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MICHELET Jules 1798-1874

MICHELET Jules 1798-1874

Historien, né à Paris. « Historien » mais aussi « philosophe et poète » (comme le lui écrivait Hugo en 1860). Né de parents pauvres, il doit travailler dès l’âge de douze ans, puis partager son temps entre les cours du lycée et l’imprimerie familiale (son père est ruiné par les mesures du Consulat et de l’Empire contre la presse). À ce compte, il ne sera bachelier qu’avec quelques bonnes années de retard ; mais en trois ans il obtient licence, agrégation et enfin doctorat es lettres. Dès lors, professeur d’histoire à Sainte-Barbe (1824), il « régularise » une liaison avec Pauline Rousseau, son aînée de sept ans, qu’il délaissera vite pour la belle Mme Dumesnil. Une première œuvre, Principes de la philosophie de l’histoire, d’après Vico (1826), est déjà l’amorce de sa théorie de l’histoire conçue comme une explication globale : de la vie, et, aussi, du développement de l’espèce humaine (une résurrection de la vie intégrale). C’est dans cette optique nouvelle qu’il écrit l’introduction à l’Histoire universelle (1831). Vers 1830 il a conçu le grandiose projet d’une Histoire de France qui doit être son « œuvre unique ». Nommé à la direction du département historique des Archives nationales, il va pouvoir pendant plus de vingt ans (1831-1853) disposer de documents de première main. Enfin, le poste de « professeur d’histoire et de morale » au Collège de France (1838) lui permet - jouant sur le deuxième élément de son titre - de donner à son exposé proprement historique un tour plus personnel ; voire, à l’occasion, anti-gouvernemental. Ses deux collègues Edgar Quinet et l’exilé polonais Adam Mickiewicz lui font écho, dans les amphithéâtres voisins. En marge de la première partie de son Histoire de France (1833-1843), il donne ce chef-d’œuvre, Le Peuple (1846), et, avec Edgar Quinet, Les Jésuites (1843), travail où on retrouve peu de son génie. La révolution prolétarienne de juin 1848 qu’il estime avoir favorisée par son Histoire de la Révolution française (tomes I et II, 1847) se solde par un échec sanglant qui le laisse quelque temps dans un véritable état de prostration. Mais en 1849, son mariage avec une jeune institutrice, née et élevée à la campagne, Athénaïs Mialaret (il a cinquante et un ans; elle; vingt-trois), détermine chez lui un regain d’enthousiasme dont son œuvre va bénéficier. Quand le prince-président Louis-Napoléon devient empereur, Michelet refuse de prêter serment (1853), ce qui lui vaut d’être destitué de son poste au Collège de France et, pis encore pour lui, chassé de ses Archives. Il essaie de s’installer à Nantes, puis en Italie, connaît la gêne. De retour à Paris en 1855, il reprend l’Histoire de France (« Temps modernes », 1855-1867) et la série de ses œuvres extra-historiques : L’Oiseau, L’Insecte, La Mer, La Montagne, d’une part ; de l’autre, L’Amour, La Femme, La Bible de l’humanité. On ne sait où classer l’étonnante Sorcière (1862), « histoire et roman », selon Roland Barthes (réhabilitation, en tout cas, de la femme, « mainteneuse » de la vie), œuvre très controversée, dont la réédition en livre de poche a connu le plus grand succès.

Le désastre français de 1870-1871 l’affecte gravement et - peut-être -déclenche une crise d’apoplexie. Il traîne encore trois ans, termine son Histoire du XIXe siècle, et meurt, laissant à sa jeune veuve le soin de publier un volumineux Journal intime. À ses funérailles, on comptera derrière son cercueil un cortège de plus de dix mille personnes ; en particulier un grand nombre de délégations des pays les plus divers : Pologne, Roumanie, Brésil... À peine est-il mort cependant que son œuvre va être mise en question ; si ce n’est prise à partie. La « droite » lui reproche le caractère polémique de ses livres, indignes de la sérénité de l’historien. Il est de fait que, dès la IIe section livrée au public de sa monumentale Histoire de France (Révolution), le ton monte. Quant à la section Temps modernes (c’est-à-dire XVIe siècle et période versaillaise) ce n’est plus qu’un long réquisitoire, insistant, méticuleux; parfois aussi - la chose est pourtant rare chez l’auteur -monotone. Son génie même, en un pareil cas, joue contre lui : alors que le thème de la révolution l’exaltait, ici sa force semble perdre soudain tout pouvoir, et s’épuiser sur ce mode négatif qui ne lui est pas favorable. La « gauche classique » à l’inverse, lui reproche son recours abusif à la sentimentalité (Ce livre, je l'ai fait de moi-même, de ma vie et de mon cœur [...] Aimez, pour le salut du monde, etc.) et son excessive confiance en l’adversaire, en ses « offres de paix ». Certes, ce fils de pauvres n’a rien oublié des avanies qu’on lui fit subir en sa jeunesse, et il sait dénoncer à l’occasion la haine véritablement raciale du bourgeois pour le prolétaire : Que trois hommes se rencontrent dans la rue à causer de salaires, le bourgeois s'épouvante; il crie, il appelle main-forte [...] La plupart des gouvernements, il faut le dire, ont spéculé sur ce triste progrès de la peur. Mais il a naïvement cru en quelque future union sacrée ; si ce n’est en une communion, autour de l'idée de la France. (Cette France à qui il adresse ses prières, cette France à qui il dit tu : Eh bien, ma grande France, je te remercie encore.) Et puis aussi Michelet, malgré tous les gages donnés aux Français anticléricaux, leur semble encore bien suspect par ses visions fiévreuses d’illuminé, ses accès d’exaltation mystique : Dans ces jours mémorables une grande lumière se fit, et j'aperçus la France. Si Michelet n’a cessé d’être attaqué de l’un et de l’autre bord depuis près d’un siècle, il semble que la critique moderne porte un jugement plus nuancé sur lui ; sur l’historien d’abord, et aussi, d’une façon plus générale, sur l’écrivain. La première réhabilitation lui est venue d’un autre grand historien, Camille Jullian, qui loua chez cet auteur, tenu naguère pour trop subjectif et trop imaginatif, un travail scrupuleux et fondé toujours sur « de solides assises d’érudition » ; plus encore : effectué « d’après les sources ». Mais au contraire nous louons aujourd’hui, plus volontiers que sa probité et son application, l’imagination même du poète Michelet, c’est-à-dire cette faculté foncièrement extra-scientifique qui l’amène, d’une part, à deviner ce qu’il ignore (parce qu’ici ou là ses documents comportent une lacune), d’autre part, à évoquer devant nos yeux ce qu’il n’a pu voir (parce que nul, fût-il présent, ne vit jamais l’ensemble d’une bataille, d’une révolution). Ces « visions », dont on lui a fait grief, sont parfois des intuitions, des vues synthétiques, de foudroyants coups de sonde, dont, plus d’une fois, un document découvert par la suite a confirmé la justesse. Lorsque Lanson nommait Michelet « historien de génie », il laissait entendre par cet éloge ambigu que le génie est peut-être incompatible avec l’histoire. Plus personne ne le pense aujourd’hui ; mais Michelet, pour sa part, douta pendant quarante ans que sa méthode fût bonne : Puisse mon Histoire imparfaite s'absorber dans un monument plus digne, où s'accordent mieux la science et l'inspiration.
La postérité n’a guère songé, par contre, à rouvrir le dossier de ses autres travaux, incroyablement divers, éléments épars d’une vaste encyclopédie populaire et qu’on pourrait appeler des ouvrages de vulgarisation lyrique : L'Oiseau (1856), L'Insecte (1857), La Mer (1861), La Montagne (1868) et encore La Femme (1859), La Bible de l'humanité (1864). Sans parler de L'Étudiant (allié de l’ouvrier, dit-il), livre très actuel, composé en 1848. Non pas qu’on ne puisse y trouver de nouvelles raisons d’admirer Michelet, ce singulier « homme d’archives », qui a tout observé sur le terrain et tout compris ; qui sait quand, et pourquoi, le héron se sent triste ; pourquoi et comment la montagne s’anime certains jours d’une vie sourde, énorme et lente ; où et quand nous pouvons surprendre les couples d’insectes dans leurs noces parées (car, nous dit-il, la nature a voulu naturellement glorifier leur hymen). Sur la femme pourtant, sa force achoppe ; et même la pénétration, faculté maîtresse de ce grand poète, pour une fois n’a pas pu jouer : maladroitement, il l’écrase sous des hommages sincères mais disproportionnés (Il n'y a point de vieille femme [...] On ne sait pas assez combien les femmes sont une aristocratie. Elle est inconstante et fidèle, elle va muant sans cesse dans le crépuscule de la grâce [...] Celle que tu aimas ce matin n'est pas la femme du soir). Il semble tour à tour l’avoir mise - et sans trop faire de différence - très au-dessous de l’homme ou très au-dessus. Ce qu’il ne sait pas voir (ni même concevoir dans un avenir lointain), c’est la femme de plain-pied avec l’homme.
Enfin, Michelet nous réservait une surprise : son Journal. Ce ton si personnel, qui apparaît déjà dans les premiers ouvrages d’histoire (parfois chaleureux ou même cordial, parfois au contraire âpre, chaotique, frémissant, passant du cri d’enthousiasme au haut-le-cœur et de nouveau à l’élan d’espoir, à la joie un peu fébrile), trouve ici son débit le plus favorable. Non pas tempéré, certes, mais moins saccadé et haletant. Le rythme oratoire (et même déclamatoire parfois) qui pouvait choquer chez l’historien dans telles de ses apostrophes au public, n’a plus ici sa place. Et jamais Michelet n’a autant donné raison que dans cette œuvre posthume à la maxime qu’il énonçait en sa jeunesse (4 juillet 1820) [c’est nous ici qui soulignons] : Le style n'est que le mouvement de l'âme.


■ Œuvres - En poche: Jeanne d'Arc [et autres textes] (Folio). - Histoire de la Révolution : les grandes journées (Le Livre de Poche/Nouvelle approche). -La Sorcière (Garnier-Flammarion). - Le Peuple (id.). - Autres : L'Etudiant, prés, par G. Picon (Le Seuil, coll. Pierres vives, 1970). - Histoire de la Révolution, éd. par G. Walter (2 vol., Bibl. de la Pléiade). - Journal, 1828 à 1874, t. 1 et 2 éd. par P. Viallaneix; t. 3 et 4 éd. par C. Digeon (id.).
■ Critique - J.-M. Carré, Michelet et son temps (Perrin, 1926). - R. Barthes, Michelet (Le Seuil, coll. Ecrivains de toujours, 1954, nouv. éd. 1966). - R. Barthes, La Sorcière (dans Essais critiques, Le Seuil, coll. Tel Quel).