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double énonciation. On considère qu’il y a double énonciation lorsqu’un énoncé explicitement adressé à une personne s’adresse aussi implicitement à une autre personne, en même temps mais à un autre titre. Les situations de double énonciation sont très fréquentes dans l’oralité quotidienne : dans le bus, « Tu ne peux pas faire attention à cette gentille dame ?» est à la fois un reproche du père à son enfant et une façon de s’excuser auprès de la dame. La double énonciation est constitutive du texte théâtral (comme de toute production littéraire revêtant une forme dialoguée, tel le roman par lettres) : les répliques échangées sont à la fois adressées à un personnage de la fiction et destinées au spectateur ou lecteur. La spécificité de cette situation énonciative explique ainsi que les répliques d’une pièce mentionnent fréquemment le nom des personnages, les liens de parenté, ou les lieux de l’intrigue, tous détails qui n’ont de pertinence que pour le spectateur qui doit comprendre l’intrigue. Les répliques de théâtre auront donc aussi une double valeur illocutoire et perlocutoire (voir ces mots) selon le destinataire envisagé ; le Gogo léger — branche pas casser qui humilie Vladimir dans En attendant Godot (S. Beckett, 1953) vise aussi à faire sourire ou méditer le spectateur. douzain. Poème ou strophe de douze vers (définition de Baudet Herenc, Doctrinal de la seconde rhétorique, 1432). C’est toujours une strophe composée. Exemple d’un douzain de Victor Hugo extrait de « Napoléon II » (Les Chants du crépuscule, 1835), en ababcccdeeed, forme fréquente de ses douzains :
Oh ! demain, c'est la grande chose !
De quoi demain sera-t-il fait ?
L’homme aujourd’hui sème la cause,
Demain Dieu fait mûrir l’effet.
Demain, c’est l’éclair dans la voile,
C’est le nuage sur l’étoile,
C’est un traître qui se dévoile,
C’est le bélier qui bat les tours,
C’est l’astre qui change de zone,
C’est Paris qui suit Babylone ;
Demain, c’est le sapin du trône,
Aujourd’hui, c’en est le velours ! doxa. Ce mot d’origine grecque signifie « opinion » : on s’en sert couramment pour désigner le cadre de vraisemblance dans lequel est construite toute argumentation rhétorique ; c’est tout ce qu’un public donné peut considérer comme vrai, ou. probable, et à partir de quoi on peut supposer les prémisses implicites de tout raisonnement endoxal. Au-delà de la pure argumentation, la doxa est au cœur de toutes les procédures de vraisemblance, que ce soit au théâtre ou dans le roman, car c’est elle qui fait que nous croyons ou non à ce qui est raconté. Certaines formes peuvent jouer avec la doxa de façon surprenante, comme le paradoxe. dramatisation/théâtralisation. Action de dramatiser, c’est-à-dire de donner à un texte ou à une autre forme de langage artistique une dimension théâtrale sérieuse, une tension analogue à celle d’un drame ou d’une tragédie. Il peut s’agir d’un procédé stylistique qui reste dans le cadre d’un genre non dramatique mais aussi de l’adaptation d’un roman pour le théâtre. Ne pas confondre la dramatisation et la théâtralisation, c’est-à-dire la représentation effective d’un texte, sa transposition dans des éléments visuels, dans un jeu d’acteur.

dramatisme. Éphémère mouvement littéraire qui se limita pour l’essentiel aux années 1913-1914 et dont le fondateur, le poète Henri-Martin Barzun, aurait souhaité faire le point de rencontre de divers jeunes courants littéraires (dont l’unanimisme et le futurisme). Son ambition était, contre le symbolisme finissant, de rapprocher la poésie des exigences de l’époque présente afin qu’elle exprime « par la polyphonie des voix le drame universel se renouvelant sur la scène du monde ». Mais Apollinaire n’ayant que fugitivement approché le dramatisme, aucune œuvre poétique de renom ne lui reste attachée. dramaturge. Le terme de dramaturge est utilisé à partir du XVIIIe siècle avec le sens d’auteur dramatique, mais avec une valeur souvent péjorative : « Mercier le dramaturge ». Sa signification aujourd’hui est marquée par la tradition brechtienne. Le dramaturge est une sorte de conseiller littéraire. Il prépare la représentation, réunit une documentation, fait un travail d’analyse, d’interprétation, et parfois d’adaptation du texte. Il rédige souvent aussi des textes d’accompagnement divers destinés au public et à la presse. Parfois, il intervient plus directement dans la mise en scène. dramaturgie. Nom collectif qui désigne au xxe siècle l’ensemble des techniques d’écriture propres au théâtre, puis le travail du dramaturge qui, pour préparer une mise en scène, met en évidence les structures formelles et idéologiques du texte, les phénomènes d’insistance, les relations à élaborer. Ce dédoublement de la mise en scène découle de la théorie brechtienne qui subordonne la mise en scène, mise en œuvre concrète des choix de la dramaturgie, à la dramaturgie, moment de la réflexion, de l’analyse littéraire et historique qui détermine l’interprétation globale de la pièce. Au XIXe siècle, le mot est pris souvent comme un synonyme de « poétique dramatique » {Hamburgische Dramaturgie, La Dramaturgie de Hambourg de Lessing, 1769). Jacques Schérer a intitulé La Dramaturgie classique en France son étude des structures internes de la pièce classique et des structures externes qui s’imposent à elle (formes nécessaires de la représentation, contraintes sociales, etc.).


drame. Le drame (du grec drama) désigne parfois toute œuvre dramatique. C’est dans ce sens qu’il s’introduit au XVIIIe siècle : « Poème composé pour le théâtre et représentant une action soit comique soit tragique. » (Académie, 1762). Mercier souligne que c’est le « mot collectif, le mot originel, le mot propre» (1773). Il est concurrencé, dans cet emploi, par le mot de comédie (on opposait autrefois le théâtre de comédie au théâtre lyrique). Mais dès le XVIIIe siècle, il désigne soit un genre neutre dont la définition est, en quelque sorte, négative, celui des pièces qui ne relèvent ni de fa comédie ni de la tragédie, soit un genre intermédiaire, mixte, entre comédie et tragédie. Genre non marqué ou genre mixte, théâtre en général ou genre précis, ces ambiguïtés subsistent encore et les qualificatifs successifs dont on a précisé le sens du mot ne les ont pas levées. Certains (seconde moitié du XVIIIe siècle) appelleront drame, puis drame bourgeois ce que Diderot appelle tragédie domestique ou comédie sérieuse. A la même époque naît le drame historique ; un peu plus tard, au tournant du XVIIIe siècle et du XIXe siècle, le mélodrame, puis le drame romantique et enfin le drame symboliste. L’influence de l’Allemagne, dont le théâtre se constitue en grande partie contre les modèles classiques français, et la découverte de Shakespeare en France contribuent à imposer de nouvelles formes^ de théâtre sérieux et ambitieux qu’on nommera drames. A la fin du xixe siècle et au début du XXe, chez Maeterlinck, Strindberg, Tchekhov, Hauptmann, Wedekind, Rolland, Claudel, on voit se dessiner un univers qu’on peut imputer au drame. Le drame n’a pas de caractéristiques formelles précises, ce qui le distingue de la tragédie. Il ne vise pas principalement à faire rire, même s’il peut contenir des passages comiques. Il peut s’accommoder du vers comme de la prose. Il peut s’achever par une fin heureuse ou, au contraire tragique. Il peut être proche du roman, de la tragédie, de la haute comédie ou ressusciter le souvenir du drame religieux médiéval. L’intérêt de ce mot, dans l’histoire des formes dramatiques, réside précisément dans la souplesse et la diversité de ses acceptions et des concepts qu’il désigne. Il renvoie encore aujourd’hui, dans la presse spécialisée, à une catégorie de films (drame psychologique, comédie dramatique).
drame bourgeois. Expression qui. désigne la forme du drame apparue au XVIIIe siècle avec les premières pièces de Diderot (1757-1758). Elle n’a guère été employée telle quelle au XVIIIe siècle et a servi surtout au XIXe siècle, où existait en effet la comédie bourgeoise, pour désigner les drames du siècle précédent. Au XVIIIe siècle, on a plutôt parlé de tragédie bourgeoise ou domestique pour souligner l'opposition avec la tragédie héroïque, de drame ou de genre dramatique sérieux (Beaumarchais). « Bourgeois » renvoyait du reste, plutôt qu’à une définition sociologique de classe, à la vie du citoyen, du citadin et à la vie privée. Le drame bourgeois peut ainsi porter à la scène des héros nobles ou même des rois ou des héros, mais ils sont présentés dans leur vie privée ou familiale. Le drame bourgeois s’apparente ainsi par certains aspects à la comédie larmoyante. Il est en prose plus souvent qu’en vers. Il use de ressorts pathétiques et fait appel directement à l’émotion des spectateurs. Il doit, selon Diderot, recourir aux « tableaux » plutôt qu’aux '«, coups de théâtre ». Ses personnages doivent être conçus plutôt comme des « conditions » que comme des « caractères ».

drame liturgique. Premières manifestations du théâtre médiéval, les drames liturgiques sont des transpositions dramatiques d’épisodes de la Bible ou de vies de saints, accompagnées de musique. D’abord en latin, ils admettent une proportion de plus en plus grande de passages en langue vulgaire (le Jeu d’Adam, du milieu du XIIe siècle, est presque entièrement en français). Ils étaient habituellement représentés dans les monastères et dans les églises. drame national (ou tragédie nationale). Sorte de drame ou de tragédie (XVIIIe siècle) qui présentait des héros de l’histoire de France dans un épisode caractéristique de leur action. Le drame national est né à la fois du besoin de renouvellement des sujets tragiques, qui conduisit un Voltaire à rechercher des sujets dans l’histoire médiévale (Tancrède, Zaïre), et des nouveaux affrontements idéologiques autour de l’image royale (Le Siège de Calais de De Belloy). La Mort de Louis XI, Jean Hennuyer de Mercier, François II du Président Hénault, Maillartae Sedaine sont des drames nationaux. Charles IX, de Marie-Joseph Chénier, est une tragédie nationale. Ces drames nationaux n’ont souvent pu être représentés. drame romantique. Le drame romantique se définit d’abord par opposition à la tragédie classique, secondairement par rapport au drame bourgeois. Depuis la fin du xviiie siècle, 1 esthétique de la tragédie se trouvait bousculée par la découverte progressive des drames de Shakespeare, puis de Schiller, par le succès populaire de nouvelles formes dramatiques comme le mélodrame, par les critiques théoriques venues d’Allemagne (Lessing, Schlegel), répercutées par Mme de Staël et par Benjamin Constant. D’autre part, les bouleversements de la Révolution et de l’Empire révèlent le dynamisme de l’Histoire et présentent d’autres types de héros et d’actions que ceux du théâtre inspiré de l’Antiquité. Cependant, le goût classique, tout-puissant sous l’Empire, soutenu par la critique et par les institutions (l'Académie, la Comédie-Française), restait intransigeant. D’où la violence de la polémique, dont la bataille d'Hernani (1830) ne fut que l’épisode le plus marquant. D’emblée, les deux noms de Racine et de Shakespeare cristallisèrent les oppositions. Stendhal en fait le titre du premier manifeste romantique {Racine et Shakespeare, 1823). Il y définit le drame à venir : « une tragédie en prose qui dure plusieurs mois et se passe en des lieux divers ».
Le rejet des unités de temps et de lieu est commun à tous les dramaturges romantiques. Le choix de la prose ne fut pas également suivi. Dans la Préface de Cromwell (1827), éclatant manifeste du drame romantique, Hugo préconise le vers. Il écrit en vers ses premiers drames : Cromwell (1827), Marion de Lorme (1829), Hernani (1830), Le roi s’amuse (1832). Il alternera ensuite : Lucrèce Borgia, Marie Tudor (1833), Angelo, tyran de Padoue (1835) sont en prose, Ruy Blas (1838) et Les Burgraves (1843) en vers. Dumas {Henri III et sa cour, 1829), Musset {Lorenzaccio, 1834), Nerval {Léo Burckart, 1838), choisissent la prose. Plus essentiel est le rejet de l’unité de ton, le mélange du comique et du tragique, du pathétique et de la fantaisie ou, comme le dit Hugo, du « grotesque » et du « sublime ». C’est qu’il s’agit de faire du drame le « miroir de la totalité d’une “société” » (A. Ubersfeld). Le souci de la couleur locale, l’importance donnée aux costumes et aux décors ne sont que la conséquence de la volonté de refléter un moment de l’Histoire, dans sa vérité et la multiplicité de ses acteurs. C’est par là que le drame romantique s’oppose au drame bourgeois, même quand il s’en rapproche en choisissant un sujet contemporain (A. Dumas, Antony, 1831 ; Vigny, Chatterton, 1835). Le succès de la nouvelle formule ne fut jamais total. Musset, après un premier échec, renonça à faire représenter ses pièces. On ne badine pas avec l’amour, publiée en 1834, ne fut créée qu’en 1861 et Lorenzaccio, le plus shakespearien des drames romantiques, ne fut pas écrit pour la scène. Beaucoup virent un symbole dans l’échec des Burgraves. Hugo, avec le Théâtre en liberté, n’écrira plus que pour des lecteurs. L’ouverture apportée par le drame romantique fut cependant décisive et Malraux pouvait affirmer avec quelque raison que le drame qui répond le mieux aux préceptes de la Préface de Cromwell n’ést pas Hemo.nl, mais Le Soulier de satin de Claudel.
drame symboliste. Né en France dans le milieu littéraire du symbolisme, à la fin du XIXe siècle, en réaction contre le naturalisme, qui incarnait l’avant-garde théâtrale, le drame symboliste a été particulièrement illustré par Axël de Villiers de l’Isle-Adam ainsi que Tête d’or (1889) et La Ville (1893) de Claudel, pièces qui d’abord n’ont pas été représentées. Il a trouvé en Lugné-Poe (théâtre d’Art dirigé par Paul Fort, puis théâtre de l’Œuvre) un metteur en scène inspiré. Il monte des auteurs Scandinaves (Ibsen et Strinberg), révèle Maeterlinck (Pelléas et Mélisande en 1893) et Jarry (Ubu roi en 1896) avant de mettre en scène Claudel (L’Annonce faite à Marie en 1912). Le drame symboliste a profondément marqué la mise en scène théâtrale : la scène offre au spectateur les éléments partiels d’un monde qui le renvoie au-delà, à un univers imaginaire ou idéal qu’il doit recréer lui-même..


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