APOLLINAIRE Guillaume [Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky] 1880-1918
APOLLINAIRE Guillaume [Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky] 1880-1918
Poète, né à Rome. D’origine polonaise par sa mère, et italienne par son père (qu’il ne verra jamais). Il passe son enfance à Monaco et à Nice ; gagne d’abord sa vie comme précepteur en Allemagne, où il connaît son premier amour, Annie Playden. À partir de 1903, il est à Paris et s’adonne à force « travaux de librairie » (mais par là, du moins, il découvre Sade). Il se jette avec enthousiasme au premier rang de l’avant-garde (artistique d’abord aux côtés des peintres Picasso, Braque et Delaunay, qu’il défend; littéraire ensuite, aux côtés de Jarry et Max Jacob). Activité moderniste et avant-gardiste non dénuée de courage, d’ailleurs ; à cette époque on ne pouvait guère en rapporter que des horions. Pour sa part, il sera traité dans le meilleur des cas de « brocanteur cosmopolite». Et aussi (plus volontiers) de «métèque». En revanche il rencontre le délicieux peintre Marie Laurencin, qui sera l’une des grandes passions de sa vie. i Dès 1898, il a fait paraître ses premiers poèmes dans diverses revues ; mais, aux yeux du public, il reste un critique d’art. Son premier livre, L’Enchanteur pourrissant (1909), fait dialoguer Merlin, Médée, Lilith, etc. L’Hérésiarque et Cie (1910) réunit des contes brefs et curieux, en particulier L’Amphion faux messie. C’est en 1913 seulement qu’il se décide à publier son premier recueil de poèmes, Alcools. Il y a rassemblé des pièces assez anciennes (la série des Rhénanes) et parfois très traditionnelles dans leur forme et dans leur ton (La Chanson du mal aimé, Le Pont Mirabeau). Mais Zone, la pièce initiale du recueil, surprend le public par sa nouveauté. Composée par Apollinaire peu avant de remettre le livre à l’éditeur et sous le coup de la lecture des premiers poèmes de Cendrars, c’est une pièce en vers libres, riche en changements de registre, en images violemment juxtaposées (un avion, des sirènes qui chantent), et en trouvailles visuelles et verbales (le célèbre Soleil cou coupé qui la termine). Introduit peu à peu dans le « monde », le bohème Apollinaire se piquera un jour de courtiser Louise de Coligny-Châtillon : Lou dans ses Poèmes, et ses Lettres (publiées en 1969). Survient la guerre où le poète s’engage aussitôt (décembre 1914), ce qui attendrit la jeune femme. Mais cette liaison n’aura guère de suite. Il réussit mieux auprès d’une jeune fille qu’il connaît dans un wagon de chemin de fer, Madeleine Pagès, avec qui il se fiance. Du front, il continue d’envoyer à Paris des poèmes d’amour ou de guerre, également enthousiastes. Muté dans l’infanterie sur sa demande, il reçoit à la tempe un éclat d’obus. On l’opère (mars 1916), mais il ne se remettra jamais véritablement de cette blessure. On publie à Paris Le Poète assassiné (1916), contes et nouvelles (dont le titre, imaginé par l’éditeur, est vraiment peu dans l’esprit d’Apollinaire, alors hospitalisé). De retour à Paris, il publie bientôt une mince plaquette de vers au titre éloquent, Vitam impendere amori (vouer la vie à l’amour). Puis il fait jouer la même année (1917), grâce à son énergique confrère Pierre Albert-Birot, Les Mamelles de Tirésias, opéra bouffe qui se propose d’encourager la natalité en France (et qui, au passage, inaugure dans son sous-titre l’épithète surréaliste). Il a le temps encore - avant de mourir, victime de la grippe dite espagnole - de se marier avec Jacqueline Kolb, la jolie rousse que chante un de ses poèmes, et de donner un dernier recueil : Calligrammes (1918). Ces calligrammes sont des poèmes dont les vers, de longueur variable, dessinent par leur profil un objet déterminé. Genre connu dès l’Antiquité (ainsi, au XVIIe siècle, les poèmes bachiques « en forme de bouteille »). Mais Apollinaire en diversifie les formes avec beaucoup d’ingéniosité (La Colombe poignardée et le jet d'eau) ; et non sans humour aussi, à l’occasion (La Cravate et la montré). Au surplus, le recueil ne contient pas seulement des calligrammes, mais encore le regroupement de ses très surprenants poèmes de guerre. Surprenants, en particulier, par leur ton d’exaltation joyeuse et presque enfantine : cette guerre dite « de position », aussi morne que meurtrière, est conçue ici, le plus souvent, comme une féerie pure (et les duels d’artillerie au-dessus de la tranchée, comme le « bouquet d’artifice » d’une fête particulièrement réussie : Que c'est beau ces fusées...).
Apollinaire au total est un tendre, un lyrique ; un « romantique » pour ainsi dire. On lui en a fait grief : faux poète d’avant-garde, poète-caméléon, etc. ; romantique? sans aucun doute : par la chaleur, ou plutôt, par le besoin de chaleur autour de lui. Mais, avant tout, cette perpétuelle effusion reste pudique : honteuse d’elle-même presque ; et voilà qui (fort éloigné de l’attitude romantique) apparaît, dans le vrai sens de ce mot, moderne. Encore faut-il préciser qu’il sera, dans ses plus beaux morceaux, moderne sans le chercher : malgré lui. Son avant-gardisme aussi bouillant que protéiforme n’est pas souci d’étonner (ni la « galerie » ni le « bourgeois » ; rappelons que c’était chose assez peu payante à l’époque) mais besoin d’être étonné lui-même : en état de perpétuel émerveillement. D’où ses engagements successifs dans les rangs des symbolistes puis des futuristes ; puis, de nouveau, ses bravos tardifs au groupe du cabaret Voltaire de Zurich en 1916 (les futurs dadaïstes) ; et sa rage à forer sans répit d’autres issues, à forger des mots tout neufs (« surréaliste », « art tactile », « esprit nouveau » ; soit trois écoles, trois révolutions la même année 1917), ou encore à élargir la brèche que vient de tailler quelqu’un de ses amis (Pierre Albert-Birot, Cendrars ; et Cocteau même, dont le ballet bouffe Parade préfigure Les Mamelles de Tirésias). Friand de tout ce qui est différent, voire bizarre, et affligé d’une curiosité boulimique, s’il retourne parfois sans crier gare à la simplicité (quand ce n’est pas à la sentimentalité), c’est par une soif ardente de « communion ». Le bonheur invraisemblable que chante le « métèque » Kostrowitzky dans ses poèmes de tranchée, c’est celui d’un homme qui se sent chez lui, dans son élément enfin, au sein d’une classe populaire à l’âme candide, cordiale (et un peu cynique aussi, parce que sincère). Là, il est pour la première fois à l’aise ; avec une grosse bourrade, on l’appelle « Costro ». De même lorsque plus tard, dans Les Mamelles, il chante la repopulation (Faites-nous des enfants vous qui n’en faisiez guère), est-ce là ambition de poète-patriote? Certes, non ; mais bizarre mélange de son naïf souci de deviner aussitôt (voire de devancer) l’« esprit du jour » et d’un besoin d’être adopté, enfin, dans son pays d’adoption.
De même, avec les femmes, il réussira toujours moins bien ses « passions » pour les grandes cérébrales, ou les femmes du monde, que ses amours simplistes et tendres avec les artistes débutantes ou les jeunes femmes de rencontre. Il les aime d’être simples. Comme il est simple lui-même en fin de compte. Et c’est ici le lieu d’évoquer la définition de Watteau par Michelet : « Il rejoint l’innocence à force d’intelligence. »
[Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky]. Poète, né à Rome. D’origine polonaise, par sa mère, et italienne par son père (qu’il ne verra jamais). Il passe son enfance à Monaco et à Nice; gagne d’abord sa vie comme précepteur en Allemagne, où il connaît son premier amour, Annie Playden. A partir de 1903, il est à Paris et s’adonne à force « travaux de librairie » (mais par là, du moins, il découvre Sade). Il se jette avec enthousiasme au premier rang de l’avant-garde (artistique d’abord aux côtés des peintres Picasso, Braque et Delaunay, qu’il défend; littéraire ensuite, aux côtés de Jarry et Max Jacob). Activité moderniste et avant-gardiste non dénuée de courage, d’ailleurs; à cette époque on ne pouvait guère en rapporter que des horions. Pour sa part, il sera traité dans le meilleur des cas de « brocanteur cosmopolite ». Et aussi (plus volontiers) de « métèque ». En revanche il rencontre le délicieux peintre Marie Laurencin, qui sera l’une des grandes passions de sa vie.
Dès 1898, il a fait paraître ses premiers poèmes dans diverses revues; mais, aux yeux du public, il reste un critique d’art. Son premier livre, l'Enchanteur pourrissant (1909), fait dialoguer Merlin, Médée, Lilith, etc. L'Hérésiarque et Compagnie (1910) réunit des contes brefs et curieux, en particulier l'Amphion faux-messie, etc. C’est en 1913 seulement qu’il se décide à publier son premier recueil de poèmes, Alcools. Il y a rassemblé des pièces assez anciennes (la série des Rhénanes) et parfois très traditionnelles dans leur forme et dans leur ton (la Chanson du mal aimé; le Pont Mirabeau). Mais Zone, la pièce initiale du recueil, surprend le public par sa nouveauté. Composée par Apollinaire peu avant de remettre le livre à l’éditeur et sous le coup de la lecture des premiers poèmes de Cendrars, c’est une pièce en vers libres, riche en changements de registre, en images violemment juxtaposées (un avion, des sirènes qui chantent), et en trouvailles visuelles et verbales (le célèbre soleil cou coupé qui la termine).
Introduit peu à peu dans le (( monde », le bohème Apollinaire se piquera un jour de courtiser Louise de Coligny-Châtillon ; Lou dans ses Poèmes, et ses Lettres (publiées en 1969). Survient la guerre où le poète s’engage aussitôt (décembre 1914), ce qui attendrit la jeune femme. Mais cette liaison n’aura guère de suite. Il réussit mieux auprès d’une jeune fille qu’il connaît dans un wagon de chemin de fer, Madeleine Pagès, avec qui il se fiance. Du front, il continue d’envoyer à Paris des poèmes d’amour ou de guerre, également enthousiastes. Muté dans l’infanterie sur sa demande, il reçoit à la tempe un éclat d’obus. On l’opère (mars 1916), mais il ne se remettra jamais véritablement de cette blessure. On publie à Paris le Poète assassiné (1916), contes et nouvelles (dont le titre, imaginé par l’éditeur, est vraiment peu dans l’esprit d’Apollinaire, alors hospitalisé). De retour à Paris, il publie bientôt une mince plaquette de vers au titre éloquent, Vitam impendere amori (vouer la vie à l’amour). Puis, il fait jouer la même année (1917), grâce à son énergique confrère Pierre Albert Birot, les Mamelles de Tirésias, opéra-bouffe qui se propose d’encourager la natalité en France (et qui, au passage, inaugure dans son sous-titre l’épithète surréaliste). Il a le temps encore - avant de mourir, victime de la grippe dite espagnole - de se marier avec Jacqueline Kolb, la jolie rousse que chante un de ses poèmes, et de donner un dernier recueil : Calligrammes (1918). Ces calligrammes sont des poèmes dont les vers, de longueur variable, dessinent par leur profil un objet déterminé. Genre connu dès l’Antiquité (ainsi, au XVIIe siècle, les poèmes bachiques « en forme de bouteille »). Mais Apollinaire en diversifie les formes avec beaucoup d’ingéniosité ou de grâce (la Colombe poignardée et le Jet d'eau); et non sans humour aussi, à l’occasion (la Cravate et la Montre). Au surplus, le recueil ne contient pas seulement des calligrammes; mais encore le regroupement de ses très surprenants poèmes de guerre. Surprenants, en particulier, par leur ton d’exaltation joyeuse et presque enfantine : cette guerre dite « de position », aussi morne que meurtrière, est conçue ici, le plus souvent, comme une féerie pure (et les duels d’artillerie au-dessus de la tranchée, comme le « bouquet d’artifice » d’une fête particulièrement réussie : Que c'est beau ces fusées...) Apollinaire au total est un tendre, un lyrique; un « romantique » pour ainsi dire. On lui en a fait grief : faux poète d’avant-garde, poète-caméléon, etc.; romantique? sans aucun doute : par la chaleur, ou, plutôt, par le besoin de chaleur autour de lui. Mais, avant tout, cette perpétuelle effusion reste pudique : honteuse d’elle-même presque; et voilà qui (fort éloigné de l'attitude romantique) apparaît, dans le vrai sens de ce mot moderne. Encore faut-il préciser qu’il sera dans ses plus beaux morceaux moderne sans le chercher : malgré lui. Son avant-gardisme aussi bouillant que protéiforme n’est pas souci d’étonner (ni la « galerie » ni le « bourgeois »; rappelons que c’était chose assez peu payante à l’époque) mais besoin d’être étonné lui-même : en état de perpétuel émerveillement. D’où ses engagements successifs dans les rangs des symbolistes puis des futuristes; puis, de nouveau, ses bravos tardifs au groupe Cabaret Voltaire de Zurich en 1916 (les futurs dadaïstes); et sa rage à forer sans répit d’autres issues, à forger des...
... mots clé tout neufs (« surréaliste », « art tactile », « esprit nouveau »; soit trois écoles, trois révolutions la même année 1917), ou encore à élargir la brèche que vient de tailler quelqu’un de ses amis (Pierre-Albert Birot, Cendrars ; et Cocteau même, dont le ballet-bouffe Parade préfigure les Mamelles de Tirésias. Friand de tout ce qui est différent, voire bizarre, et affligé d’une curiosité boulimique, s’il retourne parfois sans crier gare à la simplicité (quand ce n’est pas à la sentimentalité), c’est par une soif ardente de « communion ». Le bonheur invraisemblable que chante le « métèque » Kostrowitsky dans ses poèmes de tranchée, c’est celui d’un homme qui se sent chez lui, dans son élément enfin, au sein d’une classe populaire à l’âme candide, cordiale (et un peu cynique aussi, parce que sincère). Là, il est pour la première fois à l’aise; avec une grosse bourrade, on l’appelle « Costro ». De même lorsque plus tard, dans les Mamelles, il chante la repopulation {Faites-nous des enfants vous qui n'en faisiez guère), est-ce là ambition de poète-patriote? Certes, non; mais bizarre mélange d’un souci de satisfaire au goût du jour et d’un besoin d’être adopté enfin dans son pays d’adoption.
De même, avec les femmes, il réussira toujours moins bien ses « passions » pour les grandes cérébrales, ou les femmes du monde, que ses amours simplistes et tendres avec les artistes débutantes ou les jeunes femmes de rencontre. Il les aime d’être simples. Comme il est simple lui-même en fin de compte. Et c’est ici le lieu d’évoquer la définition de Watteau par Michelet : « Il rejoint l’innocence à force d’intelligence. »
Œuvres Œuvres complètes, éd. par M. Décaudin (Balland et Lecat, 1965). - Alcools suivi de Vitam impendere amori (Gallimard, coll. Poésie). - Calligrammes (même collection). - Lettres à Lou (Gallimard). Critique A. Billy, Apollinaire (Seghers, 1947). -M. Adéma, Apollinaire le mal-aimé (Plon, 1952). - P. Pia, Apollinaire par lui-même (Seuil, coll. Microcosme, 1954). - A. Rouveyre, Amour et Poésie d'Apollinaire (Seuil, 1955). - A. Billy, Avec Apollinaire, souvenirs inédits (La Palatine, 1966). - J.-C. Chevalier, Étude stylistique de quelques poèmes de G. Apollinaire (Minard, 1970).