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PAULHAN Jean 1884-1968

PAULHAN Jean 1884-1968

Critique, essayiste, né à Nîmes. On peut juger mince le bagage de cet écrivain (5 volumes pourtant), qui fut l’animateur de l’avant-garde durant près d’un demi-siècle et qui s’amusa à entrer (sans opposition, bien sûr, vu sa célébrité et son grand âge) à l’Académie française : en matière de récit, Le Guerrier appliqué (1917), Aytré qui perd l’habitude (1921), La Guérison sévère (1925), etc. Et en matière d’essai, Les Fleurs de Tarbes (1941), Clef de la poésie (1944), etc. Sa vie se confond tout entière avec son activité de rédacteur en chef de la NRF (1925 à 1968). Il y fut un prodigieux détecteur de talents, doublé d’un défenseur opiniâtre des valeurs proprement poétiques, c’est-à-dire sans le moindre souci - en apparence - des idées, tendances et « familles spirituelles », non plus que du parti pris, neuf ou traditionnel, de l’écriture ; ni encore de la bonne ou mauvaise « conduite » pendant la guerre et l’occupation étrangère : voir sa (très courageuse, à l’époque) Lettre aux directeurs de la Résistance. Aussi ses adversaires traditionalistes l’ont-ils taxé tour à tour de snobisme, de malignité, de préciosité ; voire de légèreté : lui-même, au demeurant, n’a-t-il pas toujours revendiqué le droit de ne rien avoir à dire ? Enfin, le dernier de ses grands essais, Les Fleurs de Tarbes ou La Terreur dans les lettres, ne se présente-t-il pas au lecteur, avec quelque fanfaronnade, comme un constat d’incapacité puisqu’il pose au départ que tout jugement, en art, peut être nié?
Mais, d’abord, pourquoi ce titre, Les Fleurs de Tarbes? Paulhan nous apprend qu’on peut lire, à l’entrée du jardin public de la ville en question, cet avis peu banal : Il est interdit d'entrer avec des fleurs. Et il nous fait entendre que depuis quelque temps, au jardin des lettres, aussi, il est interdit - par les terroristes - d’entrer avec la moindre « fleur de rhétorique », le moindre ornement. Le moindre souci d’art. C’est là sans aucun doute, avec Clef de la poésie, l’ouvrage dans lequel il a mis le plus de lui-même. (Notons que ces Fleurs de Tarbes furent écrites alors que Paulhan participait d’audacieuse façon à la Résistance, dans les Lettres françaises, fondées par lui.) C’est la somme des réflexions auxquelles l’a mené son métier de critique sur manuscrit ; métier périlleux qu’il a admiré chez Félix Fénéon, le grand découvreur en cette matière (FF ou le Critique, 1945). Il commence par montrer, en prenant l’exemple de la revue de presse suscitée par un roman de Montherlant, la confusion qui règne en matière de littérature ; et ce, sur un problème capital, quoique le plus élémentaire de tous : l’opposition entre la forme (ou mieux, le langage) qu’utilise un auteur, et la pensée qu’il veut exprimer. Paulhan proclame alors à ses lecteurs (non sans quelque plaisir à l’idée de la réaction possible à ce paradoxe) qu’il n’y a pas de problème ; en d’autres termes qu’il n’y a pas d’opposition chez l’écrivain véritable entre langage et pensée : seuls, dit-il, les terroristes de l’art littéraire le nient. Car à la vérité, l’esprit original accepte le langage employé par tout le monde, les cadres et clichés que sont les mots et la syntaxe du langage commun : qu’importe, puisque même en s’efforçant d’être « commun » il laissera apparaître, malgré lui, son originalité.

L’opposition traditionnelle entre la matière d’un livre et la manière de l’auteur, son langage propre, n’a de réalité que dans les schémas commodes de la critique. En effet, premièrement : la manière de penser, c’est aussi la manière de s’exprimer; deuxièmement: quant à la « matière » d’une œuvre, sans doute est-ce pour l’essentiel son sujet, son contenu, mais c’est aussi son tissu, plus ou moins gros, doux, brillant ou bourru, sa pâte plus ou moins creusée ou léchée, ou triturée, ou fouettée. Au terme de sa plaidoirie Paulhan peut donc nous confirmer que le langage n’est pas opposable à la pensée, ni la « forme » un ennemi du « fond » ; et il nous propose alors cette formule, d’une simplicité définitive : L'acceptation du langage est la condition et non point l’obstacle de l’expression de la pensée.
Au demeurant, l’écrivain, tout autant que le moraliste, ont fait leur profit des principes que le théoricien avait édictés. Et si la « pensée » est une affaire de mots dans ses écrits, c’est parce que bien souvent poésie et sagesse savent s’y fondre l’une dans l’autre. Ainsi : L’esprit occupe à chaque instant tout l’espace dont il dispose. Ou encore, extrait du même ouvrage, bien modestement intitulé Entretien sur des faits divers et publié en 1930 : Il est bien vrai que les gens gagnent à être connus. Ils y gagnent en mystère.

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