QUENEAU Raymond 1903-1976
QUENEAU Raymond 1903-1976
Poète et romancier, né au Havre. D’abord et surtout poète - longtemps peu connu comme tel - et, parfois, d’un pathétique insoutenable : Les Ziaux (1943) et L'Instant fatal (1948), étonnants recueils dont le dernier, presque d’un bout à l’autre, n’a qu’odeur de mort. Auteur, aussi, d’une première série de romans délectables par leur écriture et d’une apparente fantaisie, quoique d’une rigueur extrême dans leur architecture, les deux premiers surtout (Le Chiendent, 1933 ; Gueule de Pierre, 1934), que suivra la confidence d'Odile (1937) et Les Enfants du limon (1938, sorte d’épopée bouffe de la folie encyclopédique, où l’on retrouve l’effrayant Bébé-Toutout du Chiendent ; puis Les Temps mêlés (1941, simple complément de l’admirable Gueule de Pierre), Pierrot mon ami (1942), Loin de Rueil (1944). Mais Queneau ne va sortir vraiment de l’ombre, pour le public, qu’au lendemain de la guerre. Encore cette tardive célébrité ne lui vient-elle pas de ses recueils de poèmes ni de ses étranges romans, mais à la faveur d’une courte pièce de vers, C'est bien connu (tiré du recueil L'Instant fatal), mise en chanson par Joseph Kosma et qu’interprétera Juliette Gréco sous le titre Si tu t'imagines ; puis, peu après, grâce aux Exercices de style adaptés à la scène - en partie - par les Frères Jacques (1947) ; chef-d’œuvre de « métier » qui est à la fois une de ses créations les plus audacieuses et, paradoxalement, les plus accessibles. Il va bientôt, d’ailleurs, connaître la gloire plénière - et ce, à un niveau que l’on peut bien dire populaire - avec le roman Zazie dans le métro (1959) ; le triomphe inespéré d’un auteur entre tous difficile fut attribué par certains critiques aux mérites extra-littéraires du récit. En fait on a vu (on voit chaque jour) sortir des choses plus « osées » que Zazie dans le métro et la force peu commune du livre est à la vérité dans son art : dans son écriture, riche et savante, mais aussi dans sa fraîcheur. Disons le mot : dans sa grâce.
Au cours d’une vie apparemment unie d’« homme de cabinet », Queneau apparaît tour à tour sous deux aspects presque antithétiques. D’abord comme un homme désespéré, et il le sera longtemps jusqu’à un degré pénible, morbide (voir sur ce point son autobiographie versifiée de 1937, Chêne et chien) ; la chose n’est pas rare, certes, chez l’homme jeune (surtout s’il est poète et se nourrit de philosophes allemands, comme faisait avant lui Jules Laforgue, véritable frère spirituel et parfait « homologue » de Queneau à ce stade de sa vie). Mais aux alentours de 1950, il amorce une évolution aussi inattendue que brusquée vers la sagesse. Sagesse prématurée d’ailleurs, aussi inquiétante dans sa sérénité, aussi « immense » que l’était le désespoir du Queneau première manière. C’est cette période que va inaugurer superbement la Petite cosmogonie portative (1950), en six chants de chacun 230 vers, hymne allègre jusqu’à la bouffonnerie (mais non moins puissant et enthousiaste) en hommage à la science, et, au-delà, à l’univers tout entier, à ce que le poète Lucrèce (cher à Raymond Queneau) appelait la « nature des choses ». Ici confluent ces deux veines lyriques (aussi larges chez lui l’une que l’autre) : la veine baroque - par exemple dans la savoureuse tirade sur les premiers chemins de fer :
La pompe s'époumone et sur les rails béquilles Se lance l’hipparion des équidés vapeur Saupoudrant l'œil des veaux de folles escarbilles...
- et la veine naïve. Car notre auteur ria jamais autant que dans cette œuvre-ci révélé son âme éblouie, étonnée (nous allions dire : sa foncière tendresse), en particulier dans tout le chant I qui retrace la naissance de TUnivers, magma gluant où barbotait la Terre énorme et enfantine (on avait pu observer déjà, au passage, dans Gueule de Pierre, l’enthousiasme verbal de Queneau aux prises avec les quatre éléments, et surtout dans la dernière partie : Le jour naissait, avec lui le désastre... etc.).