imprécations impromptu in absentia in praesentia incidence incipit incunable indiciaire individualisme inférence injonction
imprécations. Vœux et souhaits dictés par la colère et par la haine. Chez les Anciens, les imprécations pouvaient même constituer un rite public dirigé contre un criminel. L’efficacité des imprécations, qui lient parole et action sur le monde, a une valeur théâtrale forte et la scène d’imprécations est devenue une scène topique dans la tragédie. Exemples célèbres : les imprécations de Camille contre Rome dans l’Horace de Corneille : Rome, l’unique objet de mon ressentiment ! / Rome à qui vient ton bras d’immoler mon amant ! etc. (IV, 5) ; celles de Thésée qui appelle sur son fils Hippolyte la vengeance de Neptune dans Phèdre (IV, 2).
impromptu. Court poème improvisé, sorte d’épigramme de circonstance qui relève du divertissement mondain. Sorte de comédie qui se donne faussement pour improvisée et joue souvent sur une dimension autoréférentielle : L’Impromptu de Versailles de Molière en est le modèle. Certaines pièces se donnent pour des impromptus, surtout à la fin du XVIIIe siècle, mais aussi au XXe siècle (Giraudoux, L’Impromptu de Paris ; Pirandello, Ce soir on improvise). D’autres comédies jouent sur l’idée de la pièce de théâtre en train de naître ou sur la représentation en préparation, sans pour autant se donner explicitement comme impromptus : Est-il bon ? Est-il méchant ? de Diderot, La Répétition interrompue de Favart, Les Acteurs de bonne foi de Marivaux.
in absentia. On dit d’une métaphore qu’elle est in absentia lorsque le terme comparé est implicite et que seul figure le comparant. Exemple : Cette faucille d’or dans le champ des étoiles. (Victor Hugo) Le comparé n’est pas dit mais il est évident : c’est le croissant de lune (le croissant fin et clair) dont il est question dans le précédent quatrain.
in praesentia. Une métaphore est dite in praesentia lorsqu’elle présente les deux termes, le comparant et le comparé : Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres (Baudelaire) Comparé : mille pensers; comparant : chrysalides funèbres.
incidence. Dans les manuscrits cycliques, au Moyen Age, ce terme désigne l’insertion de tout ou partie d’une chanson de geste au milieu d’une autre, dans l’intention de relater à leur place chronologique relative des événements qui sont censés être contemporains. Ainsi, dans l’un des manuscrits du cycle de Guillaume d’Orange, les Enfances Guillaume sont insérées au milieu de la chanson des Narbonnais, puis le Siège de Barbastre et Guibert d’Andrenas au milieu des Enfances Vivien, enfin la Mort Aimeri prend place au milieu du Moniage Rainouart : le mot incidence figure à deux reprises dans des rubriques {Incidences. Ici comence la bataille des Sagytaires et la mort d’Aymeri).
incipit (n. m. inv., mot emprunté au latin signifiant « [ici] commence »). Dans son acception philologique, il désigne, en particulier pour les littératures du Moyen Age et de la Renaissance, le premier vers ou les premiers mots d’un texte, qui peuvent tenir lieu de titre (les éditions d’œuvres poétiques donnent fréquemment une table des incipit). Dans son acception narratologique, plus fréquente, il désigne le début d’un roman ou d’une nouvelle, l’ouverture d’un récit. L’incipit a ici une double fonction : il présente le dispositif narratif (le récit est-il à la première personne ? etc.) et permet la mise en place de l’univers fictionnel. L’incipit qui insiste essentiellement sur la première fonction fait office de captatio benevolentiae, il instaure d’abord un rapport entre un narrateur et un lecteur dont il capte l’intérêt et l’attention (le narrateur explique par exemple comment il a eu accès à ce qui suit : Ces cahiers ont été trouvés parmi les papiers d’Antoine Roquentin, J.-P. Sartre, La Nausée, 1938). L’incipit qui insiste essentiellement sur la seconde fonction prend soit la forme d’une présentation réaliste de l’univers de référence {Madame Vauquer, née de Conflans, est une vieille dame..., H. de Balzac, Le Père Goriot, 1835), ou alors d’un début in médias res (« au milieu de l’action », expression venue de l’Art poétique d’Horace, v. 148), procédé qui consiste à faire comme si le lecteur avait déjà connaissance des données fondamentales de la fiction {Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ?, A. Malraux, La Condition humaine, 1933).
incunable (du latin incunabula, « du berceau » [de l’imprimerie]). Ce terme désigne les tout premiers livres imprimés, antérieurs aux années 1500-1520. Les premiers datent des années 1450-1460, mais le procédé de l’impression existait probablement depuis les années 1436-1440. La typographie est celle des manuscrits (gothique bâtarde en particulier pour les textes littéraires) ; cependant, l’usage des abréviations tend rapidement à disparaître. Les incunables ont été imprimés principalement à Paris et à Lyon, par des imprimeurs comme Trepperel ou Antoine Vérard.
indiciaire (n. m.). Fonction de chroniqueur officiel à la cour des ducs de Bourgogne, au XVe siècle, qui semble procéder du désir des ducs de calquer pour leur État la tradition historiographique que l’abbaye de Saint-Denis jouait au service des rois de France. Les indiciaires sont chargés d’écrire l’histoire dans Un but de justification politique et de glorification dynastique. Georges Chastel-lain, Jean Molinet et Jean Lemaire de Belges ont été indiciaires. Leur art est très marqué par la grande rhétorique qui fleurit dans la poésie à la même époque (eux-mêmes ont composé de la poésie et appartiennent au courant des
Grands Rhétoriqueurs).
individualisme. Le terme désigne, en médiévistique, la théorie, inaugurée par Joseph Bédier dans Les Légendes épiques (Paris, 1908-1913), selon laquelle les chansons de geste, loin d’être le fruit d’une création populaire et collective étalée dans le temps, doivent leur composition à un individu précis, conscient de son art : «Au commencement était le Poète. » Cette théorie s’oppose au traditionalisme.
inférence. En narratologie, on appelle inférence toute information que le lecteur tend à ajouter spontanément à celles que le texte lui fournit. Les faits d’inférence sont des phénomènes cognitifs complexes, mais dont chacun peut constater le rôle dans notre interprétation des énoncés : ainsi, l’énoncé « il y avait un poisson et un canari » conduit l’auditeur à imaginer un poisson jaune ou rouge, tandis que l’énoncé « il y avait un poisson et une mouette » appelle l’image d’un poisson gris, parce que « canari » guide les inférences vers un univers domestique, et « mouette » vers un univers marin. La compréhension d’un énoncé passe donc par la gestion d’informations de deux types, les unes prédiquées (exprimées), les autres inférées : dans notre exemple, la nature de l’oiseau est prédiquée, tandis que celle du poisson est seulement inférée. Les mécanismes d’inférence ont une importance considérable dans la création de la diégèse. On voit bien qu’il suffit de faire commuter les prénoms dans une phrase telle que l’ouverture d'Aurélien d’Aragon (1944) pour que l’univers référentiel que construit le lecteur ne soit plus du tout le même : La première fois qu’Aurélien [Kevin/Enzo/Georges] vit Bérénice [Lætitia/Grazia/Marcelle], il la trouva franchement laide. Tandis que la paire Kevin/Lætitia conduit le lecteur à placer spontanément le récit dans les années 1990 et un milieu social populaire, Enzo/Grazia amène logiquement le lecteur à situer l’action en Italie ; Georges/Marcelle recule l’action de plusieurs décennies, ou semble mettre en scène des personnages sensiblement plus âgés que Kevin et Lætitia.
infinitif de narration. Emploi verbal de l’infinitif précédé de « de » et avec un sujet exprimé : Et mon chat de crier, et le rat d’accourir (La Fontaine, Fables, « Le Chat et le Rat »). Il appartenait à la langue non soutenue au XVIIe siècle, mais est aujourd’hui perçu comme archaïque ou littéraire. Il ne se rencontre plus qu’en contexte narratif, où il tend à marquer une accélération de l’action menant le plus souvent à sa conclusion.
injonction. Une des quatre modalités de la phrase (avec l’assertion, l’exclamation et l’interrogation), l’injonction est le statut de tout énoncé qui exprime l’ordre ou l’interdiction. Plus encore que le recours à l’impératif (« Sors d’ici ! ») ou à une phrase averbale (« Hors d’ici, tout de suite ! »), cette modalité est caractérisée à l’oral par une intonation mélodique descendante qui suffit à rendre injonctifs des énoncés sans aucune marque morphosyntaxique (« Tu te tais immédiatement ! »). Les énoncés injonctifs se limitent rarement à cette seule valeur illocu-toire, ils cumulent le plus souvent — particulièrement dans les textes littéraires - des valeurs secondaires (émotives, argumentatives ou phatiques, par exemple) : Va, cours, vole, et nous venge ! (P. Corneille, Le Cid, I, 5).