NERVAL Gérard de [Gérard Labrunie] 1808-1855
NERVAL Gérard de [Gérard Labrunie] 1808-1855
1. Traductions et voyages. — 2. Période créatrice. - L'initiative prise sur le rêve. Poète et conteur, né à Paris. Traductions et voyages Son père est médecin adjoint à la Grande Armée, en Allemagne puis en Pologne, et sa mère meurt alors qu'il n'a que trois ans. Confié à son grand-oncle, à Mortefontaine dans le Valois, Gérard passe des journées entières à muser parmi les bois, mais aussi à lire en fraude (dans la bibliothèque du grand-oncle) des « livres magiques ». Il sera pourtant, à Paris, un élève appliqué ; et son condisciple Théophile Gautier nous l'a dépeint, rêvant seul le nez sur des livres, parfois sans les lire. À dix-neuf ans, il a déjà traduit Faust. Puis il est apprenti imprimeur (comme Restif de La Bretonne, un de ses frères spirituels); et clerc de notaire, car son père ne veut pas entendre parler d'un poète dans la famille. Dès 1830 il publie des Poésies allemandes, puis un Choix de poésies du temps de Ronsard ; et ses propres poésies subissent alors l'influence de cette double admiration. Un héritage (1834) sera vite dissipé. En voyages, d'abord. Mais, surtout, par la fondation d'une luxueuse revue, Le Monde dramatique (1835), essentiellement destinée à chanter les louanges d'une femme de théâtre dont il est amoureux sans espoir, Jenny Colon. Il a publié quelques poèmes (les Odelettes), et quelques contes (La Main enchantée, 1833) qu'il considère, bien à tort, comme de simples promesses. Dans son hôtel, impasse du Doyenné, il reçoit de joyeux amis et de très jeunes femmes (les cydalises, dit-il). Cette atmosphère de bohème galante autour de lui, le comble de délices (bien qu'il y participe à peine: toutes ses amours resteront, pour l'essentiel, platoniques). À ce compte il est vite ruiné (1836) et doit abandonner la revue Le Monde dramatique. Il gagnera dès lors sa vie comme journaliste. Avec Alexandre Dumas, il compose le livret d'un banal opéra-comique, Piquillo (1837), destiné à fournir un rôle en or à Jenny qui obtient un réel succès. Cette même année, il écrit les bouleversantes Lettres à Jenny Colon; on ne sait pas, aujourd'hui encore, si elles furent envoyées à la belle destinatrice, qui, au demeurant, va bientôt mettre fin à toutes relations, pour se marier avec un flûtiste falot, nommé Leplus. À ce moment, Dumas et Nerval méditent d'écrire ensemble une autre pièce, Léo Burckart, et, pour se documenter, les deux collaborateurs vont faire un voyage en Allemagne. Dumas, qui est parti en avance, lui écrit de Francfort : « Il faut cinq jours pour venir en s'amusant convenablement en route; tâchez de n'en mettre que quinze. » Il va mettre un mois; mais il aidera Dumas à composer Les Excursions sur les bords du Rhin, tandis que pour son propre compte il donne au Messager les chapitres qui prendront place dans Lorely, et au début du Voyage en Orient. Un autre voyage, à Vienne cette fois (où il semble avoir été envoyé en mission officieuse, 1839-1840), lui vaut du moins de reprendre sa traduction du Second Faust. C'est à Vienne, aussi, qu'il tombe amoureux de la pianiste Marie Pleyel. Ici encore, il se dérobe aussitôt qu'on lui a souri; mais Marie, bonne joueuse, va se mettre en quatre, l'année suivante, pour intercéder en faveur de Gérard auprès de l'autre bien-aimée, Jenny Colon. Cette dernière rencontre avec Jenny (décembre 1840) sera, d'ailleurs, bien décevante et c'est à cette époque que le poète donne les premiers signes de déséquilibre mental: il brise une glace dans un lieu public, se déshabille entièrement dans la rue. En février 1841, il est transporté dans une maison de santé, rue de Picpus; d'où il sort le 15 mars. Le 21, on doit de nouveau l'interner à la clinique du Dr Blanche, à Passy. Dans Les Débats, le critique Jules Janin fait - comme il dit — l'épitaphe de l'« esprit du poète Gérard ».
À cette date, un homme comme Janin, son ami, pouvait, sans aucune malice, faire en effet ce bilan, pas bien brillant ni bien riche et même un peu mélancolique; mais était-il très exact? Nerval a dès l'âge de vingt ans, par sa traduction de Faust, attiré l'attention de Goethe; il a même entrepris le Second Faust (jamais terminé). Il a révélé aux Français plusieurs grands poètes de la Renaissance alors ignorés (comme l'énorme Du Bartas ou le macabre Chassignet) et aussi les romantiques allemands : Schiller, Hoffmann, Bürger, Jean-Paul, dont il publie des traductions dans les revues. Il a fait paraître - de sa façon, cette fois - des contes fantastiques, et, surtout, des poésies, dont plusieurs, par leur feinte légèreté et leur transparence, le contiennent déjà tout entier : Elle a passé, la jeune fille... ; Épitaphe ;• Quiconque a regardé le soleil... ; et la célèbre Fantaisie, où apparaît le thème nervalien du faux souvenir, que Gérard désignera plus tard sous le nom de théorie des ressemblances.
Mais il est vrai qu'il a, surtout, perdu beaucoup de temps ; beaucoup lu et dans toutes les directions. (La Bibliothèque nationale conserve un exemplaire de Du Bartas qui porte la mention calligraphiée : lu entièrement par Gérard, avec sa signature et la date, 1830.) Il a flâné, dilapidé un héritage pour ses amis, et pour une femme qu'il n'a pas voulu prendre (elle n'avait pourtant pas dans le monde des arts la réputation d'une femme farouche); mis la main à des œuvres que signeront Dumas, ou d'autres confrères ; fait des dettes et besogné pour les payer à coups d'articles de journaux et de « souvenirs de voyages», qu'il estime - à tort - insi^liants. Pourtant, des quinze années qui lui restent à vivre, dix seront presque improductives encore; apparemment, tout au moins. Son insouciance et son peu d'enthousiasme à rassembler ou faire connaître les meilleurs de ses écrits continuent à étonner Dumas et Théophile Gautier, ses deux glorieux amis. (Le plus bouleversant de ses chefs-d'œuvre, Aurélia, est pourtant commencé dès la première sortie de clinique en mars 1841.) À peine guéri, il reprend ses interminables lectures de livres érudits : religions anciennes, mythologies orientales, etc. Il continue de produire (pour subsister tout simplement) des articles ou feuilletons dramatiques dans les journaux, des livrets d'opéra ou d'opéra-comique. Il reprend surtout ses éternels voyages (Orient, décembre 1842 - décembre 1843; Belgique et Hollande, 1844; Angleterre, 1845 et 1849 ; Allemagne encore, 1850). Le Voyage en Orient, qu'il a fait paraître en partie dans la presse dès 1846, sort en version définitive et ne trouve guère d'écho (1851). À la scène, la même année, son Imagier de Harlem est un échec. Une nouvelle crise mentale éclate. À partir de 1851, les rechutes vont se produire à intervalles de plus en plus rapprochés. En 1852, on l'hospitalise à la maison Dubois; en 1853, et de nouveau en 1854, à la clinique du Dr Blanche.