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PRÉVOST dit l'abbé Prévost [Antoine-François Prévost d'Exiles] 1697-1763

PRÉVOST dit l'abbé Prévost [Antoine-François Prévost d'Exiles] 1697-1763
Romancier, né à Hesdin dans l’Artois. Élève des jésuites, puis novice de la Compagnie de seize à vingt ans, il s’engage alors dans l’armée royale ; mais trois ans plus tard, à la suite d’une peine de cœur, il se retire chez les bénédictins. Très vite il se fait mal voir, et il demande à être déplacé ; mais en vain. Il s’enfuit donc. Une lettre de cachet est délivrée contre lui et il doit passer en Angleterre. Il y est quelque temps précepteur d’un jeune homme de la noblesse (comme le sera plus tard l’homme de qualité de son célèbre ouvrage). Une nouvelle affaire amoureuse l’oblige encore à changer d’emploi. C’est à l’âge de trente-deux ans qu’il commence Les Mémoires et les aventures d’un homme de qualité (1728-1731) en huit volumes, dont l’avant-dernier contient Manon Lescaut. En Hollande, où il s’est installé depuis 1729, il connaît une belle et jeune aventurière, Lenki Eckard. Avec elle il retourne à Londres où il fonde un journal, Le Pour et le contre. Autorisé à rentrer en France (1734), il reprend l’habit de prêtre. Il doit cependant, pour vivre, continuer de faire paraître son journal et d’écrire des romans (qui, désormais, se vendent fort bien). Mais il dépense, avec sa maîtresse du moment, plus vite qu’il ne gagne ; et, pour se mettre à l’abri de ses créanciers, doit fuir hors de France une fois encore (1741). À son retour il reprendra sa production romanesque (Mémoires d’un honnête homme, 1745) et, surtout, il s’avisera de faire connaître en France les romans anglais. Ceux de Richardson, en particulier, dont il traduisit Pamela et Clarisse Harlowe ; oeuvres où le « cœur », et non plus la « raison », décidait du sort des héros. La surprise fut grande chez nous. Richardson a préparé l’avènement de Rousseau, et, au-delà, du romantisme.
Des quelque deux cents volumes que laissa l’abbé Prévost, survivent, presque seules, les cent cinquante pages (écrites comme à la hâte et sans les habituelles digressions et dissertations morales chères à l’auteur) qui constituent L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut; on dit aujourd’hui plus brièvement Manon Lescaut, car c’est bien elle, en effet, le héros véritable. Nous n’entreprendrons pas de raconter ici l’histoire suffisamment connue (et -popularisée encore par l’opéra) de l'inconstante Manon, fille sans foi, et, plus encore, sphinx, en ce sens que son comportement imprévisible semble être le moyen le plus efficace pour exercer sur l’homme une perpétuelle fascination. Tout en elle est passionné : son amour pour des Grieux, jeune chevalier qui se destinait à l’ordre de Malte ; mais aussi l’amour de l’argent (qui l’incite à trahir son fiancé trop pauvre au profit d’un fermier général), enfin l’amour du jeu (et du jeu pour l’argent encore ; le jeu où l’on triche). Il est clair que, dans l’esprit de l’abbé Prévost, Manon résume sa propre conception de la femme. Passionnée en effet, mais non sentimentale, la femme inspire le rêve ; elle ne rêve pas. Elle aime avec violence, et si elle trahit, ce n’est pas qu’elle faisait jusqu’ici semblant d’aimer ; c’est qu’elle a changé d’idée, ou de « passion ». Ou simplement de jeu.. Elle fait le mal sans songer à mal : par absence de cervelle. Aucune trace dans son âme du moindre remords, lorsque (par exemple) des Grieux la retrouve ; et il est à ce point stupéfait de tant d’inconscience qu’il abdique toute rancune devant son air si fin, si doux, si engageant. Au total, le succès de Manon Lescaut est dû avant tout, sans aucun doute, à la vivacité peu commune du récit, mais aussi à la conformité de ce magistral portrait avec une idée reçue : la femme-piège. Le sphinx Manon, c’est ce que l’homme appelle traditionnellement l’éternel féminin, et qui n’est en fait que l’éternel infantilisme, lot des femmes aussi longtemps que la société patriarcale les fera telles. Il faut attendre encore un siècle, exactement, pour qu’un autre romancier de l’amour-passion, Stendhal (que l’on traite volontiers, pourtant, d’« homme du XVIIIe siècle ») tente de substituer vers 1830 une nouvelle image, bien autrement originale, de la femme : Lamiel, la femme franche ; cynique, disent certains, bien à tort, parce qu’elle ose être égale à l’homme en âge mental. Femme franche dont le comportement vis-à-vis des hommes est à ce point prématuré (du propre aveu de Stendhal) qu’elle est vouée à l’échec et ne connaîtra jamais l’amour-passion. Relisons donc Manon Lescaut, et lisons aussi Lamiel : non seulement ces deux images types de « la Femme » sont également séduisantes - et passionnantes -, mais aucune des deux ne se suffit sans l’autre.

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