RABELAIS François Vers 1490-1553
RABELAIS François
Vers 1490-1553
1. Le conteur. - L’humaniste : 2. Ses dégoûts. 3. Ses goûts.
- 4. L'écrivain.
Humaniste et conteur, né à La Devinière, près de Chinon.
Le conteur
Son père veut faire de lui un moine. Mais dès 1520, cordelier à Fontenay-le-Comte, il hante un petit groupe de clercs provinciaux d’esprit humaniste (qui se réunissent, à la façon des philosophes antiques, sous des bosquets de lauriers) ; il apprend le grec, découvre Platon. On s’alarme ; et en 1525, Rabelais (que protège pourtant l’évêque Geoffroy d’Estissac) est transféré dans l’ordre des bénédictins, près de Parthenay. Puis chez l’évêque lui-même, à Ligugé (où il continuera de nouer des relations, jugées périlleuses, avec des amis qui favorisent les idées nouvelles). En 1528, il jette le froc aux orties et s’en va étudier la médecine à Paris, puis à Montpellier (1530). En 1532, il est médecin à Lyon, correspond avec Érasme et publie sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier (anagramme de ses nom et prénom) un conte bouffon, Pantagruel, que la Sorbonne « censure » aussitôt. Avec l’appui de la cour, il récidive (Gargantua, 1534) et se voit cette fois « condamné » par la Sorbonne. D’où dix années de silence. Il suit à Rome, en 1535, le cardinal humaniste Jean du Bellay (oncle du poète). En 1542, le roi François 1er le nomme maître des requêtes ; ce qui va l’encourager à reprendre son œuvre littéraire; Le Tiers Livre (1546), qui est la suite de Pantagruel, prend à partie, dès le prologue, les théologiens de la Sorbonne : Arrière, cagots... Nouvelle condamnation. Il doit s’enfuir à Metz. La protection royale lui fait cette fois défaut. Mais, dès l’année suivante, le cardinal du Bellay le recommande au nouveau roi Henri II. Nommé en 1551 curé de Meudon (simple bénéfice), il publie Le Quart Livre (1552) ; se voit « censurer », cette fois, par le Parlement tout autant que par la Sorbonne, et meurt l’année suivante. Le Cinquième Livre, qu’on lui attribue d’une façon générale, et, semble-t-il, à juste titre (pour l’essentiel), paraît en 1562.
Le cycle de Gargantua-Pantagruel est en fait une suite de tableaux que l’auteur ne se soucie pas de relier entre eux : l’enfance et l’éducation du géant Gargantua ; la guerre qu’il doit, contre son gré, mener contre Picrochole, aidé de frère Jehan des Entommeures, qui, la paix revenue, fait bâtir l’idyllique abbaye de Thélème (Gargantua). Dans le premier livre, Rabelais nous avait présenté le fils de Gargantua, Pantagruel, et son ami Panurge, personnage nullement exemplaire mais bien réjouissant (Pantagruel). Ces deux héros vont désormais occuper seuls la scène ; et, d’abord, ils vont se soucier du mariage de Panurge, criblé de dettes - ayant mangé son bled en herbe - d’où toute une série de consultations sur le bien-fondé du mariage (Le Tiers Livre). Suit un voyage en mer des deux héros, qui sont partis consulter l’oracle de la Dive Bouteille, parodie de l'Odyssée, mais aussi peut-être des « Questes » médiévales (Le Quart Livré). Au Cinquième Livre, les voyageurs quittent le royaume de Messire Gaster, pour l’Isle sonnante, et, après une escale chez les Chats fourrés, une autre au royaume de Quinte Essence, ils parviendront à l’Oracle, qui répond par le seul mot : Trinch (c’est-à-dire « Bois ! »).
Ses dégoûts
L’œuvre de Rabelais donne lieu, de nos jours encore, à de très vives controverses. Écartons d’abord - car elle n’importe guère ici - la question de l’authenticité du cinquième et dernier Livre (que proclame, par exemple, M. Sainéan, et que conteste J. Plattard), car enfin l’invention des épisodes et, surtout, l’invention proprement verbale, n’y apparaissent guère inférieures ; dans le pire des cas, c’est donc l’œuvre de disciples qui ont assimilé sa manière ou repris des matériaux laissés par leur maître. Plus âpre est le débat pour ou contre « la religion de Rabelais » (tel est le titre de l’étude passionnante de Lucien Febvre, lequel voit dans le père de Gargantua le champion d’une sorte d’humanisme évangélique, tandis qu’Abel Lefranc nous propose l’image d’un chantre de l’humanisme rationaliste ; l’œuvre, en elle-même, est moins affirmative, et, au surplus, ces deux « affirmations » se font beaucoup de tort l’une à l’autre). Tout ce qu’on peut déceler dans le texte de Rabelais, c’est une égale impatience, chez cet homme habituellement paisible et doux, à l’égard des guerres de religion et des guerriers de l’un et l’autre camp : des Papimanes (Hors d’ici, cafards de par le diable) et des Pape-figues (démoniacles Calvins, et autres imposteurs de Genève) qu’il trouve à la fois trop belliqueux et trop raisonneurs ; et qu’il renvoie dos à dos, comme disent les sportifs, au profit de l’adorable allégorie nommée par lui Physis (qui enfanta Beauté et Harmonie). Hasardons cette hypothèse que Rabelais est contre l’une et l’autre idée : contre les idées qu’il juge trop vides de toute vie réelle, et pour une image, poétique, au départ, mais qui recouvre une image plus belle encore, et savoureuse, puisque Physis n’est pas autre chose que la traduction de Nature.
Rabelais n’aurait donc pas eu d’idées? Pas de philosophie? Pas de morale, individuelle ou sociale? Abel Lefranc, pourtant, dans le Néo-philologus (1933), ne parle-t-il pas du « désir de Rabelais de se faire l’auxiliaire de la politique de François Ier, qui était par là même celle de la nation » ? Convenons que ce conteur a des idées ; mais ajoutons tout aussitôt qu’il n’a pas de suite dans les idées. Selon l’humeur du moment, ou les intérêts du récit qu’il mène avec entrain, il se délestera, non sans soulagement et allégresse, de tout problème qu’il a pu soulever ici ou là dans le chapitre précédent. Cette même souveraine inconséquence apparaît dans la suite des Livres (la « pure logique » exigerait, bien sûr, que le lecteur les aborde aujourd’hui dans l’ordre suivant : II, I, III) ; dans la place des personnages, qui de protagonistes, se voient ravalés sans motif au rang de simples figurants, quitte à revenir à l’avant-scène demain si l’intrigue le veut. (Il n’est pas jusqu’à leur apparence physique qui ne soit à l’abri des mutations ; et Pantagruel, géant au début du Deuxième Livre, ne l’est plus guère à partir de la rencontre de Panurge, et plus du tout dès lors que Panurge est passé, pour le bon plaisir du metteur en scène, au premier plan.) Notons que Rabelais fut un homme de complexion sanguine, prompt à réagir, et sujet à des « sautes de caractère » ; ce type d’homme à humeurs sait moins, à l’ordinaire, ce qu’il veut que ce qu’il ne veut pas.