MOLIÈRE [Jean-Baptiste Poquelin] 1622-1673
MOLIÈRE [Jean-Baptiste Poquelin] 1622-1673
1. Résumé chronologique de sa vie. - 2. Résumé chronologique de son œuvre. - 3. Molière « à la cour ». - 4. Molière « à la ville ». -5. Molière aujourd'hui. Poète dramatique et comédien, né à Paris. L’article « Molière » aura dans ce dictionnaire - et il devait en être ainsi, sans doute - une place à part. Plus longuement développé d’abord (puisqu’il s’agit du plus grand, du plus universel de nos classiques) ; mais aussi, moins descriptif, moins didactiquement traité que les autres articles (car personne ne viendra chercher ici le récit détaillé de Tartuffe, du Misanthrope ou des Fourberies de Scapin). Quant à prétendre apporter quelque éclairage inattendu, quelque nouvel angle de « prise de vues », la simple lecture de la bibliographie annexée en fin d’article montre assez la vanité d’une telle ambition. On ne trouvera donc ci-dessous qu’un aide-mémoire chronologique de la vie, puis de l’œuvre, suivi d’un exposé des principales discussions ou « querelles » (à l’occasion extra-littéraires et même d’ordre franchement politique, ou religieux, voire sexuel) que Molière a suscitées, sans interruption depuis trois siècles, et qui suffisent à prouver combien cette œuvre est vivante. Résumé chronologique de sa vie 1622. - Jean-Baptiste Poquelin naît à Paris près des Halles, fils d’un riche marchand tapissier. 1633 à 1640. - Il reçoit une solide éducation chez les jésuites du collège de Clermont. 1640-1641. - Ses condisciples Chapelle et Cyrano de Bergerac lui font connaître les théories du philosophe matérialiste Pierre Gassend, dit Gassendi (dont il n’a pas été personnellement l’élève, malgré la légende). 1642. - Envoyé à Orléans pour étudier le droit : il semble que son père veuille contrarier sa passion naissante pour le théâtre (la tradition nous le représente prenant des leçons de l’acteur italien Tiberio Fiorelli, dit Scaramouche). 1643 (21 ans). - Il signe avec les Béjart l’acte de fondation de l’illustre Théâtre. Madeleine Béjart est en fait la directrice ; Tallemant des Réaux parle d’elle en ces termes dans ses Historiettes (1658) : « Un garçon nommé Molière quitta les bancs de la Sorbonne pour la suivre. » (Mais c’est la vocation sans aucun doute, plus que l’amour, qui explique l’initiative aventureuse de Molière.) La troupe débute en province.
1643. - Mort de Louis XIII. Début de la Régence. 1644. - Molière joue pour la première fois à Paris, au jeu de paume des Métayers (acte du 28 juin) ; il est déjà directeur de la troupe et adopte, à cette époque environ, son pseudonyme. 1645 (23 ans). - Emprisonné pour dettes au Châtelet, durant quelques jours. Fin de l’illustre Théâtre, qui fusionne avec la troupe itinérante de Dufresne. 1645 à 1658 (de 23 à 36 ans). - La troupe va « pérégriner » pendant quatorze ans ; tour à tour protégée par le duc d’Épernon, gouverneur de Guyenne, puis par le prince de Conti, frère du Grand Condé et gouverneur du Languedoc (qui se convertit bientôt, et retire son patronage), enfin par le gouverneur de Normandie. Il compose les premières pièces de son futur répertoire parisien : L’Étourdi et Le Dépit amoureux. 1658 (36 ans). - De retour à Paris, il fait jouer ces deux pièces dans la salle du Petit-Bourbon, où le roi, qui l’a vu jouer avec plaisir au Louvre, vient de l’établir. La troupe est désormais protégée par Monsieur, frère du roi. 1660 (38 ans). - On imprime pour la première fois une de ses pièces (Les Précieuses ridicules) qui a triomphé l’année précédente. 1661. - Début du règne personnel de Louis XIV (qui a alors 23 ans). Construction du « premier » Versailles (Louis Le Vau, et surtout, Le Nôtre). 1661. - Le roi installe Molière dans la salle du Palais-Royal (destinée par Richelieu, naguère, à la représentation de ses propres ouvrages dramatiques) et lui alloue la première pension royale accordée à un « comédien ». Étonnés et jaloux, déjà, ses rivaux de l’hôtel de Bourgogne suscitent une campagne de calomnies. Les Fâcheux, première comédie-ballet, jouée chez Fouquet à Vaux, devant le roi. 1662 (40 ans). - L’École des femmes déchaîne à Paris une « guerre comique » (en particulier, le Portrait du peintre, de Boursault). Et Molière y intervient personnellement l’année suivante avec la Critique de « L’École des femmes » et L’Impromptu de Versailles. En outre, il épouse, au début de 1662, la sœur de sa maîtresse Madeleine Béjart, Amande, de vingt ans plus jeune que lui, et que ses ennemis (Montfleury, entre autres) disent être sa propre fille ; les historiens et dix-septiémistes actuels n’en sont pas du tout convaincus : «jeune sœur et non, semble-t-il, fille de Madeleine », écrit Jacques Scherer (1958). Enfin Molière est ouvertement accusé d’impiété, si ce n’est d’athéisme, par son confrère Donneau de Visé ; la reine mère appuie cette dénonciation (lourde de conséquences à l’époque) auprès du roi.
1664 (42 ans). - Le premier-né de Molière a pour parrain Louis XIV, et pour marraine la belle-sœur du roi, « Madame ». Les fêtes dites des « Plaisirs de Pile enchantée » sont données à Versailles « en l’honneur des reines » (hommage, en fait, à Louise de La Vallière) avec la participation occasionnelle du roi en qualité d’acteur et même de danseur ; elles ont pour maître d’œuvre Molière, déjà mis à contribution par le roi l’année précédente pour L'Impromptu de Versailles (avec succès), et (sans aucun succès) pour une curieuse tentative, très proche de la tragédie : Don Garde de Navarre, ou le Prince jaloux. Au programme de ces fêtes, Le Mariage forcé, comédie-ballet, et une première version, en trois actes, de Tartuffe ; représentation sans incidents, d’ailleurs, mais qui sera suivie d’une « interdiction pour la ville », sous l’influence du « parti dévot » conduit par la reine mère et l’ancien protecteur de Molière, le prince de Conti, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement. (Cette même année voit la dispersion des religieuses de Port-Royal de Paris.) 1665. - Don Juan passe à la ville avec succès, mais, jugé plus qu’équivoque sur le plan religieux, disparaît de l’affiche sur intervention du parti dévot, et sans que le roi soit consulté. La troupe devient « Troupe du roi » et se voit allouer, sur ordre royal, 6 000 livres de pension. 1666 (44 ans). - Molière, malade depuis un an (il mourra de tuberculose), loue une maison de campagne à Auteuil, alors fort éloigné des murs de Paris. Son Misanthrope est donné sans succès à la ville ; mais il se console avec le triomphe à Saint-Germain, devant la cour, du « Ballet des Muses » qui comporte trois courtes comédies, entre autres ce chef-d’œuvre de fantaisie poétique : Le Sicilien ou l'Amour peintre. La reine mère, Anne d’Autriche, est morte depuis le début de 1666, et c’est désormais le point culminant (1666-1671 environ) de la période « païenne » du Roi-Soleil : la mort inattendue de « Madame », à vingt-six ans (1670), va donner le premier coup de frein à la fougue du jeune Louis XIV (qui renonce, par exemple, à danser en public dans les ballets et comédies-ballets). 1667. - Croyant à une autorisation du roi, Molière joue le Tartuffe à la ville ; le président Lamoignon fait interdire la pièce dès le lendemain.
1668. - Succès à la cour d'Amphitryon qui flatte les amours extraconjugales de Louis XIV et de Mme de Montespan. 1669. - Le roi lève l’interdiction de «jouer à la ville » le Tartuffe. On notera que la pièce n’a jamais été interdite devant la cour, ni dans les hôtels particuliers des riches et des nobles (chez Ninon de Lenclos, chez « M. le Prince » à l’hôtel Condé), qui reçoivent régulièrement des troupes théâtrales en visite. Sur le plan de la vie privée, Armande et Molière ont décidé depuis quelque temps de vivre « à part » ; ils ne se retrouvent que sur scène. Une autre de ses comédiennes, Mlle de Brie, console Molière. > 1669-1671. - L'Avare, prévu pour le public de « la ville », a été un échec à la ville (fin 1668) et, pendant trois ans, Molière va se rabattre sur la cour, qui, tant à Versailles qu’à Chambord, aux Tuileries et à Saint-Germain, le porte aux nues ainsi que son coéquipier Lulli (« les deux Baptistes »). 1671. - Triomphe, aux Tuileries, devant le roi, de Psyché, « tragédie-ballet » (en collaboration avec Corneille, qui écrira plus de la moitié des vers) ; ce qui incite Molière à transformer son théâtre parisien du Palais-Royal, afin de pouvoir y représenter son répertoire de cour ; il l’inaugure en juillet avec cette même Psyché (qui remporte le même succès). Lulli, jaloux, se brouille avec lui de propos délibéré. 1672 (50 ans). - Succès à la ville des Femmes savantes, par quoi Molière retourne à la « grande comédie ». Madeleine Béjart, l’ancienne maîtresse, meurt. Réconcilié avec Armande, il s’installe rue de Richelieu, où il mourra. 1673. - Le Malade imaginaire, destiné à la cour (et dont la musique a été commandée à Marc-Antoine Charpentier), n’y est pas représenté par suite des manœuvres de Lulli, qui réussit, de plus, à faire tomber Molière en disgrâce auprès du roi. Joué à la ville « avec les ballets et divertissements » (bien réduits du fait de Lulli), Le Malade imaginaire triomphe ; mais Molière, pris de convulsions durant la quatrième représentation, meurt le soir même chez lui (17 février). Destiné comme tous les comédiens à la « fosse commune », il est enterré le 21, de nuit, au cimetière Saint-Joseph (sur intervention du roi lui-même). Lulli, aussitôt, reçoit des mains de Louis XIV le Théâtre du Palais-Royal pour en faire l’Opéra.