MAROT Clément 1496-1544
MAROT Clément
1496-1544
Poète, né à Cahors. Fils de Jean Marot, poète courtisan, le jeune Clément se propose bien vite de le suivre sur ce terrain, et sollicite une pension royale par sa première Épitre au roi. Celui-ci préfère passer le candidat à sa sœur, la future reine de Navarre (1518), qui pour l’heure l’embauche en qualité de secrétaire, mais, en fait, le passe à son mari, le duc d’Alençon. Pendant plusieurs années, le poète va suivre le duc aux armées en qualité de chroniqueur. Du moins peut-il tout à loisir s’adonner à son œuvre. La reine de Navarre l’initie alors à la philosophie. Puis le léger Marot se découvre, comme elle, une passion inattendue pour les Évangiles et de proche en proche pour les idées de la Réforme. Dans le même temps, de nouvelles Épîtres au roi vont faire de lui le poète « le mieux en cour ». En 1526 il est incarcéré (pour avoir « mangé le lard » en temps de carême) et de nouveau en 1527. De cette expérience, il tirera la matière de son poème vengeur L'Enfer (longtemps inédit), où sont dénoncés les tortionnaires de la prison du Châtelet. Son premier ouvrage public, un recueil de poèmes, L'Adolescence clémentine (1532), lui vaut un triomphe aussi éclatant qu’immédiat. Pourtant, dès 1535, le retour offensif contre les « hérétiques » qui suit l’affaire dite des Placards (des affiches condamnant la messe, apposées sur les murs mêmes des églises) l’incite à fuir en Italie, à Ferrare, auprès de la duchesse Renée de France (qui sera la dédicataire d’un délicieux Épithalame). Il est autorisé à revenir l’année suivante, après une humiliante séance « d’abjuration » de tous ses péchés et erreurs. Or, à la cour, l’attend la surprise de se voir supplanté par le médiocre et venimeux poète François Sagon, qu’il ridiculise dans L'Épître de Fripelippes, valet de Marot, à Sagon (Zon dessus l'œil, zon sur le groin / Zon sur le dos du sagouin). Le voilà réintronisé poète officiel de François Ier, qui d’ailleurs abandonnera bien vite (1542) le délicieux Marot. Motif : décidément, trop compromis avec les hérétiques. Exilé à Genève, il constate avec joie que la réputation de son Psautier huguenot plaide en sa faveur. Mais une nouvelle déception l’attend : jugé trop joyeux (et trop compromis, décidément, avec l’humanisme renaissant), Marot se voit décrété indésirable dans la rude république de Calvin. Il se réfugie en Savoie ; de là, à Turin (1544), où il meurt dans l’année.
« Poète de cour », « poète sur commande », a-t-on dit. Mais c’est selon l’humeur et son bon plaisir qu’il adresse aux grands ses épîtres, ou qu’il saisit l’occasion d’un événement, pittoresque, joyeux, solennel, pour entonner ce Te Deum et ce De profundis laïques que sont L'Ode triomphale ou Le Thrène funèbre. Il advient même qu’il soit immédiatement payé, et, si l’on ose dire, « à la pièce » : ainsi, dans le cas de L'Épître au roi pour le jour de l'an 1532 (chef-d’œuvre de grâce, d’ailleurs, et aussi de subtile insolence).
Si l’« épître » est sans contredit le genre le plus profitable à l’époque, l’épigramme, légère et vive, sinon agressive, est contre-indiquée pour un poète à gages; et cependant c’est là le genre entre tous chéri par Marot tout au long de sa carrière. Effleurant la victime, faussement flatteuse à l’occasion, naïve même (D’Anne qui me jecta de la neige, que Ravel mettra en musique), érotique (Le Beau Tétin ; qui lancera la mode des « blasons », hommages à tel ou tel morceau choisi du corps féminin : bouche, orteil, sourcil, nombril, etc.) ; mais hardie aussi, ou même virulente. Par exemple (la plus belle, sans contredit, de ses épigrammes) celle qu’il a dédiée à la mémoire du fier seigneur de Semblançay, arbitrairement condamné à mort :
...Et Semblançay fut si ferme gaillard
Que Von croyait qu’il menât pendre
À Maufaucon lé lieutenant Maillard.
On l’a comparé à La Fontaine (qui, de fait, l’a bien « pratiqué »). Sur le plan littéraire proprement dit, le rapprochement flatte un peu Marot, plus ingénieux qu’ingénu, mais il fit preuve en tout temps d’un plus grand courage, et le paya fort cher : prisons, abjuration publique imposée par la hiérarchie de l’Église, exils répétés, et disgrâce finale. Ainsi qu’il l’a dit lui-même : Il ne faut que deux faux témoins / Au temps qui court pour faire un homme / Roustir au feu comme une pomme.
Boileau croit lui faire un grand honneur en louant son « charmant badinage ». Les poèmes d’exil, les psaumes du grave Psautier huguenot (entre autres. Comm’on oït le cerf bruire... mis en musique par le fantasque Claude Lejeune et le farouche Goudimel) ; ou L’Enfer, œuvre vengeresse qui décrit les tortures qu’il a vu infliger à ses compagnons de prison ; enfin les Élégies adressées à la jeune Anne d’Alençon qui lui inspire une passion brûlante mais chaste, toutes ces œuvres suffiront-elles à remettre à sa vraie place un poète aussi savoureux, spontané, imprévisible, qui n’eut que le tort de rester lui-même ? Désarmant de simplicité et de naturel, en un temps où les imitateurs du subtil Pétrarque envahissent la scène littéraire ; huguenot amoureux de la vie, en un temps ou « l’esprit de réforme » ne se conçoit que sur le mode ascétique, il fut tenu par les uns et par les autres pour trop dangereux de son vivant ; et, depuis l’époque classique, pour trop frivole. La critique moderne le découvre dans son inépuisable richesse, sa ferveur religieuse, sa puissance satirique ; Les Élégies sont enfin publiées et commentées, et L’Enfer est édité en Amérique (voir la bibliographie ci-après). N’est-il pas juste de le voir à son tour l’heureuse victime des érudits, ce poète qui le premier songea à rééditer (1533) et à présenter au roi l’œuvre d’un confrère alors oublié de tous ses contemporains : François Villon?
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