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MALRAUX André 1901-1976

MALRAUX André 1901-1976
Romancier et essayiste, né à Paris. Il a lui-même raconté sa vie - et en particulier sa jeunesse encore mal connue, d’ailleurs - tant par le biais de ses romans que dans ses très discutables Antimémoires (1968). Au surplus, le mémorialiste est si loin du jeune révolutionnaire que les romans restent encore un meilleur document pour ses biographes. Fut-il élève de l’École des langues orientales? Fut-il chargé d’une mission archéologique officielle dans le haut Laos? Ce qui est sûr, c’est qu’il prend part à la fondation du mouvement révolutionnaire Jeune-Annam, et que colons ou « administratifs » avaient grand intérêt à déshonorer ce jeune homme trop courageux et trop intelligent. Après son inculpation pour acte de vandalisme artistique et prélèvement de bas-reliefs, nous le retrouvons en Europe, où il milite contre le fascisme mondial, alors en pleine croissance. Il enquête personnellement dans les prisons et camps nazis ; s’engage en Espagne, dans les rangs des républicains ; fait la guerre de 1939 dans les chars, est blessé, fait prisonnier, s’évade ; s’engage dans la Résistance, puis dans l’Armée de libération. Parallèlement, dès 1926, il s’est imposé d’emblée comme le plus puissant remueur d’idées de son temps avec l’essai D’une jeunesse européenne (augurant que peut-être l'Occident [a] épuisé la voie de son triomphe, il met notre civilisation en garde contre un abandon au chaos) ; œuvre prophétique, à quoi seuls prêteront l’oreille quelques lettrés, et, pour le reste, ses amis politiques. Mais déjà il se lance dans une première série de trois romans : La Tentation de l'Occident (1926, qui est essentiellement un dialogue entre un jeune Français et un jeune Chinois), Les Conquérants (1928), et La Voie royale (1930). Ces œuvres romanesques doivent beaucoup à l’expérience de leur jeune et aventureux auteur ; il en sera de même, sans aucun doute, des trois autres grands romans. Et c’est très bien ainsi : l’angoisse que nous fait ressentir physiquement Malraux, l’appréhension perpétuelle de la mort, on voit bien qu’il l’éprouve en écrivant ; qu’il la vit de nouveau. C’est pourquoi nous serons surpris de trouver, en ses héros, des sages.
L’« aventurier » véritable ne se soucie pas de ce que le public appelle romans d’aventure et que ne produisent plus guère que d’élégiaques et placides employés de banque; livres féroces dont l’éditeur orne la « bande d’amorce publicitaire » de ce programme enchanteur : « de l’action ». (Trop heureux quand ce n’est pas : « de la bagarre » ou « du sang ».) Le sang? il en sort. L’action? le romancier Malraux n’en parle que peu, au total : avec une sobriété qu’on pourrait dire janséniste, et comme à son corps défendant. Ce sont bien plutôt, pour l’essentiel, des méditations sur l’action : sur le bon usage de la révolution et de l’aventure ; et, parfois, une interrogation sur leur utilité. La Condition humaine (1933), c’est l’écrasement des communistes chinois à Shanghai en 1927 au milieu d’une ville cosmopolite, désœuvrée et indifférente au massacre ; Le Temps du mépris (1935) et L'Espoir (1937), ce sont les deux termes successifs de la pensée du révolutionnaire, héros unique sous des noms successifs de cette prodigieuse série romanesque. Héros jeune, et, néanmoins, suffisamment mûri par les combats pour nourrir encore quelque illusion sur leur valeur, il tente avec une mauvaise foi désespérée de nier l’inanité finale de tant de luttes, et, las de n’y pas parvenir par le raisonnement, la nie encore une fois par l’héroïsme quotidien. Par l’action, dès lors qu’elle est menée dans la communion fraternelle, car c’est bien ce combat « commun » qui, seul, peut la fonder en valeur. Notons encore que ces surprenants héros ne sont pas héroïques à proprement parler (pas au sens vulgaire du mot, s’entend); pas héroïques, en ceci que leurs actes de bravoure ne sont pas d’abord des actes de foi. Est-ce au nom d’une cause que meurt un personnage de Malraux? Non, sans doute; et c’est avant tout pour sauvegarder la dignité de l’homme en lui, que, dans Le Temps du mépris, un homme se laisse exécuter à la place d’un autre. Bien plus, il advient que ces idéalistes peu dégoûtés fassent servir à leur fin, quand il leur prend envie, les pires crapules ; ou les pires dévoyés. Tels que ce baron de Clappique (La Condition humaine) qui, sachant que Kyo va être arrêté, s’attarde dans une équivoque maison de jeu, et, réveillé enfin à la réalité, s’emploie dans tous les sens et de toutes ses forces (alors même qu’il n’est plus temps) pour faire libérer son ami.
Cette conscience aiguë des limites de l’action tant sur le plan moral que sur le plan pratique (et aussi la position politique ultérieure de l’auteur) ont amené certains critiques à penser que l’activité du révolutionnaire n’avait été dans l’esprit de Malraux qu’une sorte d’activité personnelle : un problème métaphysique momentanément résolu, et pour son propre compte. Une simple continuation de l’aventure par d’autres moyens. Mais qui oserait dire qu’on fait un tel métier en amateur? En chacun de ses combats, Malraux s’est engagé tout entier. Comme son personnage Katow (La Condition humaine) qui, fait prisonnier, livre sa propre réserve de poison à deux autres condamnés et se laisse brûler vif, notre romancier a bien dû, dans sa jeunesse, voir non loin de lui ce geste de vérifier, là, à portée de main, sa « dose de cyanure » (ou l’équivalent : arme blanche ou revolver). Mais, plus encore, il est paradoxal qu’on ait suspecté de narcissisme un homme qui ne peut s’intéresser, sans doute par une sorte d’impuissance, à tout ce qui n’est qu’affaire personnelle : il s’ennuie avec lui-même ; entouré, il se sent vivre enfin. Que m'importe (dira-t-il encore au temps des Antimémoires) ce qui n'importe qu'à moi. Pour l’athée Malraux, on ne peut faire son salut tout seul, mais par la lutte ; c’est-à-dire : ensemble ou pas du tout. En 1943, le romancier nous annonçait le début d’un cycle intitulé La Lutte avec l'ange. Il va l’amorcer en cette même année par un beau roman recueilli, Les Noyers de l'Altenburg, qui trouve sa source d’inspiration dans l’expérience de la guerre. Mais cette œuvre projetée ne se continue-t-elle pas (sans solution de continuité, pour ainsi dire, et sous le même titre de Lutte avec l'ange) dans un autre registre? à savoir dans cette longue interrogation sur le but et sur le sens même de l’activité artistique, tant du point de vue du créateur que de l’homme en général (Psychologie de l'art, 3 vol., 1947-1949 ; refondus en 1951 sous le titre Les Voix du silence). Car c’est bien d’une lutte, en effet, qu’il est ici question. Lutte sans espoir et sans répit recommencée, depuis la préhistoire, contre la mort, l’angoisse ; et lutte aussi contre le meilleur de soi-même, pour l’artiste, qui ressent, mieux que quiconque, ce défi jeté à l’absolu! (ce combat avec Fange) comme tragique. Mais, nous dit Malraux, c’est l'homme que les astres nient, et c'est à l'homme que parle Rembrandt. Corps de pitié passés sans trace, que l'humanité soit ce néant où de pauvres mains tirent à jamais, de la terre qui porte les marques de la demi-béte aurigna-cienne et celle de la mort des empires, des images dont l'indifférence ou la communion rend le même témoignage de votre dignité (Les Voix du silence).

■ Œuvres- En poche: Les Conquérants (Le Livre de Poche). - La Voie royale (id.). - La Condition humaine (Folio). - L'Espoir (id.). - Les Chênes qu'on abat. (id.). - Autres : Les Voix du silence (Gallimard, coll. Galerie de la Pléiade). - Antimémoires (Gallimard). - Œuvres complètes, sous la dir. de P. Brunei (Bibl. de la Pléiade, nouv. éd., 1989).