BEAUMARCHAIS Pierre Augustin Caron de 1732-1799
BEAUMARCHAIS Pierre Augustin Caron de 1732-1799
Auteur dramatique, né à Paris. D’abord horloger - comme son père -, prodigieusement doué dans tous les domaines et ambitieux, on le voit très vite à la cour, où il donne des leçons de harpe aux sœurs de Louis XVI. Puis il achète le titre de secrétaire du roi, et, du même coup, s’anoblit. Friand d’affaires politiques ou financières, d’intrigues et de procès, il est condamné, sur rapport d’un certain conseiller Goëzman, et s’en venge bientôt dans un pamphlet, féroce et savoureux (Mémoires contre Goëzman, 1774), qui sera son premier succès littéraire. Au surplus, tout au long de sa vie, la littérature ne fut jamais pour lui qu’une activité secondaire : fiai été trop sérieusement occupé pour chercher autre chose qu’un honnête délassement dans les lettres. Il n’en sera pas moins, à la suite d’une querelle avec les interprètes de son Barbier de Séville (1775), le fondateur de la Société des auteurs dramatiques, embryon de la future Société des gens de lettres. Dix années s’écoulent entre le succès du Barbier et la représentation de sa « suite », Le Mariage de Figaro (1784) : c’est qu’il est alors aux prises avec la censure depuis 1778. En outre, agent secret de Louis XVI, il s’affaire à envoyer des armes aux « insurgents » d’Amérique, dressés contre la couronne d’Angleterre. Après le triomphe du Mariage, emprisonné à Saint-Lazare, il est relâché très vite. La Révolution, qui éclate cinq ans plus tard, le retrouve chargé de mission, puis bientôt suspect ; et, à ce titre, incarcéré à l’Abbaye. Il se réfugie un instant à Hambourg, revient en 1796 et meurt trois ans après, très désargenté, et, surtout, très oublié. Une dernière pièce de théâtre, La Mère coupable était passée presque inaperçue ; on y retrouvait le personnage de Figaro, mais le pétulant valet, devenu moral selon le goût du jour, y faisait peine à voir. Une reprise (courageuse) en 1992, à la Comédie-Française, n’a pu sauver l’œuvre qui porte trop bien sa date : 1792.
L’œuvre de Beaumarchais se réduit au total à deux pièces, deux comédies d’esprit satirique : Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro. La première ne se veut pas encore autre chose qu’une « comédie d’intrigue », du type le plus traditionnel : un aimable aristocrate pénètre chez une belle à la faveur de déguisements successifs (professeur de musique, puis soldat muni d’un « billet de logement ») et triomphe à tous coups d’un vieux tuteur jaloux. Le fait nouveau, toutefois, c’est que le jeune seigneur, Almaviva, n’est pas ici le héros sympathique, ni même un héros véritable : simple « profil perdu », humble faire valoir du roturier Figaro, barbier-chirurgien-poète (et domestique occasionnel), qui usurpe le premier rang dans la pièce. Il figure ici le tiers état : actif, intelligent, et, plus encore, courageux. Ce n’est plus le lâche Sganarelle (dans le Don Juan de Molière) mais le représentant d’une « classe montante », qui se sent déjà de taille à injurier une noblesse affadie par le désœuvrement. Vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus, dira Figaro dans Le Mariage..., qui va marquer d’ailleurs, à dix ans de distance, l’évolution rapide des rapports de forces. Figaro, cette fois, ne se trouve plus seulement, vis-à-vis du joli seigneur, en position de revendication, mais en position de rivalité : le comte Almaviva convoite la fiancée d’un de ses manants et s’agace des obstacles que dresse ce plébéien devant chacun de ses pas. C’est le noble au demeurant qui va perdre, et devra - de fort mauvais gré - lâcher prise. Le célèbre monologue de Figaro, au début de l’acte V, nous laisse prendre la mesure de ce qu’un auteur pouvait alors se permettre, en matière d’insolences à l’adresse des « grands » ; car Beaumarchais n’était pas homme à risquer un échec (et sa comédie fut en effet un retentissant triomphe, très savamment préparé).
« Pièce politique », a-t-on dit parfois. Sans aucun doute. Mais en fait c’est avant toute chose un vaudeville, comme Le Barbier, c’est-à-dire une « comédie mêlée de chansons sur des airs connus » ; genre satirique alors toléré depuis deux siècles par les censeurs royaux, eu égard à son irremplaçable pouvoir de « purgation des passions » sur le plan politique. On a récemment retrouvé dans les répertoires du type Chansonniers ou Clefs du caveau, imprimés à l’époque, un certain nombre de ces « timbres », « ponts-neufs » et « airs connus », utilisés par Beaumarchais dans Le Barbier et Le Mariage (l’un d’eux, d’ailleurs, n’a pas cessé de vivre dans la tradition populaire : c’est l’« air de Malbrough » qu’emprunte la chanson de Chérubin à l’acte III). Vaudevilles d’abord, par conséquent, plutôt que pamphlets, ces deux pièces restent - et c’est très bien ainsi - des œuvres de divertissement. Ou mieux : de fantaisie. D’une fantaisie raffinée, ailée, et même, plus d’une fois, poétique, dans la lignée du Sicilien de Molière ou des Folies amoureuses de Regnard ; moins fine, peut-être, que ces deux modèles classiques, mais d’un rythme plus vif encore. La succession des jeux de scène et le feu roulant des répliques est tel, que le public du temps se plaignait de « n’avoir pas même le temps d’éternuer ». Seul Labiche retrouvera ce vent de folie, qui est à mettre au compte d’un art subtil et méticuleux du mouvement scénique.