spiritualité et du mysticisme, Serge-Patrice Thibodeau, lauréat du prix de Poésie Émile-Nelligan au Québec et du prix du Gouverneur général, poursuit avec détermination une œuvre très construite qui révèle une rare maîtrise de tous les aspects de la prosodie. Le théâtre. L’activité théâtrale est importante en Acadie, mais un tiers seulement des pièces parviennent à la publication. Des quelque vingt-cinq pièces publiées depuis 1968, Antonine Maillet en a écrit la moitié, et y reprend l’univers et les personnages de son œuvre romanesque. L’épopée acadienne revit dans une version plus politisée, avec Cochu et le soleil (1979) de Jules Boudreau, dont l’action se situe en 1783 dans la misère de l’après-déportation. Le théâtre s’écarte néanmoins de la thématique acadienne avec Les Ans volés (1988) et Mon mari est un ange (1988) de Gracia Couturier, qui traite avec humour de l’affrontement des sexes dans la société contemporaine. Herménégilde Chiasson a beaucoup écrit pour le théâtre, mais deux de ses pièces seulement ont été publiées, dont L’Exil d’Alexa (1993) qui, à partir de la question de la langue en Acadie, aborde les grandes questions existentielles. Laval Goupil l’avait fait à sa manière dans deux pièces bien accueillies : l’une surréaliste et poétique, Tête d’eau (1974), l’autre réaliste et humoristique, Le Djibou (1975). Le théâtre pour enfants est un genre assez prisé en Acadie et Gracia Couturier et Herménégilde Chiasson s’en sont servi pour traiter de sujets qui tournent le dos à l’Acadie traditionnelle.
Alors que la première maison d’éditions acadienne n’a pas même un quart de siècle d’existence, la littérature acadienne doit être considérée comme une littérature naissante, de surcroît celle d’une petite culture dont l’existence reste menacée. L’accueil des lecteurs et de la critique a été encourageant. Presque tous ceux qui ont pris la plume en 1970 continuent à écrire ; le nombre de publications n’a pas cessé de croître. Compte tenu de la population dont le français est la langue d’usage, la production littéraire est importante, non seulement dans les genres traditionnels, mais aussi dans les mémoires, témoignages, récits de vie et dans la littérature de jeunesse. Cependant, la nécessité de développer un langage critique propre aux petites cultures ne va pas sans le risque d’un développement autarcique qui, avec la tendance de l’autoglorification, fournirait le terreau de toutes les facilités. Comment exprimer sa spécificité sans tomber dans le folklore de l’exotisme ? Comment sortir de la marginalité entretenue par les discours dominants sans renier son identité ?

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