rhétorique Rhétoriqueurs (Grands)
rhétorique. La rhétorique est un art, au sens fort que le grec donne à ce mot (technè) : c’est l’art du discours, analogue, selon Aristote, à la dialectique (qui est l’art du raisonnement). Mais si la dialectique s’appuie sur des vérités nécessaires, qui sont évidentes ou que l’on peut prouver, la rhétorique a pour champ d’étude des opinions, qui ne sont que probables. C’est l’art d’argumenter dans le domaine des opinions probables, c’est-à-dire dans la logique du vraisemblable, qu’expose Aristote dans son ouvrage fondateur du IVe siècle av. J.-C. : la Rhétorique. Toute la tradition qui en découlera étoffera le système, en développant des aspects négligés par Aristote (notamment la théorie des figures et les caractères du style), et en illustrant le propos par des analyses de grands orateurs (les orateurs d’Athènes, Lysias, Isocrate, Démosthène, seront longtemps les archétypes de cet art). Hermogène en Grèce (époque hellénistique, IIe siècle ap. J.-C.), mais surtout Cicéron (106-43 av. J.-C.) et Quintilien (35-100 ap. J.-C.) à Rome, vont fournir, après Aristote, un vaste système qui a régi l’art du discours en Occident jusqu’au XIXe siècle au moins, d’autant plus que la tradition pédagogique, de la Renaissance aux Lumières, fondera l’apprentissage de la parole et de l’écrit sur l’édifice de la rhétorique cicéronienne, éclairée par l’exposé méthodique de Quintilien.
La rhétorique est donc l’art d’argumenter, dont le but ultime est de persuader : les principales voies pour y parvenir sont le docere (instruire), le placere (plaire) et le movere (émouvoir, toucher). En parallèle, les trois grands moyens de persuader {pisteis, arguments, preuves) sont fondés sur le raisonnement discursif {logos, qui correspond au docere), sur les mœurs de l’orateur {éthos, qui joue sur le placere) et sur les passions de l’auditoire {pathos, qui a partie liée avec le movere). Les trois « genres » de l’éloquence sont déterminés par l’objet qui est à décider : ce qu’il faut faire ou ne pas faire (genre délibératif : conseil qui porte sur l’avenir), ce qui est juste ou injuste (genre judiciaire : jugement qui porte sur le passé) et ce qui est noble ou vil (genre épidictique, ou démonstratif : adhésion ou rejet qui porte sur le présent). L’outil logique majeur qu’Aristote a inventé est l’enthymème déductif (qui est un syllogisme dont les prémisses sont simplement probables : on déduit un fait particulier de principes généraux), auquel répond, dans le mode inductif, l’exemple (on induit une loi générale d’un fait particulier). L’intérêt pour les preuves subjectives, qui jouent sur les affects (ethos et pathos), conduit Aristote à élaborer toute une psychologie (celle du public) et à bien analyser les enjeux moraux (éthique de l’orateur) qui entraînent la conviction du public. Le système des preuves repose donc à la fois sur la logique (arguments démonstratifs : enthymème et exemple), sur l’analyse des mœurs de l’orateur et sur la connaissance des passions du public : ce sont les preuves « techniques » (intrinsèques), c’est-à-dire celles qui sont du ressort de l’art rhétorique à proprement parler (et celles dont s’occupent les traités de rhétorique). Les autres preuves, appelées « extra-techniques » (extrinsèques), n’appartiennent pas à l’art de l’orateur, mais sont fournies par des éléments extérieurs : ce sont les lois, les pièces à conviction, les témoignages, les serments, etc., qui relèvent d’une autre instance que celle de l’orateur ou du public.
Les cinq parties de l’art oratoire sont, dans l’ordre chronologique, l’« invention » (le fait de trouver les arguments), la « disposition » (le classement des arguments selon un plan), l’« élocution » (la mise en forme stylistique, l’écriture du discours à proprement parler), la « mémoire » (lorsqu’on apprend par cœur le discours), et l’« action », lorsqu’on le prononce devant le public. Dans l’histoire de la rhétorique, lorsque l’invention a été battue en brèche par les nouveaux types de savoirs (évidence cartésienne, preuves expérimentales), et que l’écrit a rendu moins importante la performance oratoire (qui a besoin de la mémoire et de l’action), la rhétorique s’est peu à peu réduite, en France du moins, à l’élocution, c’est-à-dire à un art des figures : c’est ainsi que Dumarsais (1676-1756), puis Fontanier (Les Figures du discours, 1827) ont légué aux théoriciens du XXe siècle une « rhétorique restreinte » qui avait délaissé l’argumentation à proprement parler pour se concentrer sur une stylistique, où l’analyse des tropes l’emportait sur toute autre considération. C’est aussi pour cette raison que la rhétorique est restée au cœur de la théorie littéraire moderne (cf. le couple métaphore/métonymie chez le formaliste russe Roman Jakobson).
Rhétoriqueurs (Grands). Terme utilisé depuis le XIXe siècle pour désigner un courant poétique de la fin du Moyen Age et du début du XVIe siècle, qui a fleuri à l’époque des arts de seconde rhétorique, sous les règnes de Louis XI, Charles VIII et Louis XII. Beaucoup de ces poètes étaient liés à la cour des ducs de Bourgogne (Georges Chastellain, Jean Molinet, tous deux indiciaires de Bourgogne), de Bretagne (Jean Meschinot) ou de Bourbon (Jean Robertet). Ils pratiquent toute sorte de sophistications et de virtuosités poétiques (acrostiches, rimes batelées, équivoquées ou couronnées, ballades rétrogrades, lisibles aussi bien de la fin vers le début, jeux de mots, bilinguisme français-latin, jeux sur les rythmes, multiplication des figures de rhétorique). Ils pratiquent volontiers le prosimètre et la rhétorique de. l’éloge oratoire. A la fois poètes et historiens pour beaucoup d’entre eux, ils ont une haute conscience de leur fonction d’écrivain et de leurs devoirs auprès du prince. Leur premier maître, antérieur d’un siècle mais quelquefois qualifié lui aussi de rhétoriqueur, était Eustache Deschamps. Ces recherches poétiques complexes ont été violemment critiquées et tournées en ridicule par les poètes de la Pléiade.
Rhétoriqueur (grand). Sous ce nom, on désigne des poètes de la seconde moitié du XVe siècle et de la première moitié du XVIe au service de princes ou de rois comme Charles VIII ou Louis XII dont ils célèbrent la gloire (Jean Molinet, Pierre Gringore, Jean Meschinot, Jean Marot, Guillaume Crétin, Jean Lemaire des Belges, Octavien de Saint-Gelays). Eux-mêmes s’appelaient « rhétoriciens », signifiant par là qu’ils étaient habiles dans les deux rhétoriques, la rhétorique oratoire, et la rhétorique poétique, dite seconde rhétorique. Leurs textes sont souvent liés aux problèmes du moment mais ils sont surtout connus par les acrobaties rhétoriques et rythmiques auxquelles ils se livrent. Les contraintes qu’ils se donnent sont définies par P. Fabri dans son Grand et vrai art de pleine rhétorique (1521). Sur le plan formel c’est la rime qui est au centre de leur pratique et fait l’objet de recherches et d’enrichissements parfois vertigineux :
Quand du gay bruyt d’Amour souvent vent vente, Et l’amant, qui son cueur savant vend, vante S’amour, lors font telz cas, venuz nuz, nue Trouble, donc en plaisir Vénus n’euz nue. (Guillaume Crétin) Sur le plan sémantique, c’est la recherche de l’équivoque généralisée, surtout d’ailleurs à la rime, qui est notable : Lettres, allez, sans séjourner en place, Que ne soyez ès mains de Molinet, Et le gardez que désir mol il n’ayt A m’escrire, mais vouloir bien ample à ce. (Guillaume Crétin) Ces jongleries sont parfois la matière même de la poésie qui constitue souvent une variation autour d’une topique métalinguistique. On leur a longtemps reproché de n’être que de pâles rimeurs. Les surréalistes, épris de jeux sur le langage, les ont réhabilités.
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