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MALHERBE François de 1555-1628

MALHERBE François de 1555-1628

Poète, né à Caen. Sans fortune et avide de gloire, il va perdre les cinquante premières années de son existence à chercher un emploi, c’est-à-dire dans le sens classique du terme, un protecteur : le duc d’Angoulême, d’abord (1576), qu’il doit suivre dans ses plus lointains déplacements, et qui meurt bientôt assassiné. Alors il cherche du côté du roi lui-même - le dévot Henri III - et à cet effet lui dédie son premier chef-d’œuvre, encore « préclassique » par son exubérance : Les Larmes de saint Pierre (1587). Mais en vain. Puis il tente sa chance auprès de la reine Marie de Médicis (Ode de bienvenue, 1600). Sans plus de succès. Ce n’est qu’en 1605 qu’il arrive à être présenté au roi Henri IV, dont il sera nommé « écuyer ». Dès lors, poète de cour, il est reçu et fêté dans le salon de la galante Mme d’Auchy (qu’il désigne comme sa bien-aimée dans Les Sonnets à Caliste, 1609). Pour finir, il fera figure de chef d’école, et, pis encore - une génération avant Boileau - de théoricien de l’ordre en matière d’art, contre la nouvelle vague de l’irréalisme baroque (Théophile). Un dernier poème de basse flatterie, L'Ode au roi Louis XIII (1628), et il meurt. Dans notre XXe siècle, Malherbe a tout pour déplaire au public ; et, en particulier, à la jeunesse écolière, qui, après avoir, hier, découvert Chrétien de Troyes et Rutebeuf, apprend à connaître aujourd’hui d’Aubigné, un des plus puissants poètes de la Renaissance, et conspue, en leur nom, Boileau et sa traditionnelle formule « Enfin Malherbe vint », à quoi souvent l’on ajoute (avec Banville) « et la poésie, en le voyant arriver, s’en alla ». Or, un poète aussi original que Francis Ponge, récemment, consacre un livre entier d’hommage à cet auteur qu’il tient pour exemplaire (1965, voir la bibliographie ci-après). Le dossier Malherbe ne semble donc pas encore « classé ». Notons, d’ailleurs, que Boileau n’entend rien à Malherbe, en fait, et ne lui reconnaît, au-delà de son rôle historique, qu’un talent très limité de précurseur, de poète mineur : « La vérité est que la nature n’avait pas fait Malherbe grand poète » (lettre de Boileau à Maucroix, 1695). Entre Boileau qui le méconnaît et Francis Ponge qui le donne en exemple, c’est à celui-ci que nous prêterons plutôt l’oreille, ainsi d’ailleurs qu’à Chénier (« On voit combien Malherbe était né à notre poésie, combien son oreille était délicate et pure dans le choix et l’enchaînement de syllabes, sonores et harmonieuses, et dans cette musique de ses vers, qu’aucun de nos poètes n’a surpassée ») ; à Baudelaire aussi, qui l’a longuement « pratiqué » ; à Mallarmé qui imite les « sonnets galants » de Malherbe dans Placet futile. Au total, ce poète, au cours des siècles et de nos jours encore, ne cesse de jouer, pour la technique de la poésie, le rôle que joue Bossuet pour la technique de la prose : il est un écrivain pour écrivains. Un modèle ; mieux encore, un exercice.
Et d’abord, à l’abandon (qui est parfois tenu pour la vertu propre aux lyriques), Malherbe préfère la tension. Son vers plein, dense, nerveux, fuit le bourrage, la « cheville » et (vice majeur à ses yeux), le débit « coulant » : l’épanchement, que chériront plus tard les élégiaques au siècle romantique. Il appelle de tous ses vœux la contrainte la plus rigoureuse : Mon goût, dit-il, cherche l'empêchement. Sans aucun doute, la poétique de Malherbe a gagné du terrain dans la mesure où celle d’un Lamartine, par exemple, facile et abondante, s’est vue de nos jours un peu dévaluée. Ensuite, au subjectif il préfère l’objet. Le but d’un poème n’est pas d’exprimer l’âme du poète, mais de parvenir à la fabrication d’un objet concret : le poème. Humilité - en apparence, du moins - puisque l’auteur n’a plus le droit de se laisser aller à l’exhibitionnisme. Son personnage n’intéresse personne. Ni démiurge, ni victime expiatoire, ni mage, ni guide, le spécialiste de l’art des vers ne se reconnaît aucune fonction sociale, aucune mission : Un bon poète, nous dit Malherbe, n'est pas plus utile à l'Etat qu'un joueur de quilles. Ce qui fait le grand artiste, ce n’est pas le « génie », au sens grec - le daimon -, c’est plus simplement la valeur artisanale du travail qu’il laisse sortir de son établi, de ses mains. Quant à lui, Malherbe se définissait un excellent arrangeur de syllabes (on pense à cette autre auto-définition, qui est celle du poète Queneau : « un forgeron de rythmes »). Humilité de pure apparence, disions-nous, car cet objet façonné par le poète ne se propose pas moins que de saisir le temps au vol, afin de le pétrifier à jamais. Il élève une marque éternelle, ainsi que le promet le fanfaron Malherbe à sa bien-aimée, Charlotte d’Auchy (Sonnet à Caliste). Monument d’un moment, le poème assure l’immortalité tout ensemble au destinataire (dernier vers de L'Ode sur les heureux succès de la Régence) et à l’expéditeur (dernier vers de L'Ode sur les heureux succès du voyage royal) ; on notera d’ailleurs que le dernier vers de chacune de ces deux odes est le même à un mot près : les sujets (qu’ils soient modèle ou sculpteur) s’en iront ; l’objet demeure éternellement.
Enfin, au naturel, Malherbe préfère l’artificiel, et c’est là sans conteste son plus aventureux parti. Laissant au prosateur l’allure aisée dans le cheminement de la syntaxe (et son corrélatif : la démarche logique, « pédestre », dans la conduite de la pensée), le poète Malherbe se fait gloire de ce que son domaine, où règnent en tyrans le rythme, la symétrie et la rime, soit au rebours de la vie. Il admire que le poème constitue le cas limite de cet artifice qui est, au sens propre, l’art (l’artiste, comme l’artisan d’ailleurs, n’est-il pas l’homme de l’artifice : Vartifex ?). Il revendique avec hauteur le droit de ne pas calquer la réalité, mais au contraire de tricher avec elle. Tantôt rusant, tournant l’obstacle. Tantôt brusquant, faisant violence à la nature, comme il advient dans ces beaux jardins, dit-il, où s’apprivoisent même les arbres et les eaux, et si chers à son coeur par cela même qu’ils représentent pour lui le comble de l’arbitraire et de la rigueur. Aux rimes dites à bon droit « plates », il substitue ces jeux de rappels où alternent rimes croisées et rimes embrassées. Le perpétuel ronron des alexandrins se voit ici délaissé pour la stance, dont le « schème » capricieux, longuement concerté, sera dès lors maintenu infailliblement, implacablement, tout au long du poème. Malherbe s’amuse à faire se succéder des mètres inusités, voire incompatibles. Il recourt à l’« impair » (que redécouvrira deux siècles après lui Verlaine). Ainsi dans certaine « Chanson » de 1627, Sus, debout, la merveille des belles, bâtie selon un plan rythmique peu banal (2 décasyllabes précédés de 2 vers de neuf pieds) ; pièce délicieuse, au surplus : Malherbe y fait sortir de l’onde devant nos yeux le jeune soleil, et rit de lui voir sur la tête / Ses rayons comme un chapeau de fête. Au-delà du Malherbe scolaire il vaut la peine, d’ailleurs, d’apprendre à connaître ce Malherbe adorable et inattendu des chansons, dites aussi « chansonnettes », qui furent mises en musique à l’époque par Guesdron, Boësset, et tous les maîtres du luth (sans parler de ses sonnets galants ; voir la bibliographie ci-après).

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