Poème en prose Poésie pure Poétique
Poème en prose. Forme poétique issue du mouvement de libération à l’égard de la versification déjà entamé par le romantisme. Aux règles préexistantes de la métrique, le poème en prose substitue les lois créées par le poète pour donner à son poème une organisation interne. S’il utilise la prose, le poème en prose se distingue pourtant de la prose poétique en ce que celle-ci n’est pas un genre à part, mais apparaît dans des œuvres en prose quelconques. Dans la prose poétique du XVIIIe siècle, il s’agit de donner à la prose, par exemple romanesque, comme le Télémaque de Fénelon, un aspect poétique. Le poème en prose, lui, selon Suzanne Bernard, est d’abord de la poésie et résulte d’un choix conscient, qui en fait une forme le plus souvent courte, close, et organisée, même si les principes de cette organisation sont difficiles à mettre en évidence. C’est Aloysius Bertrand qui, avec Gaspard de la nuit, publié après sa mort en 1842, est l’initiateur du genre, préparé par les traductions en prose, vraies ou fausses, de poèmes, comme ceux d’Ossian, à la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe. Le genre sera ensuite illustré en particulier par Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Mallarmé :
Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique : « Mes amis, je veux qu’elle soit reine ! Je veux être reine ! » Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation, d’épreuve terminée. Ils se pâmaient l’un contre l’autre.
En effet, ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et toute l’après-midi, où ils s’avancèrent du côté des jardins de palmes.
(Rimbaud, Royauté) et au XXe siècle par un très grand nombre de poètes, dont on ne citera que Maeterlinck, Artaud, Breton, Ponge, Michaux ou Char.
Narratif - ce qu’il est souvent - ou lyrique, le poème en prose se présente soit de façon compacte, comme Le Port de Baudelaire, soit sous forme de paragraphes où l’on reconnaît parfois des équivalents de la strophe, comme dans Un hémisphère dans une chevelure. L’existence d’un refrain, de répétitions et de parallélismes peut rendre plus sensible l’architecture du poème, comme dans ce dernier texte ou comme dans l’illumination Barbare de Rimbaud. La langue du poème va de la prose ordinaire à l’utilisation de certaines régularités que l’on trouve dans la poésie versifiée, comme l’organisation de mesures syllabiques sinon régulières, du moins approximatives ou l’emploi concerté d’échos phoniques.
On ne fera pas entrer dans le poème en prose les poèmes en vers libres, car l’unité de composition y est, comme dans le poème en vers réguliers, la ligne isolée graphiquement. Au contraire, dans le poème en prose, il n’y a pas d’unité inférieure au paragraphe, même lorsque, dans le cours d’un poème, il se réduit à une ligne. Les poèmes qui utilisent le verset, comme ceux de Claudel ou de Saint-John Perse constituent un cas particulier, puisque le verset qui présente moins de régularité que le vers libre n’est pourtant pas un paragraphe ordinaire. On a tout de même coutume de les ranger parmi les poèmes en prose.
• Bernard S., Le Poème en prose de Baudelaire jusqu’à nos jours, Paris, Nizet, 1959.
Poésie pure. Au sens strict, conception d’origine mystique et antirationaliste que l’on doit à l’abbé Brémond, et selon laquelle toute expérience poétique, par son pouvoir d’incantation, et au-delà du sens qui importe en définitive peu, nous met en contact avec l’ineffable et la présence du divin : «Tout poème doit son caractère proprement poétique à la présence, au rayonnement, à l’action transformante et unifiante d’une réalité mystérieuse que nous appelons poésie pure. » Tout ce qui détourne de cet ineffable est au contraire impur. Le terme de poésie pure avait été utilisé bien avant par Hugo ou Baudelaire entre autres. Au sens large, la recherche de la poésie pure est une caractéristique fréquente depuis le xviiie siècle soit qu’il s’agisse de la libérer des contraintes métriques (prose poétique de Fénelon, poème en prose, vers libre, etc.) soit qu’il s’agisse de lui ôter toute finalité utilitaire (art pour l’art, recherche de la «magie verbale» mallarméenne, etc.) pour trouver son essence même.
• Brémond H., La Poésie pure. Prière et poésie, Grasset, 1916.
Poétique. Substantif féminin créé par Aristote pour désigner la théorie des genres littéraires et la théorie du discours. Complémentaire de la critique littéraire, la poétique étudie les formes non liées à la singularité de telle ou telle œuvre, ce qui est l’objet de la critique littéraire. Elle se veut purement descriptive à l’inverse de la critique littéraire toujours interprétative. Aussi se réclame-t-elle souvent de la linguistique dont elle utilise les outils.
Employé au masculin, le substantif désigne l’essence même de la poésie, lorsqu’elle se réalise en dehors du genre poétique proprement dit, dans un roman (comme par exemple Les Nourritures terrestres d’André Gide) ou dans une œuvre philosophique (comme par exemple Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche).
L’adjectif poétique, employé dans l’expression «art poétique», a un sens tout différent. Tout art poétique est prescriptif, à l’inverse de la poétique, descriptive. Il énonce une série de règles à respecter. Horace dans l’Antiquité, Boileau au xviie siècle, légifèrent dans leurs arts poétiques.
• Aristote, Poétique.
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