BERNANOS Georges 1888-1948
BERNANOS Georges
1888-1948
Romancier et, aussi, pamphlétaire, né à Paris. De souche lorraine et berrichonne (sans parler d’une plus lointaine ascendance espagnole), il est élevé chez les jésuites ; puis, dans plusieurs autres collèges religieux.
D’abord royaliste d’Action française, il dirige, un temps, L’Avant-garde rouennaise ; titre en aucune façon paradoxal à ses yeux, car le monarchisme lui semble alors à la pointe du progrès. De même, dans son premier pamphlet, La Grande Peur des bien-pensants (1931), il ridiculisera les conformistes (c’est-à-dire, selon lui, ceux qui sont réticents devant son héros, l’antisémite Drumont). Engagé volontaire dès le début de la Première Guerre mondiale, il sera gravement blessé. Pendant de longues années, il doit gagner sa vie comme inspecteur d’assurances, et c’est à près de quarante ans qu’il débute en littérature avec Sous le soleil de Satan (1926). Cette histoire d’un prêtre - l’abbé Donissan - aux prises avec les ruses, les déguisements, les avances directes et parfois même les menaces du diable, va être à quelques variantes près le thème constant, obsédant, de tous ses ouvrages romanesques. C’est encore un prêtre, l’indigne abbé Cénabre, qui sera le héros de L'Imposture (1927) ; nous le verrons de nouveau dans Lajoie (1928) où il retrouve la foi pour finir.
À tant de vapeurs mêlées, d’encens et de soufre, Bernanos, fasciné bien davantage encore, peut-être, par la sainteté et la pureté que par l’haleine du démon, se plaît à opposer de rayonnantes figures comme Chantal de Clergerie (dans Lajoie), contre qui s’use en vain la malignité du serviteur russe Fiodor; ou le curé d’Ambricourt (dans Le Journal d'un curé de campagne, 1936), âme déchirée et sublime dont la dernière parole, après une interminable agonie, sera : Tout est grâce. C’est là sans doute le plus beau roman de Bernanos, et de toute façon, le plus apaisé ; car son dernier chef-d’œuvre, Monsieur Ouine, composé dix ans plus tard (1946), laisse le lecteur sur une impression de malaise insoutenable. Vieux professeur à la retraite, M. Ouine exerce une action - d’autant plus inquiétante qu’elle reste indirecte et sournoise - sur un village où les vices, et même le crime, se sont peu à peu installés. Sa volonté de tout savoir, de pénétrer par effraction dans le secret des âmes pour les dominer alors, est le signe éclatant de l’influence maléfique qui, en permanence, est là, derrière chacune des démarches de son esprit. En dernière analyse, le fait nouveau, dans cet ultime roman, semble être la mentalité désespérée de l’auteur, qui, après avoir chanté les rudes et opiniâtres combats des âmes éprises de pureté contre les forces du mal, semble nous dire, ici, que la lutte est inutile et nous annoncer le règne définitif du prince de ce monde.
À vrai dire, Bernanos, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dresse le bilan bien mélancolique de ses échecs et de ses victoires. Esprit profondément religieux, mais plus encore chrétien de combat, il a fait peu à peu le vide autour de lui en réservant les cailloux les plus aigus au front de ses propres amis. Des Baléares, où il s’était fixé à partir de 1934, il avait bientôt pris à partie son hôte Franco (dont il approuvait pourtant jusqu’ici l’action politique) ; et, peu après, il attaquera son maître Charles Maurras - et de plus Paul Claudel -, dans un violent pamphlet : Les Grands Cimetières sous la lune (1938). Il y dénonçait la trahison, selon lui, de la Curie romaine ; et aussi la collusion des prêtres espagnols avec les forces de répression sociale. Pendant la guerre, réfugié au Brésil, il bombardait à boulets rouges la réaction et le fascisme (Voici la France libre, 1941 ; Lettre aux Anglais, 1942 ; Écrits de combat, 1944) ; or, dès la fin de la guerre, revenu en France, il rompt tout net avec ses nouveaux amis, et tourne en dérision la célèbre Croisade des démocraties. Un monde dominé par la force est un monde abominable, mais le monde dominé par le nombre est ignoble, écrit-il dans La France contre les robots (1947). Pis, encore, dans ce même livre, il va se mettre à dos l’humanité entière - le siècle, somme toute - en faisant le procès de la civilisation moderne et de sa religion dévoyée : divinisation de la quantité, d’abord (la civilisation de la quantité opposée à la qualité; les imbéciles y dominent donc) ; de l’efficience, ensuite, mot qu’il juge plus bête encore que néfaste (la guerre totale est la société moderne elle-même à son plus haut degré d'efficience) ; et, enfin, du confort, dernier élément de la nouvelle trinité (l'affreux néant du confort). Longtemps encore après sa mort, les échos vont retentir des grondements et des craquements d’éclairs, des jets de crachats et d’imprécations de cet homme solitaire, contre les mythes et les « valeurs » de son temps. Ainsi : L'optimisme est une fausse espérance à l'usage des lâches et des imbéciles (extrait de La Liberté pour quoi faire? 1954) ; notons que l’ouvrage en question reste, sans aucun doute, avec Le Lendemain, c'est vous! (1970) le moins confus de ses trop nombreux essais posthumes.
Mais le prophète, aujourd’hui, ne fait pas l’unanimité et l’on prête attention bien davantage au poète Bernanos qui, peu avant de mourir, avait donné, avec les Dialogues des carmélites (publiés au lendemain de sa mort, en 1949, et repris - quant au sujet tout au moins - d’une nouvelle de la romancière allemande Gertrud von Le Fort, La Dernière à l'échafaud), l’un des plus bouleversants de ses ouvrages.