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Antilles-Guyane (littérature des)

Antilles-Guyane (littérature des). Longtemps la littérature antillaise n’a été qu’un appendice régionaliste de la littérature française. La plupart des textes publiés avant 1945 vantent la beauté alanguie des « îles » érigées en paradis exotiques. Une exception toutefois à ce tableau, les œuvres poétiques de Saint-John Perse, Images à Crusoë, Éloges, Pour fêter une enfance, dont on a pu montrer qu’elles s’enracinaient dans l’univers créole de l’enfance du poète. Il faut attendre 1932 et la publication de l’éphémère revue Légitime Défense, rédigée par René Ménil, Jules-Marcel Monnerot et Étienne Lero, pour que soit dénoncé le caractère artificiel d’une littérature de décalcomanie, dont les modèles sont à rechercher du côté des symbolistes ou des parnassiens : « On est poète aux Antilles, écrit Étienne Lero, comme l’on est bedeau ou fossoyeur, en ayant une situation à côté. L’Antillais bourré à craquer de morale blanche, de préjugés blancs, étale dans ses plaquettes l’image boursouflée de lui-même. D’être un bon décalque d’homme pâle lui tient lieu de raison sociale aussi bien que de raison poétique. » Les auteurs de ce sévère réquisitoire, qui vise d’abord la bourgeoisie de couleur, proclament leur adhésion sans réserve au marxisme, au surréalisme et à la psychanalyse, comme seuls moyens de libérer l’écrivain de son aliénation et de lui permettre de créer des œuvres authentiques. Légitime Défense n’ayant connu qu’une seule livraison, ce sont les promoteurs de L Étudiant noir, la revue des étudiants martiniquais de Paris, qui reprennent le flambeau de la contestation en marquant encore leurs distances avec l’Europe. C’est là que Césaire publie son premier texte, « Nègreries, jeunesse noire et assimilation », et pose la question décisive : « Que veut la jeunesse noire ? Vivre. Mais pour vivre vraiment, il faut rester soi. Les jeunes nègres d’aujourd’hui ne veulent ni asservissement, ni “assimilation”. Ils veulent l’émancipation. » Avec L Étudiant noir, la Négritude est née, et si le mot n’apparaît pour la première fois qu’en 1939, sous la plume de Césaire, le mouvement est amorcé qui va conduire un certain nombre d’intellectuels antillais à se tourner vers l’Afrique-mère. Déjà, en 1937, Léon-Gontran Damas, dans Pigments, son premier recueil poétique, exprimait à la fois le désespoir de l’assimilé et une nostalgie, teintée d’amertume, de l’Afrique perdue. On en retrouve l’écho quelques années plus tard dans Poèmes nègres sur des airs africains. De son côté la revue Tropiques, lancée par Aimé et Suzanne Césaire à leur retour en Martinique, exprime avec vigueur le rejet du « doudouisme » et de la « littérature de hamac », et l’adhésion aux idées de l’ethnologue allemand Léo Frobenius, auteur d’une Histoire de la civilisation africaine qui a été le sésame de la connaissance du continent perdu. Le mythe du retour à l’Afrique inspirera également l’engagement existentiel de la romancière guadeloupéenne Maryse Condé qui, fascinée par le personnage charismatique de Sékou Touré, verra rapidement disparaître ses illusions au contact de la réalité guinéenne des années soixante.
Le mouvement de la Négritude, popularisé par Césaire, est loin d’avoir entraîné l’adhésion de la totalité des écrivains de la diaspora. Les réserves sont patentes chez Raphaël Tardon, Michèle Lacrosil, collaboratrice de la Revue guadeloupéenne, un moment tentée par un régionalisme de bon aloi, ou encore chez Édouard Glissant. Elles se changent en franche hostilité sous la plume de Franz Fanon, de Paul Niger ou de Daniel Bouk-man. Ainsi, dans Le Sel noir, Glissant, fondateur du concept d’« antillanité », tient à distance le mythe de l’Afrique édénique : «une autre terre déjà m’appelle. C’est l’Afrique, et ce ne l’est pas », tandis que Daniel Boukman, dénonçant la dérive politique des fondateurs de la Négritude, écrit des Chants pour hâter la mort du temps des Orphées. Fanon avait prophétisé dès 1960 la fin du mouvement, lorsque, à quelques mois de sa mort, il invitait dans Les Damnés de la terre à se méfier du « rythme, de l’amitié terre-mère, ce mariage mystique [...] du groupe et du cosmos », et concluait à l’échec de la Négritude comme antithèse au colonialisme. Pour reprendre le titre d’un essai du Haïtien René Depestre, le temps semble donc venu de dire Bonjour et adieu à la Négritude, ce dont paraissent s’aviser des romanciers comme Vincent Placoly ou Xavier Orville, l’un et l’autre attentifs à la parlure créole et visiblement plus fascinés par leur environnement amérindien et par le sentiment de fraternité et de solidarité régionale qui en découle, que par une Afrique à plus d’un titre déconcertante. La volonté d’habiter la langue française de manière créole, et libre de toute allégeance étrangère, fut-elle nègre, n’est pas nouvelle puisqu’elle s’exprime aussi bien dans les premières œuvres de Joseph Zobel, qui a toujours gardé un contact direct avec le petit peuple de la Martinique, que dans le célèbre Agénor Cacoul de Georges Mauvois. Non sans qu’un gage d’exotisme soit concédé à la fringale de pittoresque de la métropole, ce recentrage sur le créole et la tradition populaire nourrit l’œuvre des romanciers contemporains, notamment Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, et dans une moindre mesure Maryse Condé et Daniel Maximin. Dans l'Eloge de la créolité, signé également par Jean Bernabé, le projet s’ébauche d’une littérature de la créolité encore à naître, riche de tous les apports de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, et qu’« il faut aborder comme une question à vivre ». La recherche d’une identité, hautement problématique, reste le trait commun à de nombreux écrivains antillais contemporains, confrontés quotidiennement à une société en voie de «zombification». Tous gardent en mémoire le souvenir des émeutes de 1967 en Guadeloupe, origine du mouvement indépendantiste, ou du massacre de l’Habitation Chalvet en 1974, et tous vivent au jour le jour le traumatisme causé par une société fondée sur un système de non-production et de surconsommation qui, outre une situation de dépendance économique, génère un malaise social et culturel. Ce sentiment d’appartenir à une société bloquée, une société « krazé » comme on dit en créole, inspire ainsi de façon permanente l’œuvre fondatrice d’Édouard Glissant qui, déjà dans Le Discours antillais, dénonçait « un peuple qui s’effrite sous le soleil », tandis que la romancière Jeanne Hyvrard, dans ses deux romans, Les Prunes de Cythère (Minuit, 1975) et Mère la mort (Minuit, 1976), donne libre cours à un pessimisme sans appel.

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