délibératif démonstratif dénotation dénouement déprécation dérimage descort description désémantisation dialogisme
délibératif. On désigne ainsi un des trois genres oratoires (aux côtés du genre judiciaire et du genre épidictique, ou démonstratif). C’est le genre par excellence de la décision politique, car son rôle est de conseiller ce qu’il faut faire ou ce qu’il ne faut pas faire ; il porte donc sur l’avenir, et les valeurs qui lui servent de critère sont l’utile et le nuisible. L’argument type dont il se sert est l’exemple (on puise dans la mémoire historique les grands exemples du passé, pour comprendre et orienter l’action à venir), et il doit recourir avant tout au logos (raisonnement discursif), avant d’emporter l’adhésion du public par le pathos (en suscitant son indignation, ou sa colère). La personne de l’orateur {éthos) doit être digne de confiance, pour donner du poids à ses arguments (ainsi, il est difficile pour un homme politique de proposer de faire la guerre, s’il n’a pas fait lui-même preuve de courage au combat). Du point de vue littéraire, le délibératif est le genre par excellence des débats, comme dans les grandes tirades du théâtre classique (stances du Cid, par exemple), lorsque le héros doit se décider pour agir. La mise en avant des valeurs (courage, honneur, amour, devoir) en fait donc un des hauts lieux de l’analyse psychologique des personnages, et ses conséquences sur l’action en font souvent un des éléments structurels majeurs de l’intrigue.
démonstratif. Troisième genre oratoire, selon les théoriciens, le genre démonstratif (ou, d’après le mot grec, épidictique) est celui où l’art doit être le plus brillant. L’argument type est en effet l’amplification, car son propos porte sur des valeurs, qu’il s’agit de louer ou de blâmer : c’est donc le genre de l’éloge et du blâme, et il porte sur le présent, car il demande l’adhésion immédiate aux valeurs d’une communauté (doxa), déjà partagées par le public. L’épidictique est, par excellence, le genre de la célébration collective — par exemple dans la glorification de Dieu, la célébration du roi, ou des valeurs de la République -, où la communauté affirme les liens qui la constituent. Cette éloquence d’apparat se retrouve aussi bien dans la poésie élevée (ode, hymne) que dans l’épopée ou la tragédie. En prose, elle est celle des discours de réception, des panégyriques ou des oraisons funèbres. C’est pourquoi elle demeure très vivante dans la vie sociale et politique. Son style est le style élevé, avec le déploiement de toutes les figures de l’éloquence (amplification, style fleuri, etc.). Le prestige et l’efficacité de l’épi-dictique peuvent souvent lui donner une valeur d’argument, même dans les autres genres : on développera ainsi le thème de la grandeur de la cité ou des ancêtres dans la péroraison d’un discours judiciaire ou d’une délibération. Dans la fiction, l’épidictique joue un rôle important dans la description, où il s’agit de faire valoir la beauté d’un lieu, ou parfois, au contraire, de le caricaturer ; il joue un rôle identique dans l’art du portrait. Dans son mode négatif, il est l’arme de la satire et du pamphlet. Moins sensible aujourd’hui dans la littérature, l’épidictique demeure souvent le morceau de bravoure au théâtre Ou du cinéma, quand ce n’est pas simplement dans la bonne écriture journalistique.
dénotation. Définition stable du mot telle qu’elle figure dans le dictionnaire, comme un ensemble de traits sémantiques : gifle et soufflet ont la même dénotation, ou encore le mot corbeau désigne « un grand corvidé noir ».
dénouement. Dernier moment de l’action, ou de l’intrigue dans le système dramatique classique : après la péripétie commence le dénouement qui en résulte comme naturellement et qui lui est lié. A la reconnaissance de l’identité d’Œdipe (péripétie) succède le dénouement, mort de Jocaste, mutilation d’Œdipe. Le nœud se défait, les tensions qui le constituaient s’apaisent. La situation revient à l’équilibre. Le dénouement peut se produire par l’effet d’un récit (celui de Théramène dans Phèdre) ou se passer « en action », c’est-à-dire sous les yeux des spectateurs. La notion traditionnelle de dénouement présuppose la conception classique de l’action et il faut l’entendre dans un sens plus large dans le théâtre symboliste ou dans le théâtre du xxe siècle : il peut « ouvrir », comme il peut « refermer » ou laisser l’action « suspendue » en la rendant problématique.
Dénouement. Partie finale d’une pièce de théâtre où le conflit se résout, soit par la suppression de l’obstacle dans la comédie, soit par la mort du protagoniste dans la tragédie. Il se situe au dernier acte, dans les dramaturgies où l’action est découpée en actes, ce qui est presque toujours le cas dans le théâtre français du XVIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Le dénouement doit renseigner le spectateur sur le sort de chacun des personnages, sans quoi la pièce présenterait un caractère inachevé, comme le fait remarquer Corneille dans son Premier Discours. Il peut résulter de l’action même, par le jeu des forces en présence, naître d’une péripétie ou d’une intervention surnaturelle. Ce troisième type de dénouement, condamné par Aristote et par le classicisme en raison de son invraisemblance, est dit avec deus ex machina, d’après le terme employé par Horace, dans son Art poétique, qui fait allusion à la machine usitée tant sur la scène grecque que latine pour faire descendre du ciel ou s’envoler un dieu ou un héros. Ex : la Médée de Sénèque, comme celle du jeune Corneille, s’envolent sur un char, traîné par un dragon, pour se soustraire à la colère de Jason.
déprécation. Figure par laquelle un orateur ou un personnage s’interrompt pour demander à un dieu ou à une quelconque puissance d’écarter de lui un danger. Ainsi, par exemple, lorsque Thésée, dit dans la Phèdre de Racine : Qu’on rappelle mon fils, qu’il vienne se défendre, Qu’il vienne me parler, je suis prêt de l’entendre. Ne précipite point tes funestes bienfaits, Neptune ; j’aime mieux n’être exaucé jamais (V, 5).
Dépréciation (auto-). Figure par laquelle le locuteur feint de se rabaisser. Elle est souvent liée au topos de la modestie affectée :
En expliquant, comme il les entend et comme il les a déjà indiqués plusieurs fois, le principe, la loi et le but du drame, l’auteur est loin de se dissimuler l’exiguïté de ses forces et la brièveté de son esprit. Il définit ici, qu’on ne s’y méprenne pas, non ce qu’il a fait, mais ce qu’il a voulu faire. Il montre ce qui a été pour lui le point de départ. Rien de plus. (Hugo, Préface de Ruy Blas)
dérimage. A la fin du Moyen Age (XIVe et XVe siècles), on appelle dérimage la mise en prose d’une ou d’un ensemble cohérent de chansons de geste ou de romans en vers antérieurs. Certains passages, à peine transformés par le dérimeur, laissent apparaître clairement le texte-source versifié dont les rimes ont pu subsister.
descort (n. m.). Forme poétique médiévale de langue d’oc, version masculine de la chanson de malmariée, dans laquelle le désordre de l’expression et de l’accompagnement musical traduit le désespoir du poète devant un amour non partagé. Ce désordre peut se traduire par un mélange de diverses langues, comme c’est le cas dans un descort célèbre du troubadour Raimbaut de Vaqueiras.
description. Texte présentant sur un objet, un lieu, une personne... un ensemble d’informations suffisamment précises pour permettre la représentation imaginaire. La description procède donc par énumération et caractérisation des diverses parties ou divers aspects de l’objet présenté : pour décrire un visage, je vais énumérer ses parties (yeux, nez, bouche, front...) et proposer pour chacune une caractérisation qui peut être strictement informative (« elle avait les yeux noirs »), mais aussi analogique (« elle avait les yeux de sa mère ») ou évaluative (« elle avait des yeux fascinants »). Courant le risque du systématique et de la facilité, la description n’est pas toujours considérée comme littérairement satisfaisante, surtout dans les textes romanesques. On a souvent cherché à mieux l’intégrer dans le récit par divers procédés de « naturalisation », notamment le recours à une présentation chronographique : on ne décrit pas directement l’objet en simultanéité, on raconte les étapes de sa découverte («Je vis d’abord... puis... enfin... »). Mais la description n’a jamais vraiment perdu le statut qui était le sien aux débuts de la littérature française, celui d’un procédé d’« ornementation » très codifié : ainsi, au Moyen Age, la description des personnes était-elle très strictement réglementée par les Arts poétiques : de même que Dieu avait commencé les êtres par la tête, le poète ou le romancier devaient suivre l’ordre descendant des parties du corps, en terminant par l’évocation du vêtement puis, le cas échéant, du cheval sur lequel était campé le personnage.
désémantisation. Processus d’évolution sémantique dans lequel un mot perd tout ou partie de son sens ou de sa force. Les textes littéraires jouent souvent sur la désémantisation/resémantisation des termes. Dans Je fis encore quelque méchant compliment (Voltaire, Lettres philosophiques}, l’adjectif est-il désémantisé (= quelconque, médiocre) ou non (= hypocrite) ? On a parfois lutté contre la désémantisation en jouant sur la remotivation étymologique, réelle ou factice : dis-courir, con-naître, etc. Le figement des métaphores relève du processus de désémantisation : une expression comme « avaler des couleuvres » est désémantisée parce que son origine imagée n’est plus perçue par les locuteurs qui l’emploient ou r entendent.
deus ex machina. Expression latine signifiant « le dieu qui descend d’une machine ». Il s’agissait d’un procédé de théâtre auquel on avait recours souvent pour permettre le dénouement dans le théâtre grec (surtout chez Euripide) et latin : un dieu descendait d’une plate-forme (avec cordes et poulies) pour résoudre les affaires humaines qui atteignaient un paroxysme de complexité et de tension. Par extension, l’expression désigne l’artifice -utilisé au théâtre pour résoudre une situation : reconnaissance, arrivée soudaine d’un personnage qu’on croyait mort ; l’arrivée du seigneur Anselme au cinquième acte de L’Avare de Molière en est un bon exemple.
dialogisme. Selon la théorie du poéticien russe du début du XXe siècle M. Bakhtine, le texte romanesque serait caractérisé par son dialogisme : dans chacun de ses énoncés se donnent à entendre diverses voix (narrateur, personnages), voire divers groupes sociaux (niveaux de langue, stéréotypie...). Les aspects les plus visibles de ce qu’on nomme aussi parfois polyphonie (même si ce terme a désormais pris des sens plus précis en linguistique) sont les faits de point de vue, de discours indirect libre, de contamination lexicale... et autres procédés techniques qui témoignent d’une hybridation énonciative, c’est-à-dire d’un effet de superposition des locuteurs.
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