MUSSET Alfred de 1810-1857
MUSSET Alfred de
1810-1857
1. Le poète lyrique. - 2. « Comédies et proverbes». -
3. Musset jugé par lui-même.
Poète lyrique et poète dramatique, né à Paris.
Le poète lyrique
L'enfant prodige (et terrible, aussi) de la promotion 1830. Son recueil de vers, Contes d'Espagne et d'Italie, révèle un virtuose aussi acrobatique que Hugo (Ballade à la lune) et tel qu'il semble, parfois, parodier insolemment son modèle (lorsqu'il ne fait pas l'éloge blasphématoire des classiques Racine et Boileau, dans la pièce intitulée Les Secrètes Pensées de Raphaël) ; cette même année 1830 il subit d'ailleurs un cuisant échec au théâtre, avec la « trop légère » Nuit vénitienne. Dès lors, il ne fera plus jouer ses pièces (deux comédies en vers: Spectacle dans un fauteuil, 1833-1834; et, surtout, l'ensemble étonnant des Comédies et proverbes, 1840 et 1854).
Il n'est donc connu de ses contemporains, le plus souvent, que par ses poèmes. En particulier par Le Saule (1832), dont le nom seul est tout un programme ; pourtant l'année précédente, dans la préface à sa pièce La Coupe et les lèvres, il clamait son mépris pour les poètes qui selon la mode romantique se déguisent en saules pleureurs. Mais son plus grand triomphe, à cette époque, est Rolla (1833): un noble cœur, naïf comme l'enfance, est amené, par ces vertus mêmes, à la déchéance et à la débauche - issues fatales en un siècle sans foi - et se suicide ; mais auparavant une jeune prostituée, qui lui a offert son collier d'or dans l'espoir de le sauver, lui aura permis, in extremis, de goûter la fraîcheur d'une âme enfin pure. Musset connaît d'ailleurs d'autres succès : d'une liaison orageuse avec George Sand, dans laquelle la belle infidèle n'eut pas tous les torts (1833-1835), naîtront la Confession d'un enfant du siècle, roman (1836), et, autre chef-d'œuvre «autobiographique», Las Nuits, suite de quatre poèmes dont le meilleur reste La Nuit de décembre (1835) ; le poète y fait l'énigmatique et bouleversante rencontre de son double. (Notons d'ailleurs que cette Nuit-ci se réfère non pas à George Sand mais à une autre maîtresse, Mme Jaumont.) Dans les trois autres Nuits par contre (d'août, 1836; d'octobre, 1837; et surtout, de mai, 1835), c'est avec sa «Muse» que dialoguera le poète; trop diaphane allégorie qui ne parviendra pas à réchauffer ces poèmes en dépit de l'indéniable éloquence qu'elle déploie. Musset ici, comme dans Rolla et dans La Confession d'un enfant du siècle est bien un homme de son époque, un de ces innombrables fils de René, tempétueux et ravagés, dont Chateaubriand dit, au même moment (dans les Mémoires qu'il lit à Mme Récamier) : « Si René n'existait pas, je ne l'écrirais pas, je ne l'écrirais plus [...] Une famille de Renés poètes et de Renés prosateurs a pullulé. »
Du moins, de tous ces « Renés poètes », comme dit leur père, Musset est le seul qui ait cru à son rôle. Alors qu'Hugo, Lamartine et Chateaubriand lui-même ne perdent nullement la tête, font la part de la passion désintéressée et de l'action profitable, Musset reste, qu'il soit seul avec sa rame de papier ou dans un salon, débordé par le tumulte qu'il a évoqué; victime vraiment, comme Rolla, du « mal du siècle ». C'est ce Musset-là, possédé par son lyrisme, qui va se laisser, tour à tour, dégrader, réduire au silence, vieillir avant l'âge et mourir (à quarante-sept ans).
« Comédies et proverbes »
L'autre Musset, le Musset des Comédies et proverbes, n'est pas lié à sa propre biographie ; ni, surtout, aux courants esthétiques de son époque, qu'il aborde même à rebours de leur avancée. Après la rebuffade de La Nuit vénitienne, dès 1830, il décide que désormais, s'il lui prend envie d'écrire quelque pièce de théâtre, il ne cédera pas à la tentation de la voir « sur scène ». Paradoxe, sans aucun doute ; mais à la faveur de quoi le trop vulnérable poète va pouvoir prendre ses distances, tant avec le public de son temps qu'avec lui-même. On a de la peine à croire que c'est à l'époque où triomphent le tonitruant Hernani (1830) de Hugo, l’Antony (1831) de Dumas père, le Chatterton (1835) de Vigny, la Lucrèce Borgia et l'Angelo tyran de Padoue (1833 et 1835) du même Hugo, que sont composés et publiés dans La Revue des Deux Mondes - sans écho d'ailleurs - ces adorables et troublants Caprices de Marianne (le chef-d'œuvre de Musset; 1833), On ne badine pas avec l'amour et Fantasio (tous deux en 1834), Le Chandelier (1835) et, la même année, Larenzaccio. De cette dernière œuvre, la plus longue et la plus pathétique, nous essaierons, un peu plus loin, de montrer l'intérêt (en soi, d'abord; et, de plus, en liaison avec la personnalité littéraire de Musset, dont elle donne peut-être la clé).