point de vue pointe polémique polyisotopie polyptote polysémie polysyndète ponctuation pragmatique littéraire préciosité préface
point de vue. Il y a création d’un effet « point de vue » dans un récit lorsque le texte donne le sentiment que l'ensemble des informations est filtré par la conscience d’un personnage. On parle aussi de focalisation interne : Non, ce n 'était pas l'inconnue. On avait cherché, on avait manifestement cherché à rappeler sa coiffure, le découpage du masque, mais c'étaient d'autres traits, la bouche surtout... (L. Aragon, Aurélien, 1944). Ce procédé est particulièrement important dans le roman depuis la seconde moitié du XIXe siècle ; il repose sur le passage d’un premier plan narratif vers un arrière-plan perceptif ou évaluatif et sur l’utilisation de modalisations, d’embrayeurs ou de subjec-tivèmes assumés par la conscience du personnage focalisant.
pointe. Ce terme désigne une formule sentencieuse qui surprend l’esprit par l’ingéniosité de son tour ; elle est théorisée au XVIIe siècle et connaît une grande vogue dans les genres mondains (maximes, poésies), mais aussi dans les tirades théâtrales. Elle se rattache au concerto (pensée ingénieuse), qui surprend à la fois par la structure et par le caractère énigmatique de son développement : elle fait parfois percevoir une vérité par le rapprochement inattendu de réalités éloignées. La pointe nourrit l’esthétique de la surprise chère aux esprits baroques, et son abus sera critiqué par les théoriciens du classicisme, qui lui reprochent son obscurité et une complexité trop maniérée (Bouhours, La Manière de bien penser dans les ouvrages d'esprit, 1687).
polémique (n. f., du grec polémos, « guerre »). Au sens strict, ce terme désigne toute dispute par écrit. Le champ de la polémique recouvre de nombreux genres littéraires, pamphlet, satire, factum, diatribe, invective, libelle. C’est par excellence le lieu de l’argumentation, qui utilise volontiers le registre démonstratif, ou épidictique (louange et blâme), et l’attaque ad hominem (on dénonce explicitement son adversaire). La vie littéraire est constituée régulièrement de polémiques, qui rythment parfois les grandes inflexions de l’esthétique (querelle du cicéronianisme au XVIe siècle, querelle du Cid en 1637, Anciens et Modernes, bataille d'Hernani, manifestes surréalistes, etc.) : la polémique est souvent l’occasion de clarifier les positions dans le champ littéraire, et de donner aux notions toute leur cohérence et leur force (classicisme, romantisme, symbolisme, naturalisme, etc. sont nés, avant tout, des polémiques suscitées autour d’eux).
polyisotopie. Un texte est polyisotopique s’il développe plusieurs thèmes à la fois, ou, plus exactement, s’il permet plusieurs lectures à la fois. Le poème « La Géante » de Baudelaire {Les Fleurs du Mal) est à la fois la description sensuelle d’une femme en chair et un manifeste poétique, c’est-à-dire un texte où le poète expose sa conception de l’art et de la beauté. Le Journal d’un curé de campagne de Georges Bernanos est à la fois un récit naturaliste et un récit hagiographique : la vie du jeune curé qui sombre dans l’alcoolisme par atavisme se donne aussi à lire comme l’histoire d’un village qui accède au salut parce que, par sa déchéance, le prêtre prend sur lui les péchés de ses ouailles.
polyptote (n. m.). Il s’agit d’une figure d’élocution, selon la terminologie de Pierre Fontanier {Les Figures du discours, 1827), c’est-à-dire une figure qui joue sur le choix des mots et leur juxtaposition selon différents procédés. Dans ce cas précis, le procédé est la répétition, dans une même phrase ou un même membre de phrase, de formes différentes d’un même mot ; tantôt avec des variations de mode, de temps ou de personne pour un verbe : Rome vous craindra plus que vous ne la craignez (Corneille), tantôt avec des variations de nombre ou de déterminant pour un nom : O vanité des vanités, et tout nest que vanité ! (Ecclésiaste, I, 2). Cela peut aboutir parfois à des effets très subtils, comme dans cette réplique de Bérénice de Racine (I, 5), où le polyptote est mis en valeur par une symétrie rigoureuse accentuée par la versification : L'hymen chez les Romains n 'admet qu'une Romaine. Rome hait tous les Rois, et Bérénice est Reine.
polysémie. Est polysémique un mot qui a plusieurs sens distincts ; on appelle généralement sens « premier » l’acception étymologique du mot. Les sens secondaires sont le plus souvent obtenus par dérivation figurée (métaphorique par exemple, si l’on pense aux différents sens du mot « canard »). Il n’est pas toujours aisé de distinguer les cas de polysémie des cas de simple homonymie (deux mots distincts rendus similaires par l’évolution phonétique) : « canard » est un cas de polysémie (un seul mot avec une large gamme de sens) ; « voler » est un cas d’homonymie ; les sens multiples du mot « canon » combinent des faits d’homonymie et de polysémie. L’an-tanaclase et la syllepse sont les principales figures jouant sur la polysémie.
polysyndète (n. f., du grec polus, « nombreux », et sun-deïn, «joindre»). Multiplication des mots de liaison entre groupes syntaxiques. Exemple de Laforgue (« Complainte à Notre-Dame des Soirs ») :
Eux sucent des plis dont le frou-frou les suffoque ; Pour un regard ils battraient du front les pavés ; Puis s'affligent sur maint sein creux, mal abreuvés ; Puis retournent à ces vendanges sexciproques ; Et moi, moi Je m'en moque !
ponctuation. La ponctuation a plusieurs fonctions : syntaxique (groupements de syntagmes, de propositions...), rythmique (répartition des pauses), sémantique (rapports de sens entre les mots), émotive (marquage des modalités). A l’inverse, la suppression de toute ponctuation dans la poésie moderne, inaugurée par Mallarmé et reprise par Apollinaire, se marque par les ambiguïtés qu’elle permet ; c’est alors le blanc typographique qui est chargé de signification. Le début du « Pont Mirabeau » d’Apollinaire ménage ainsi un double statut au deuxième vers, à la fois coordonné à la Seine et en dislocation avec reprise anaphorique par en au troisième vers :
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine
pragmatique littéraire. La pragmatique est la partie des sciences du langage qui a pour objet l’étude des énoncés dans leur contexte de communication. On considère généralement que la base de cette approche est la théorie des « actes du langage » proposée dans les années 1950 par le philosophe britannique John L. Austin. Selon ce dernier, un énoncé est autant appréhendé par son statut (conseil, question, information...), par ses effets secondaires (flatterie, menace...), que par son contenu informatif. La pragmatique littéraire s’intéressera donc à la façon dont les textes gèrent cette situation d’énonciation fort particulière qu’est le protocole de lecture littéraire ; comme réflexion critique à part entière, elle réunit un ensemble de problématiques très diverses, mais qui permettent de mieux cerner la spécificité de la communication littéraire : statut du locuteur (du narrateur, par exemple), du lecteur, implicite, statut des énoncés fictifs ou lyriques, etc...
préciosité. Ce terme du milieu du XVIIe siècle désigne un phénomène littéraire qui est aux confins de l’histoire de la langue et de la société mondaine. Il est dérivé de « précieuse », qui désigne la femme qui se donne un « prix » supérieur aux autres : il correspond à l’effort grammatical et linguistique de certains cercles de femmes ettrées pour affiner la psychologie amoureuse telle qu’on a définissait dans les salons. La difficulté majeure pour e saisir est que ce courant est surtout connu par les critiques qu’il a suscitées (Les Précieuses ridicules de Molière en 1659, La Précieuse de l’abbé de Pure en 1656), et on a même pu aller jusqu’à dire que les précieuses n’avaient pas existé ! Au sens strict, il recouvre un phénomène propre aux années 1650, qui se caractérise par un langage très raffiné, goûtant les métaphores hardies, les pointes, la substantivation des adjectifs, et en général un mélange d’abstraction subtile et d’images déroutantes. On a pu en faire un courant fondamental de la littérature française, qui irait des cours d’amour médiévales au raffinement stylistique d’un Giraudoux, mais cela lui ôte peut-être la portée fondatrice qu’il a dans la littérature et la civilisation du XVIIe siècle français. Effort linguistique, la préciosité prélude en effet à cet art d’analyser subtilement le cœur humain qui caractérise le classicisme (Mme de La Fayette, Mme de Sévigné, Racine), déclinant toutes les nuances de l’âme amoureuse, à la manière dont Madeleine de Scudéry traçait les linéaments de sa carte du Tendre (Clélie, 1654-1660). Socialement, même si elle fut sévèrement critiquée, soit par les moralistes, soit par le théâtre, la préciosité incarne l’instance féminine qui régna alors sur la naissance d’une littérature purement française et d’essence mondaine, opposée aux savoirs du collège (masculin et latin), qui sont le propre des pédants. Il faut donc lui reconnaître un rôle fondamental dans l’essor d’une littérature vernaculaire qui se préoccupe de psychologie et de morale amoureuses, annonçant la casuistique subtile des sentiments qui, de Marivaux à Proust, sera un des fleurons les plus remarquables de la littérature française.
préface. Discours d’introduction à un texte. La préface peut être strictement informative ou constituer un commentaire éclairant les enjeux de ce qui suit. Dès le XVIIe siècle, les dramaturges jugèrent utile de faire précéder leurs pièces d’un « examen » ; mais la préface, sous sa forme moderne, apparaît au siècle suivant avec le roman, genre nouveau dont la légitimité est particulièrement contestée et qu’il faut donc défendre. A partir de la fin du xviiie siècle, la préface a souvent valeur de manifeste et est un lieu particulièrement propice à la polémique. Parmi les plus célèbres, on citera les préfaces de La Nouvelle Héloïse (J.-J. Rousseau, 1761), Cromwell (V. Hugo, 1827), Mademoiselle de Maupin (Th. Gautier, 1836), Pierre et Jean (G. de Maupassant, 1888). Au XXe siècle, en revanche, l’usage est plutôt de confier la préface à un auteur reconnu qui apporte en quelque sorte sa caution au texte : certaines préfaces de Malraux, Sartre, Barthes... ont ainsi joué un rôle très important dans l’histoire littéraire. Contrairement au prologue ou à l’introduction qui appartiennent pleinement au texte, la préface est donc un élément de paratexte ; on emploie parfois le mot « avant-propos » dans le même sens (« Avant-propos à La Comédie humaine », H. de Balzac, 1842). On appelle postface le même type de texte situé en fin de volume.
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- Edmond DE GONCOURT écrit, dans la préface des Frères Zemganno (1879) : Le réalisme, pour user du mot bête, du mot-drapeau, n'a pas l'unique mission de décrire ce qui est bas, ce qui est répugnant, ce qui pue. Il est venu au monde aussi, lui, pour définir dans de « l'écriture artiste » ce qui est élevé, ce qui est joli, ce qui sent bon, et encore pour donner les aspects et les profils des êtres raffinés et des choses riches : mais cela en vue d'une étude appliquée, rigoureuse et non con
- Dans la préface de Cromwell, Victor HUGO écrit: Les personnages de l'ode sont des colosses; ceux de l'épopée sont des géants; ceux du drame sont des hommes. L'ode naît de l'idéal, l'épopée du grandiose, le drame du réel. En quoi le héros du drame romantique que vous avez étudié vous paraît-il correspondre au point de vue de Hugo ?
- « Un texte dramatique est un texte littéraire conçu en vue d'être représenté : sa nature est double ; il n'existe pas sans un style, appréciable à la lecture, et pourtant ses valeurs propres ne peuvent pleinement jaillir que par le jeu du théâtre, par la représentation. » Commentez cette affirmation de Pierre-Henri Simon.
- Partagez-vous le point de vue de l'auteur qui semble ne voir dans les conditions de la vie moderne que des obstacles pour ceux qui voudraient se cultiver ?
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