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lettrine lettrisme lever de rideau lexème lexicalisation lexique libertin licence poétique locuteur/énonciateur logocentrisme

lettrine. Lettre ornée dans un manuscrit médiéval. L’ornementation peut consister en un simple coloriage (généralement en rouge ou en bleu), ou présenter une décoration plus élaborée (follicules, petits personnages ou petits animaux entrelacés avec la structure de la lettre, etc.). Le terme recouvre donc plusieurs types : la lettre ornée (entrelacs, rinceaux, volutes...), la lettre historiée (comportant une représentation humaine ou animale), la lettre champie (dorée sur un fond de couleur, et décorée de fils blancs ou orange), entre autres variétés.

lettrisme Le mot «lettrisme» est inventé en 1942 par Isidore Isou. Son but est de mettre en avant exclusivement ce qu’il considère comme la base matérielle et première de toute poésie : la lettre. Les poèmes sont librement ordonnés sans souci de signification et cet art nouveau, à proférer comme une partition, porte le nom de « lettrie ». Les productions lettristes sont aussi bien de nature sonore et ludique (cris, onomatopées, création de néologismes) que de nature graphique et typographique (idéogrammes, dessins, signes). La recherche ne se limite pas à l’art poétique ; elle s’étend à d’autres domaines, artistiques ou non essai, cinéma, collage, affiche, peinture, théâtre, économie, politique, érotisme, etc.


lever de rideau. Courte pièce en un acte jouée avant la pièce principale à partir du XIXe siècle niais, le plus souvent, après la grande pièce depuis Molière (aux XVIIe et XVIIIe siècles, on disait « la petite pièce »). On jouait parfois à la suite, et après un prologue, trois petites pièces au XVIIIe siècle, formant un « ambigu-comique » (usage, semble-t-il, inventé par Lesage). Ce « petit » genre a néanmoins connu des chefs-d’œuvre comme L’Ile des esclaves de Marivaux, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée de Musset, L’Affaire de la rue de Lourcine de Labiche ou Feu la mère de Madame de Feydeau.

lexème (n. m.). On utilise parfois le terme de lexème de préférence à « mot », jugé trop ambigu. Un lexème est donc une unité lexicale formant un tout : « roman » est un lexème simple ; « mise en scène » est un lexème composé, c’est-à-dire formé de plusieurs lexèmes ayant, par ailleurs, une existence autonome (mise, en, scène).


lexicalisation. Processus de figement d’une composition lexicale ; les conséquences syntaxiques de ce figement sont nombreuses (insécabilité, non-variation en degré...) : on peut dire : « Je tombe des nues », mais pas « Des nues, j’en tombe souvent quand... », « Je tombe des plus hautes nues »... L’expression « tomber des nues » est donc lexicalisée. Le sens du syntagme lexicalisé ne se confond pas avec la somme des signifiés des composants (« sage-femme » ne désigne plus une femme qui aurait pour caractéristique d’être sage) ; cependant, les textes littéraires ont souvent cherché à remotiver la composition première : elle accoucha, de moi sans sage-femme, si Von ne veut appeler sages celles de la compagnie qui étaient alentour d’elle (Ch. Sorel, Histoire comique de Francion, 1623).

lexique. Ensemble des mots, simples et composés, des tournures que possède une langue ou dont dispose un locuteur. Lexique est le plus souvent considéré comme un synonyme de vocabulaire. La lexicologie, science du lexique, étudie la morphologie (formation) et la sémantique (sens) des unités lexicales ; la lexicographie recense ces unités et en dresse des dictionnaires. On considère traditionnellement qu’une langue (et donc un texte) est la mise en jeu d’unités signifiantes (le lexique), organisées selon des règles combinatoires (la grammaire).


libertin. Adjectif devenu substantif, ce terme désigne tout d’abord des libres-penseurs (du latin libertinus, « affranchi »), qui s’inscrivaient dans la lignée de la philosophie matérialiste défendue par certains courants humanistes ; il en est venu peu à peu à désigner toute personne vivant avec des mœurs très libres, comme on en voit dans la littérature du XVIIIe siècle, de Crébillon fils au marquis de Sade. Le mot a donc une histoire complexe. En réalité, l’image du libertin est très difficile à bien cerner, car nombre des audaces qui lui sont attribuées viennent de ses adversaires (comme le P. Garasse). Mais cela a contribué à dessiner un type d’intellectuel libre de parole et peu soucieux des convenances sociales qui triomphera avec l’esprit des Lumières, même s’il semble alors devenu plus soucieux de débauche que de critique philosophique, rejoignant ainsi l’image immorale qu’avaient esquissée les polémistes de la première moitié du XVIIe siècle. Ce courant a influencé la littérature : roman, avec Sorel (Francion, 1623) et Cyrano {L’Autre Monde, 1657) ; poésie, avec Théophile de Viau (1590-1626) ou Mme Deshoulières (1637-1694).

licence poétique. Liberté que donne l’expression poétique de transgresser certaines normes de la langue. C’est particulièrement vérifiable dans la poésie classique, soumise à des règles assez strictes (licences orthographiques, comme d’écrire « avec » avecque ou encore avecques selon les exigences du décompte syllabique, inversions grammaticales, ellipses, etc.). Dans la poésie moderne, le langage est en liberté, et parler de licence poétique peut paraître obsolète.

lipogramme (n. m., du grec leipein, « laisser », et gramma, «lettre»). Œuvre littéraire fondée sur une contrainte : l’abandon, dans son écriture, d’une ou de plusieurs lettres. Voici les premières phrases du « Lipogramme en A, en E et en Z » de Raymond Queneau : Ondoyons un poupon, dit Orgon, fil d’Ubu. Bouffins choux, bijoux, poux, puis du mou, au confit, buvons non point un grog : un punch. Il but du vin itou, du rhum, du whisky, du coco, puis il dormit sur un roc.


lisible/scriptible. Selon R. Barthes (SIZ, 1970), tout texte littéraire obéit à l’une de ces deux esthétiques : celle du « lisible » (le lecteur n’a pas d’effort particulier à faire pour accéder à un sens qui lui est directement présenté par le texte ; c’est le cas de la plupart des œuvres littéraires dites classiques) ; celle du « scriptible » (le texte exige un fort investissement du lecteur pour qu’il comprenne tout à la fois sa signification la plus immédiate et son sens le plus profond; c’est le cas de la plupart des œuvres dites modernes). Dans Le Plaisir du texte (1973), Barthes doublera l’opposition texte lisible/texte scriptible d’une opposition texte de plaisir/texte de jouissance, selon une gradation fondée sur une analogie sexuelle. La distinction lisible/scriptible recoupe en partie l’opposition proposée par Umberto Eco (L’Œuvre ouverte, 1962) entre « œuvres fermées » (laissant peu de jeu au lecteur dans la production du sens) et « œuvres ouvertes » (qui ne proposent pas au lecteur une signification constituée).

litanie (n. f., du grec litaneia, « prière »). Au singulier, le mot désigne une énumération longue et ennuyeuse, et au pluriel, une prière formée de courtes invocations, telles les « Litanies de Satan » de Baudelaire, dont voici le début : O toi, le plus savant et le plus beau des Anges, Dieu trahi par le sort et privé de louanges, O Satan, prends pitié de ma longue misère ! O Prince de l’exil, à qui l’on a fait tort, Et qui, vaincu, toujours te redresses plus fort, O Satan, prends pitié de ma longue misère ! litote (n. f.). Cette figure de rhétorique consiste à utiliser une tournure qui atténue l’expression pour faire entendre un signifié beaucoup plus fort. L’exemple topique qui est cité est celui de Chimène qui dit à Rodrigue : Va, je ne te hais point, pour lui faire comprendre qu’elle l’aime toujours passionnément.

littéralisme. Courant poétique des toutes dernières décennies du XXe siècle, héritier pour une part de Ponge, qui s’attache à réduire la place de la métaphore et à ramener le langage à une certaine littéralité. Un représentant du littéralisme, Jean-Marie Gleize, oppose ainsi au vers célèbre d’Eluard : La terre est bleue comme une orange, celui de Marcelin Pleynet : Le mur du fond est un mur de chaux. L’ambition du littéralisme, à l’opposé de tout lyrisme, peut alors signifier le désir de dire la réalité au plus près, indépendamment du je, ou se radicaliser en des énoncés fragmentés, dépouillés, marqués par des blancs. « Quand je dis que ce que j’écris est littéral, note Emmanuel Hocquard, je veux dire que mes énoncés sont à prendre au pied de la lettre, tels qu’ils sont reproduits noir sur blanc » {Cette histoire est la mienne, 1997).

littérarité. Caractère de ce qui est littéraire, de ce qui appartient à la littérature. Le mot traduit le terme russe literatumost forgé par Roman Jakobson. De nombreux théoriciens ont cherché à donner une définition satisfaisante de la littérarité, mais aucune ne s’est imposée à ce jour. Notons néanmoins que deux types d’approches dominent : on considère soit que la littérarité est à chercher au niveau de la nature et du fonctionnement langagier des textes mêmes (mise en valeur du rythme, densité des images et des figures, caractéristiques lexicales et grammaticales...), soit qu’elle n’est rien d autre qu’un statut qu’on attribue par convention à certains textes et qui commande la lecture de plaisir qu’on en fait.


livre. En ancien français, ce terme apparaît quelquefois dans le titre d’un ouvrage. Il peut alors désigner soit une mise en recueil (Livre des cent ballades, par exemple, fin XIVe siècle), soit un ouvrage qui prétend avoir un contenu à valeur spirituelle (Haut Livré du Graal, autre titre du Perlesvaus, début XIIIe siècle), soit une composition historique qui se présente comme le recueil des hauts faits d’un chevalier exceptionnel (« Livre des faits » de Jacques de Lalaing ; ou de Jean le Meingre dit Boucicaut, ou encore de Gilles de Chin, au XVe siècle). Quelques traités techniques (Livre de Jean Raisin, recueil de législation flamande, XIVe siècle) ou encyclopédiques (Livre du trésor de Brunet Latin, XIIIe siècle) utilisent également ce terme, issu de l’usage des traités en latin (qui s’intitulent fréquemment Liber de...). On retrouve toujours derrière ce terme les connotations de dignité qui s’attachent au Moyen Age à l’écrit.

locus amoenus. Au sens propre, cela signifie « lieu agréable » : c’est un des « lieux » (au second sens de topos, celui que lui donne E.-R. Curtius : une image conventionnelle) les plus célèbres de la tradition littéraire occidentale. Cette expression désigne en effet le cadre idéal de la vie rustique, où les bergers, les bergères et les nymphes vivent leurs amours au son des flûtes et au rythme de la vie pastorale. Ses -éléments sont avant tout l’ombre d’un arbre et les eaux d’un ruisseau - héritage de l’univers antique de la bucolique grecque et latine, où l’ombre et la fraîcheur sont des biens précieux au regard de la chaleur méditerranéenne —, agrémentées de fleurs (car la saison attachée à ce lieu est la « reverdie », le printemps). Cela s’oppose au locus terribilis, escarpé et menaçant, où la sensibilité romantique ira chercher le sentiment du sublime. On le trouve donc dans les principaux genres liés à la pastorale, théâtre, roman et poésie, et il inspire les décors concrets de la scène aussi bien que la peinture de paysage, au moins jusqu’à l’impressionnisme.


locuteur/énonciateur. Depuis O. Ducrot, on distingue le locuteur qui produit les paroles et l’énonciateur qui les assume. Le plus souvent, locuteur et énonciateur ne font qu’un. Parfois, leur division est franche : le traducteur, par exemple, produit des énoncés sur le contenu desquels il ne s’engage pas ; parfois aussi, la distinction est plus subtile, par exemple dans le cas du discours indirect libre ou de l’ironie. Dans les lignes de Marivaux qui suivent, Sylvia est ainsi le locuteur de l’ensemble du passage, mais elle n’est pas l’énonciateur des mots soulignés, où elle reprend - pour s’en irriter - les propos de sa servante : Voyez-vous le mauvais esprit ! moi, je vous querelle pour lui ! j’ai bonne opinion de lui ! Vous me manquez de respect jusque-là ! (Le Jeu de l’amour et du hasard). Le mot « valideur » est souvent préféré à « énonciateur », parce qu’il est moins ambigu.


logocentrisme. Caractéristique du rapport occidental au langage conçu comme vecteur idéal du vrai : on considère qu’il est possible de former des énoncés qui rendront exactement compte du réel, et que produire de tels énoncés est le but principal de la réflexion humaine. Ce logocentrisme (cette obsession du mot) passe aussi par un phonocentrisme qui donne la priorité et le primat à l’oral sur l’écrit. L’écrit serait au mieux une simple transcription de l’oral, au pire une représentation biaisée et morte de la parole en contexte. La grammatologie se définit comme contestation de cette hiérarchie et de la métaphysique sur laquelle elle repose.