BAÏF Jean Antoine de 1532-1589
Poète, né à Venise. Plus encore qu’un créateur en matière de poésie, ce condisciple de Ronsard dans le groupe de la Pléiade est un inventeur, un « homme à idées ». Certes, ses deux livres d'Amours (1552 et 1556) ne sont pas dénués de charme ; ils sont même plus libres, en un sens, plus frivoles et plus lascifs, que Les Amours et Les Folastries de Ronsard. Mais c’est surtout par ses Étrênes de poézie fransoéze (1574) qu’il va déterminer une série de remous, sinon de réformes, dans son siècle et (sur un point, tout au moins) au-delà : réforme de l’orthographe, qu’il veut phonétique ; réforme de la versification, surtout, qu’il veut régler non plus à partir du nombre de pieds, c’est-à-dire de syllabes supposées égales, mais, comme dans la métrique latine, sur la base des syllabes longues ou brèves. Baïf n’avait oublié qu’un point : la langue française ne conçoit pas les syllabes selon leur quantité (durée) mais selon leur qualité (intensité de l’accent). La prétendue réforme ne passa pas, et Baïf fut seul disciple de l’école « baïfine » ; disciple infidèle, au surplus, puisque dans un dernier recueil poétique, Les Mimes (1576) il retourne au train régulier d’octosyllabes. Non pas que ce charmant remueur d’idées ait abandonné la lutte. Au contraire : il décide, cette fois, de sceller une éternelle alliance entre la poésie et la musique (ce qui constituait moins, d’ailleurs, une réforme qu’un retour à la tradition française, inaugurée depuis plus de trois siècles déjà par les troubadours et par Adam de la Halle, Guillaume de Machaut, etc.). Il fonde à cet effet (1570) l’« académie de Poésie et de Musique » avec le compositeur Thibaut de Courville, et il s’avise bientôt que ces deux arts ont un point commun : le rythme. Si bien que, de proche en proche, il en vient à imaginer une triple alliance avec cet autre « art du rythme » : la danse ; et cette fois, c’est avec le théâtre grec que notre homme veut renouer la tradition. Que reste-t-il des idées de Baïf ? Disons qu’il a tout au moins forcé les poètes de son temps à se poser des problèmes, à réfléchir sur les données essentielles de leur art. En outre, si le vers « baïfin » qu’il nomme mesuré à l'antique est peu convaincant à la lecture, il se révèle étonnamment léger, nerveux, savoureux lorsqu’on le réentend mis en musique ; car c’est ainsi, en définitive, à travers Thibaut de Courville et Claude le Jeune, que les ïambes, trochées, spondées et autres jeux rythmiques de Baïf ont exercé leur influence vivifiante jusqu’à l’opéra-ballet à l’époque de Versailles : ils ont libéré le théâtre lyrique français de la monotonie métrique. Comme quoi les « réformes » de cet écrivain singulier bénéficièrent à un tout autre art que le sien. C’est peut-être dommage ; et, l’eût-on mieux écouté, tout écrivain français serait aujourd’hui, sans aucun doute, à la fois poète, musicien et danseur.