fin’amor focalisation foire fonctions du langage forgerie formalisme fortune de l’œuvre fragments frequentatio fumisme futurisme
fin’amor (n. f., « amour parfait »). Conception nouvelle de l’amour, apparue en pays d’oc à la fin du XIe siècle, et célébrée par les troubadours dans la canso, puis, dans la seconde moitié du XIIe siècle, avec quelques infléchissements, par les trouvères de langue d’oïl dans le chant courtois. Inséparable de la courtoisie, elle imprègne une bonne part de la littérature des xiie et XIIIe siècles, en particulier le roman courtois. Cette conception repose sur la reconnaissance de l’essence de l’amour comme désir et sur le culte de celui-ci : d’où une tension, poétiquement productive, entre l’espérance d’une satisfaction et la crainte qu’elle ne fasse disparaître le désir. La Dame (domna en langue d’oc) est donc présentée comme d’un niveau social supérieur (obstacle à la satisfaction), comme la suzeraine de l’amant qui se définit comme son vassal (transposition au registre amoureux de la hiérarchie féodale). D’essence adultère (le mariage n’opposant pas l’obstacle nécessaire au désir), la fin’amor exige à la fois discrétion (les lauzengiers, dénonciateurs jaloux, veillent !), soumission, fidélité, service de la Dame. L’amant parfait (fin amant) doit mériter la Dame en manifestant toutes les vertus courtoises en même temps que son aptitude à supporter l’attente du surplus, euphémisme qui désigne la satisfaction charnelle. L’expression « amour courtois » a été créée au XIXe siècle pour désigner la fin’amor et son adaptation à la civilisation du nord de la France. En particulier, l’équivalence entre aimer et chanter, caractéristique de la fin’amor méridionale, et reprise par les trouvères, tend à être remplacée dans le roman par une équivalence entre aimer et combattre, l’aventure chevaleresque prenant le relais de la composition poétique. Mais dans tous les cas la fin’amor est conçue comme un principe d’amélioration de soi, qui signale l’appartenance à une élite du cœur. Dans le roman médiéval, le modèle même de la fin’amor est la relation qui unit Lancelot et Guenièvre.
focalisation. L’analyse structurale du roman appelle focalisation (ou vision) la façon dont est présentée l’information dans les textes narratifs. Il s’agit, pour faire vite, de répondre aux questions « qui perçoit ? qui juge ? ». Oii distingue souvent, à la suite de G. Genette, trois types de focalisation : la focalisation interne (les informations se confondent avec ce que sait ou perçoit un personnage, les jugements évaluatifs et les impressions lui appartiennent : Il n 'aurait jamais cru que les nuages, la nuit, pussent éblouir. Mais la pleine lune et toutes les constellations les changeaient en vagues rayonnantes, A. de Saint-Exupéry, Vol de nuit) ; la focalisation externe (l’information se confond avec ce que percevrait un éventuel observateur des actions, il n’y a pas de jugement subjectif : Ils ne disent rien. Ils sont à la limite de l’ombre. Ils regardent la table vide et les cierges [...]. De temps en temps quelqu’un tousse, J. Giono, Le Grand Troupeau) ; la focalisation-zéro (l’information n’est pas limitée : le texte donne par exemple accès à la conscience de nombreux personnages ; c’est le cas de ce qu’on nomme parfois la « narration omnisciente » : Maud et Mathieu pensaient à la guerre espagnole et ça les reposait de l’autre guerre, J.-P. Sartre, Le Sursis, 1945).
Focalisation. Terme qui désigne en grammaire la mise en valeur du propos (c’est-à-dire l’information nouvelle) d’une phrase : Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est lire. En narratologie, le terme, proposé par G. Genette, désigne la position du narrateur, celui qui parle, qui raconte, par rapport au personnage. On parle parfois aussi de point de vue, ou de vision (terme utilisé par Pouillon). En gros, trois types de focalisation peuvent être définis : 1. La focalisation zéro, ou vision par-derrière (ou au-dessus), dans laquelle le narrateur a le point de vue de Dieu sur ses personnages : dans ce cas, il est omniscient par rapport à eux, ce qui lui permet en particulier l’accès à leur vie intérieure et à leurs motivations profondes que souvent ils ne connaissent même pas eux-mêmes. Dans les romans réalistes et naturalistes, chez Balzac, Zola, par exemple, le narrateur a globalement une vision par-derrière, même si dans le détail il sait s’effacer. 2. La focalisation interne, ou vision avec, dans laquelle le narrateur ne dit que ce que sait et voit le personnage. Dans les termes de G. Blin, il y a alors restriction de champ. Le style indirect libre est un des moyens de rendre sensible la vision du personnage. Le monologue intérieur, comme dans les romans de Joyce ou de Nathalie Sarraute présente cette focalisation.
3. La focalisation externe, ou vision du dehors, où le narrateur s’en tient à ce qu’il peut observer du dehors de la conduite de ses personnages. Il s’agit alors d’un récit behavioriste. Le narrateur en sait alors moins sur les personnages qu’ils n’en savent eux-mêmes, et toute analyse de leurs pensées ou sentiments est exclue. Les romans de Hemingway illustrent cette focalisation. Ces différentes focalisations peuvent alterner, à des restrictions de champ pouvant succéder des commentaires du narrateur, des « intrusions » comme les appelle Blin. C’est souvent le cas chez Stendhal.
foire. Forme de théâtre qui s’est développée dans toute l’Europe, mais surtout à Paris à l’occasion des foires. La Foire Saint-Germain se tenait du 3 février au dimanche de la Passion et la Foire Saint-Laurent du 9 août au 29 septembre. A côté des spectacles de danseurs, d’acrobates, de marionnettes, s’installèrent des troupes, dès 1640, qui développèrent un « commerce » de spectacles qui attiraient un public nombreux et d’origine sociale variée. Elles jouèrent dans de petits théâtres de bois ou « loges ». Cette installation permanente caractérise le théâtre forain français et explique en partie son développement. Les diverses persécutions dont les troupes foraines furent victimes de la part des théâtres privilégiés (notamment la Comédie-Française) contraignirent ces acteurs à l’innovation dramaturgique : pièces « à la muette » (avec des écriteaux) ou chant quand on leur interdit de parler, monologues hilarants quand on leur interdit le dialogue. Les forains inventèrent ainsi l’opéra-comique. Ils recueillirent l’esprit d’innovation et certains types de la comédie italienne pendant la période où celle-ci était chassée de France (les dernières décennies du règne de Louis XIV) et firent appel à de bons auteurs comme Lesage, Piron, Fuze-lier ou d’Orneval. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, certains forains s’installèrent sur les boulevards et ce fut la naissance du théâtre de boulevard.
fonctions du langage. On doit à Roman Jakobson une célèbre liste des fonctions que peut ou doit remplir tout énoncé. Selon le linguiste russe, on peut associer une fonction à chacun des éléments mis en jeu dans la communication : au locuteur correspond la fonction expressive (l’énoncé met en évidence l’investissement affectif du locuteur : O rage ! O désespoir !) ; à l’allocutaire, la fonction conative (l’énoncé essaie d’influer sur la pensée ou l’action de l’allocutaire : Sèche tes pleurs, Chimène) ; au référent, la fonction dénotative (l’énoncé vise surtout à transmettre un contenu informatif : Il estime Rodrigue autant que vous l’aimez, P. Corneille, Le Cid) ; au code, la fonction métalinguistique (l’énoncé commente l’emploi même de telle formulation : Aimer et être amoureux ont des rapports difficiles, R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux) ; au contact, la fonction phatique (l’énoncé vérifie que la communication fonctionne bien : Allô, Mademoiselle, allô, J. Cocteau, La Voix humaine) ; au message même, la fonction poétique (l’énoncé crée un effet esthétique : Soleil cou coupé, G. Apollinaire, Alcools). Ces fonctions ne sont nullement exclusives les unes des autres, un même énoncé privilégie simplement une, deux, trois... d’entre elles. forgerie. Mot inventé complètement. Faux littéraire ou sorte de pastiche : Fingal et Témora sont des forgeries attribuées à Ossian et dont l’auteur véritable était Macpherson.
Fonctions du langage. Les différentes finalités du langage. On distingue trois grandes fonctions, la fonction cognitive, la fonction symbolique, et la fonction de communication. La première met en relation les signes et les choses : c’est en effet grâce au langage que nous imposons au monde une organisation. Les signes nous permettent de découper le réel et de l’appréhender. La fonction cognitive du langage est donc la possibilité que nous avons de connaître le monde à travers lui. La seconde met en relation les signes avec les autres signes et nous arrache au monde des choses. Le langage permet de détacher les signes de leurs référents pour construire des mondes imaginaires et évoquer des éléments absents. La troisième met en relation les signes avec autrui, et renvoie au fait que le langage est une pratique sociale. Le langage permet d’échanger des informations même si existe un inévitable décalage entre le locuteur et l’interlocuteur qui rend cet échange toujours imparfait. C’est dans le cadre de cette dernière grande fonction que Jakobson a défini six fonctions plus particulières. Selon que l’on met l’accent sur tel ou tel paramètre du schéma de la communication, on aura une fonction expressive (l’accent est mis sur l’expression du locuteur), conative (on cherche à agir sur l’interlocuteur pour modifier ses connaissances ou le persuader de faire telle ou telle action), référentielle (il s’agit avant tout de proposer des informations sur le monde), poétique (l’accent est mis sur le message en tant que tel et sur ses propriétés formelles), métalinguistique (le langage parle de lui-même), phatique (l’attention est attirée sur le contact entre les interlocuteurs que l’on cherche à prolonger ou à rétablir).
formalisme. On met sous cette étiquette toutes les démarches critiques qui privilégient dans l’étude des œuvres littéraires la recension et le fonctionnement des formes et contestent la prédominance des approches herméneutiques ou historiques. Le terme est particulièrement associé aux formalistes russes qui, dans le premier quart du XXe siècle, furent les premiers à utiliser une méthodologie linguistique pour l’analyse des œuvres et la formulation des problématiques littéraires.
fortune de l’œuvre. On désigne du nom de fortune l’histoire d’un texte ou d’une œuvre d’art après sa publication ou sa découverte première. C’est l’histoire des éditions, des représentations, des succès critiques ultérieurs, de l’intégration d’une œuvre dans un canon ou, au contraire, de sa disparition et de ses réapparitions.
fragments. Ce qui reste d’un texte dont l’essentiel a été perdu {Fragments d’Épicure) ; florilège (souvent posthume) de textes isolés, ne prétendant pas à l’unité {Fragments de Novalis), mais aussi genre littéraire d’une œuvre se présentant comme une série discontinue de passages réflexifs, poétiques, narratifs (R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux, 1977). Ce genre a été particulièrement en vogue sous le romantisme allemand et fut théorisé par Fr. Schlegel. En France, certaines œuvres ont la forme de fragments du seul fait des modalités de leur rédaction {Cahiers de P. Valéry), parce qu’elles relèvent délibérément d’une esthétique du « mélange » {Tel Quel, P. Valéry, 1941), des « bribes et morceaux » (G. Perros, Papiers collés, 1960-1978), ou parce quelles se présentent comme des parcelles d’un texte retrouvé {Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia, P. Quignard, 1984).
frequentatio (n. f.). Figure de rhétorique très usitée au Moyen Age, qui consiste en une accumulation d’attributs. Ainsi, dans Le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure : C’est lor esforz, c’est lor chasteaus, / C’est lor apuiz, c’est lor chadeaus [chef], ! C’est lor ados [soutien], c’est lor fiance (dans ce passage, la frequentatio est combinée avec l’anaphore). Le Roman de Brut de Wace (1155) est le premier à avoir mis cette figure à l’honneur.
frons (n. m.). Au Moyen Age, dans la canso occitane et le grand chant courtois de langue d’oïl, le frons désigne les quatre premiers vers de la strophe, généralement en rimes croisées, qui en constituent, du point de vue formel, la première partie (la seconde porte le nom de cauda).
fumisme. Terme apparu à la fin du XIXe siècle à partir de fumiste (dont le sens de « plaisantin » remonte à un vaudeville de 1840). L’esprit fumiste est un esprit de dérision et un ton nouveau mêlant à une forte dose d’humour noir de la raillerie, de cet « esprit de goguenardise singulièrement inventif et âcre » que J.-K. Huysmans notait chez Villiers de l’Isle-Adam, et plus généralement « le sens de la révolte et de l’absurde, le goût de la jubilation verbale et du second degré» (D. Grojnowski). Le club des Hydropathes et le cercle Zutiste sur la rive gauche, le cabaret du Chat Noir à Montmartre entre 1881 et 1898, en furent les hauts lieux. L’œuvre d’Alfred Jarry, d'Ubu roi (1896) aux chroniques de La Chandelle verte, en est l’illustration suprême. Mais on peut retrouver du fumisme dans les textes les plus divers, des Contes cruels de Villiers de l’Isle-Adam (1883) aux monologues de Charles Cros, des facéties d’Alphonse Allais aux Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon (1906). Variante historique de l’humour, « rire de la discordance et de la négation absolue » (B. Sarrazin), l’esprit fumiste annonce les formes les plus transgressives du rire moderne.
futurisme. Mouvement littéraire et artistique fondé par l’écrivain de langues française et italienne Filippo Tommaso Marinetti, qui publie en 1909 son Manifeste du futurisme, bientôt suivi par d’autres textes. Dans sa première période, de 1909 à la fin de la guerre, le futurisme rejette agressivement le passé pour privilégier la modernité de la ville, la société industrielle, la guerre et la vitesse. Les traductions littéraires de la doctrine sont les « mots en liberté », les « tableaux mot-libristes », la destruction de la syntaxe, l’usage des verbes à l’infinitif, etc., mais le mouvement trouve en France peu d’écho. Plus tard, le futurisme verra s’affirmer l’engagement politique de Marinetti, jusqu’à son soutien apporté au fascisme.
Futurisme. Mouvement littéraire avant-gardiste lancé en France et en Italie en 1909 par Marinetti qui publie un Manifeste du futurisme. Le futurisme fait l’apologie de la jeunesse et prône la vie moderne, la vitesse, le discontinu et même la violence de la guerre qu’il croit porteuse d’énergie. Il exalte les voitures, les avions, comme on en voit dans les tableaux de Robert Delaunay. Si Marinetti était excessif, s’il haïssait ce qu’il appelait le passéisme et voulait détruire tout ce qui est ancien, le mouvement français, sur lequel les peintres cubistes exercèrent une grande influence, fut plus modéré. En témoigne la réconciliation demandée par Apollinaire entre « la tradition » et « l’invention », entre « l’Ordre » et « l’Aventure ». C’est Apollinaire en effet, en particulier par ses critiques de peinture — la préface des Mamelles de Tirésias (1917) et la conférence prononcée en 1917 au Vieux-Colombier sur L’Esprit nouveau et les Poètes — qui fut en France un des inspirateurs principaux du mouvement. Les revues Sic de Pierre Albert-Birot et Nord-Sud de Pierre Reverdy permirent à ce dernier de s’exprimer. Si les poètes que l’on peut rattacher au futurisme mirent en pratique l’esthétique de la discontinuité, par exemple par le collage, ils n’allèrent pas jusqu’aux «Mots en liberté » de Marinetti. Celui-ci souhaitait en effet libérer les mots de la syntaxe, et les disposer sur la page en fonction d’émotions, de sensations, comme dans un tableau. Ces mots se retrouvent dans les tableaux des peintres italiens futuristes comme B alla, Carra ou Boccioni.
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