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AUDIBERTI Jacques 1899-1965

AUDIBERTI Jacques 1899-1965
Poète, auteur dramatique et romancier, né à Antibes. Fils d’un maître maçon de Provence. Ses poèmes, qui, en apparence, restent attachés à la forme traditionnelle de la rime et du vers régulier, sont d’une invention, d’une richesse, d’une ampleur et d’une allégresse verbale, qui n’ont d’égales que les meilleures inspirations de Claudel dans les Cinq grandes odes. (Le pamphlétaire n’est pas moins ambitieux que le poète et il va même s’en prendre à tous les hommes de son siècle dans son « essai » intitulé férocement L’Abhumanisme ; mais le registre de l’enthousiasme lui réussit mieux que celui de l’invective.) Dès son premier livre, L’Empire et la Trappe (1930), puis avec Race des hommes (1937), Audiberti avait surpris par son souffle peu commun. Or, il va se dépasser dans la série de recueils poétiques des années 40 (Des tonnes de semence, 1941 ; La Nouvelle Origine, 1942 ; Toujours, 1944) et il se maintient sans presque fléchir à ce niveau jusqu’à ses derniers recueils : Rempart (1953) et Ange aux entrailles (1964). Il ne vient que relativement tard au roman : Abraxas (1937) et, surtout, Le Maître de Milan (1950), qui seront suivis de Marie Dubois (1952) ; et encore plus tard au théâtre où Quoat-Quoat (1946) et Le mal court (1947) font enfin connaître son nom. Mais il avait déjà écrit pour la scène deux oeuvres tout aussi originales : L’Ampélour en 1937, restée sans écho (reprise avec succès en 1950), et La Bête noire en 1942 (reprise triomphalement sous le nom de La Fête noire en 1948). Ni la gloire ni l’accès des Femmes du bœuf à l’Odéon et de La Fourmi dans le corps à la Comédie-Française (en 1948 et en 1962) ne le grisent au point d’atténuer sa vigueur combative: Le Cavalier seul (1955), La Hobereaute (1958), son chef-d’œuvre, Le Ouallou (1959), L’Effet Glapion (1959), succès dans un genre plus facile, La Logeuse (1960), La Brigitta (1962). Cette vaste production théâtrale garde la trace de ses recherches et de ses préoccupations dans le domaine poétique (en matière de rythme surtout). Et ce, bien davantage sur le plan du « poème dramatique » proprement dit, c’est-à-dire dans sa structure scénique - son architecture, et ses rythmes, une fois encore -, que sur le plan très superficiel des créations de mots barbares ou de néologismes bouffons qui ont fait sa légende (type le célèbre merdoiement, dans Pucelle ; une de ses pièces les moins réussies, au demeurant, 1950).

Le cas limite de ces nouvelles architectures scéniques reste sans doute La Hobereaute (reprise dix ans plus tard, au joyeux étonnement de la critique), qualifiée en sous-titre d’opéra parlé. Toutefois, dans un hommage collectif à Audiberti, peu après sa mort - NRF de décembre 1965 -, Robert Abirached rectifiait cette formule trop modeste, en soulignant qu’à un tel niveau d’ivresse lyrique et, tout à la fois, d’eurythmie, « la parole tient à la fois son propre rôle et celui de la musique ».


Œuvres - En poche: Race des hommes, suivi de L'Empire et la Trappe [extraits] (coll. Poésie/Gallimard). - Des tonnes de semence, suivi de Toujours et de La Nouvelle Origine (id.). - Abroxas (coll. L'Imaginaire). - Le Maître de Milan (id.). - Le Retour du divin (id.). - La Fin du monde (Actes Sud, coll. Babel). -Molière (L'Arche, coll. Les Miroirs). - Autres : Théâtre, en 5 vol. (Gallimard).


Audiberti Jacques (1899-1965). Né à Antibes le 25 mars 1899, fils d’un maçon d’origine italienne, il fait ses études dans sa ville natale, interrompues avant le baccalauréat, puis travaille comme greffier au tribunal de justice. En 1924, il s’installe à Paris, ville de la « liberté mentale » (Les Cent Jours) et des espaces ouverts, par opposition à Antibes où le rempart encercle la vieille ville. Engagé comme «tourneur» au Journal puis au Petit Parisien, en compagnie du surréaliste Benjamin Péret, et chargé d’effectuer la « tournée » des commissariats pour y débusquer les faits divers les plus sordides, il est profondément impressionné par la souffrance humaine, thème qui imprégnera l’ensemble de son œuvre. En 1930, il publie à compte d’auteur son premier recueil de poèmes, L'Empire et la trappe. Immédiatement remarqué par le public spécialisé, ce livre lui vaut l’intérêt de Jean Cassou, Valéry Larbaud et Jean Paulhan, sur la recommandation desquels il entre à la NRF en 1934. Lauréat du prix Mallarmé en 1938, il abandonne définitivement le journalisme en 1940 pour se consacrer à la littérature. Il aborde successivement les différents genres : son premier roman, Abraxas, est publié en 1938 tandis que sa carrière dramaturgique s’amorce en 1946, lorsque C. Toth et André Reybaz décident de monter Quoat-Quoat, texte dialogué qui n’était pas à l’origine conçu pour la scène. Parallèlement, il s’intéresse à la critique de cinéma et se lie d’amitié avec François Truffant.
Fasciné par la poésie, qu’il considère comme « la végétation de l’esprit » (Entretiens Georges Charbonnier), il écrit la plupart de ses poèmes avant 1950 ; seuls Rempart (1953) et Ange aux entrailles (1964) sont postérieurs. Ses conceptions poétiques sont développées dans un essai, La Nouvelle Origine (1942), ainsi que dans la préface de La Pluie sur les boulevards ( 1950) : le poète est un « théope », un démiurge qui, maître du langage, est l’égal du Créateur. Il «n’emploie les vocables qu’après les avoir contemplés un à un, jusqu’à la fascination mentale », ce qui se traduit chez Audiberti par une profusion verbale et sonore. La rigueur de la forme et le refus du vers libre, jugé trop décousu, au profit des vers mesurés et rimés, confèrent par ailleurs à ses poèmes une facture classique, qui souligne la parenté de l’auteur avec des écrivains du XIXe siècle, tels Hugo ou Mallarmé. Plus que le champ étroit du poème, le roman offre à Audiberti l’espace propice à ses ambitions cosmiques. Dans un univers où le fantastique intervient volontiers, les protagonistes, placés en situation d’affrontement, sont toujours en proie aux maux de l’incarnation. Comment expliquer en effet la présence du mal et de la douleur, sinon par la dualité entre l’âme et le corps, ce « tas de chair où vient la fleur de la souffrance » (Des tonnes de semence) ? Ce manichéisme se reflète dans les personnages de tous ses romans. Dans Carnage (1942), l’héroïne, Médie, peut voler et nager comme une sirène, mais perd ses dons surnaturels en épousant Carnage, mari brutal qui l’installe bientôt à la tête d’un sordide lavoir. Marcel, le manichéen convaincu de Marie Dubois (1952), ne supporte pas « l’écart démesuré entre les ténèbres larvaires du rut et l’apparent raffinement de notre attirail intellectuel », et convainc Marie de chercher la rédemption dans l’humiliation du corps (la prostitution), puis dans le suicide. Ce pessimisme est tempéré par l’humour et la verve de l’écrivain, dont les trouvailles verbales nourrissent aussi bien le parler gouailleur de ses personnages populaires que les élans mystiques ou passionnés de ses héros. C’est le théâtre, vocation plus tardive d’Audiberti, qui lui assure la célébrité. Sans renoncer au roman ni à la poésie, il est séduit par le genre dramatique, qui favorise un autre contact avec le public et renforce la puissance du texte grâce à la présence physique des acteurs. Malgré l’antipathie de certains critiques comme Robert Kemp ou Jean-Jacques Gautier, ses pièces, créées pour la plupart dans les petits théâtres de la rive gauche (Poche, Huchette, etc.) par André Reybaz ou Georges Vitaly, rencontrent un relatif succès : la reprise de Le mal court en 1955, avec Suzanne Flon dans le rôle de la princesse Alarica, est un triomphe, mais La Fourmi dans le corps, créé à la Comédie-Française en 1962, est victime d’un « chahut ». Impressionné par la philosophie de Sartre, Audiberti tente, avec le peintre C. Bryen et l’écrivain sicilien B. Joppolo, de définir une métaphysique, l’« abhumanisme ». S’insurgeant contre la prétention anthropocentrique, il souhaite que l’homme «perde de vue qu’il est le centre de l’univers» (L’Abhumanisme) et reconnaisse qu’il n’en est que l’un des éléments. Le relativisme qui en résulte rend la condition humaine plus supportable, puisqu’il s’applique aussi à « la vénéneuse cuisson des injures et des souffrances que nous subissons ». Il oblige enfin à un scepticisme radical envers toutes les idéologies. Sa dernière œuvre, Dimanche m'attend, est un journal, tenu entre 1963 et 1965, alors qu’il se sent « flotter dans l’au-delà » (il a subi deux opérations chirurgicales). En 1964, il reçoit le grand prix national des Lettres. Il est mort à Paris le 10 juillet 1965. Malgré la diversité de ses écrits — une vingtaine de romans, autant de pièces, neuf recueils de poésie, plusieurs essais et de nombreux articles critiques — Audiberti considère son œuvre comme une seule « épopée » (Entretiens), empreinte d’une forte unité de ton, qui est avant tout le fait de son langage poétique : les mots sont la seule réalité solide, il faut les traiter comme des objets, privilégier les glissements du son au sens, voire inventer de pseudo-langues étrangères.