romantisme (lexique)
romantisme. Mouvement esthétique et littéraire qui se développe à travers l’Europe à partir des dernières années du XVIIIe siècle. L’adjectif « romantique » (anglais roman-tic} a d’abord qualifié des situations romanesques, des paysages pittoresques (J.-J. Rousseau, 1777) et des états d’âme en rapport avec la tonalité du roman sentimental. C’est en Allemagne que l’adjectif prend un sens nouveau pour qualifier la poésie « née de la chevalerie et du christianisme », dit Mme de Staël, qui, en traduisant le substantif allemand die Romantik, popularise en français le terme « romantisme » (De [Allemagne, 1813). Le premier groupe romantique allemand se constitue à léna autour de la revue L'Athenaeum (1798-1800) et rassemble les frères Schlegel, Novalis, Tieck, Schleiermacher, Schelling. Il restera longtemps mal connu en France, malgré l’importance de son apport théorique. Le théâtre de Kleist (1777-1811) restera également ignoré. Les traductions d’E.T.A. Hoffmann connaîtront en revanche une vogue irrésistible entre 1829 et 1835. Mais Hoffmann est mort en 1822. Si l’on fait dépendre l’existence du romantisme de celle d’un groupe, d’un programme et d’un mouvement pourvu d’une étiquette, on peut dire que l’aventure du romantisme allemand s’achève quand commence celle du romantisme français, au cours des années 1820. Si l’on considère au contraire que l’approfondissement du sentiment de la nature, le renouvellement de l’imaginaire littéraire par l’histoire et par l’exotisme, le «vague des passions », et une écriture bousculant par moments les canons classiques sont les caractères distinctifs du romantisme, Atala dès 1801, le Génie du christianisme et René en 1802 attestent l’existence d’un romantisme français dès le début du siècle. Chateaubriand se vantera plus tard, non sans raison, d’avoir « produit ou déterminé une révolution et commencé la nouvelle ère du siècle littéraire ». Mais il ne tient pas spécialement à la qualification de « romantique » (qu’outre-Manche Byron, entre autres, refuse obstinément). D’autant plus que le romantisme fait encore mauvais genre. En 1819, Charles Nodier identifie le « genre romantique » avec ce qu’il nomme « l’école frénétique » : « On sait où nous en sommes en politique et, en poésie, nous en sommes au cauchemar et aux vampires. » En publiant ses Méditations poétiques (1820), Lamartine ne se réclame d’aucune école. En 1823, dans Racine et Shakespeare, Stendhal parle encore, à l’italienne, de « romanticisme » (transposition de romanticismo). Dans la préface des Odes de 1824, Hugo feint d’ignorer « ce que c’est que le genre classique et le genre romantique ». Cependant, chacun comprend que la littérature ne peut rester immobile dans une société profondément bouleversée. Le romantisme résulte avant tout de la prise de conscience des rapports qui unissent l’art et l’histoire même si, dans l’atmosphère de la Restauration, c’est au passé que l’on s’adresse d’abord pour renouveler formes et contenus. La jeunesse consacre à l’art une énergie qu’elle ne peut plus dépenser sur les champs de bataille, la plume succède à l’épée (thème d’époque). Des cénacles s’organisent. Le jeune Hugo, après un premier roman « frénétique » {Han d'Islande, 1823), des Odes d’inspiration monarchique (1822-1824) et des Ballades de couleur médiévale (1826), fournit en 1827, avec Cromwell et sa préface, la théorie et l’illustration du drame nouveau ; Vigny publie ses Poèmes antiques et modernes (1826), Sainte-Beuve révèle la poésie de fa Renaissance (Tableau de la poésie française au XVIe siècle, 1828) ; le fantastique est plus que jamais à la mode. En quelques années, le mot romantisme cristallise toutes ces innovations et devient le mot d’ordre d’une génération, qui assure en 1830 le triomphe d'Hernani.
La révolution de Juillet fait miroiter un instant la possibilité d’une alliance entre la dynamique de la société et une littérature devenue mouvement. « Le romantisme, c’est le libéralisme en littérature », proclame Hugo. Mais la monarchie censitaire, dont la volonté d’enrichissement est le moteur, creuse au contraire l’écart entre les rêves des artistes et les réalités économiques et sociales. Les uns, comme Théophile Gautier, continueront sans trop se préoccuper des enjeux collectifs à faire de l’art pour l’art. D’autres se consacrent à peindre sans complaisance la société contemporaine, fondant définitivement le réalisme romanesque (Stendhal, Balzac). L’opposition idéal/réel, si visible en particulier chez Musset, structure tout un pan de la littérature romantique. Il faut cependant bien se garder de réduire celle-ci au mal-être, au mal du siècle ou, pire, au lyrisme sentimental. La monarchie de Juillet connaît également un extraordinaire bouillonnement idéologique dont les écrivains romantiques progressistes — Michelet, Quinet, George Sand — prennent largement leur part. Pour les saint-simoniens, dont le journal Le Globe devient l’organe en 1831, les artistes et les penseurs sont les vrais prêtres de l’humanité. Hugo s’en souviendra en écrivant « Les Mages » (1855) et déjà, en 1839, en proclamant le poète « pareil aux prophètes », « rêveur sacré » chargé de préparer l’avenir (« Fonction du poète », première pièce des Rayons et les Ombres, 1840). Cet humanitarisme, chez Sand ou Hugo, irrite Baudelaire. Celui-ci n’en renie pas pour autant le romantisme : « Qui dit romantisme dit art moderne, — c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts » (Salon de 1846). Cette définition, ajoute-t-il, « en exclut naturellement M. Victor Hugo » - mais elle inclut Baudelaire.
Il est donc bien des manières de comprendre le romantisme. Quelques points fondamentaux peuvent cependant être dégagés. 1. Plus qu’une école ou même une esthétique, le romantisme est une dynamique, en rapport direct avec la dynamique historique et la conscience nouvelle qu’on en prend. Si le héros romantique est « une force qui va », c’est que pour lui le devenir l’emporte sur l’être, même si ce devenir est incertain, le présent instable et l’époque décevante. « Ce qui ne peut pas encore être, il faut au moins que cela ne cesse de devenir » (Athenaeum, fragment 334). Le romantique ne saurait rester neutre en face de son siècle, que celui-ci entraîne un mal-être (Musset), un désir de fuite (Nerval), une attitude de révolte (Pétrus Borel), ou la conviction d’un progrès indéfini en cours de réalisation. 2. Sur le plan esthétique, la dynamique romantique conduit à relativiser les règles et décloisonner les genres. La conscience historique entraîne à rechercher la « couleur » propre à chaque siècle et contribue à faire émerger la notion de modernité, qui est la « couleur » du présent. Des genres nouveaux apparaissent, comme le poème en prose (Gaspard de la nuit, 1842). Aucun genre, aucune forme ne sont plus intangibles. 3. Le romantisme fait confiance à l’imagination, « la première et la plus rare des facultés » (Vigny, 1832), la « reine du vrai » (Baudelaire, 1859). L’imaginaire littéraire, nourri de la vision des siècles passés, de l’Orient, des littératures étrangères, des traditions populaires, s’ouvre au rêve, à des formes renouvelées du mythe, au délire (Nerval) et prépare indirectement l’exploration de l’inconscient. 4. De l'Athenaeum jusqu’au sonnet Correspondances et aux dernières œuvres de Hugo, le romantisme répond à une volonté de totalisation et de restitution de l’unité perdue (y compris dans les sciences, que l’on rêve de réconcilier avec la poésie). L’impossibilité d’y parvenir est la principale source de l’ironie romantique.
Hugo, tardivement mais avec génie, tenta d’évoquer la totalité de l’épopée humaine {La Légende des siècles), de l’épopée du Mal et du rachat {La Fin de Satan), de l’épopée des religions {Dieu). Ces deux dernières œuvres, inachevées, ne paraissent qu’en 1886 et 1891. En cette fin du siècle, le courant « décadent » peut être interprété comme un ultime avatar du romantisme « noir » - le surréalisme lui-même pouvant passer, comme A. Breton le reconnaissait en 1929, pour «la queue, mais alors la queue tellement préhensile », du romantisme.
Romantisme. Courant artistique européen qui naît à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre et en Allemagne et qui essaime ensuite dans toute l’Europe. Il se caractérise par la revendication de la liberté de l’art et par la naissance d’une sensibilité nouvelle. En France, où il est plus tardif, à cause de l’héritage classique, il s’épanouit essentiellement sous la Restauration et la monarchie de Juillet. Signalons que l’adjectif « romantique » apparaît à la fin du XVIIe siècle où il est synonyme de « romanesque » (par exemple pour qualifier une jeune fille sentimentale). Au XVIIIe siècle, sous l’influence de l’anglais romande il devient synonyme de «pittoresque» (pour qualifier un paysage). Ce n’est qu’à partir de 1810 dans De l’Allemagne de Madame de Staël que, sous l’influence de l’allemand romantisch, il prend l’acception littéraire que nous lui connaissons aujourd’hui. L’emploi du substantif devient courant dès 1824, moment où Stendhal crée le terme de «romanticisme» (fruit d’une contamination de l’italien et de l’anglais).
Le romantisme en France se prépare dès la fin du XVIIIe siècle avec des écrivains comme Rousseau {La Nouvelle Héloïse, 1761) puis Bernardin de Saint-Pierre {Paul et Virginie, 1787). Vient ensuite la période du préromantisme (de 1800 à 1820), inaugurée par Madame de Staël qui avec De la littérature (1800) écrit avant l’heure une sorte de manifeste romantique, par Chateaubriand {René, 1802), par Sénancour {Oberman, 1804) et par Benjamin Constant {Adolphe, 1816). Grâce à ces écrivains qui se passionnent pour les littératures étrangères, la France, fermée sur elle-même jusqu’alors, va découvrir à l’étranger de grands modèles, Shakespeare et Schiller pour le théâtre, Byron pour la poésie, Walter Scott pour le roman. On peut situer le romantisme proprement dit de 1820, date des Méditations de Lamartine, à 1843, année de l’échec des Burgraves, drame de Victor Hugo, et du triomphe de Lucrèce, tragédie classique de Ponsard. C’est l’époque en peinture de Géricault {Le Radeau de la Méduse, 1819) et Delacroix {La Barque de Dante, 1822), en musique, de Chopin et de Berlioz. En littérature, autour de Hugo se regroupent, dès les années 1820, la première génération de romantiques, Vigny, Lamartine, Mérimée, Balzac (qui sera le créateur du roman réaliste, bien qu’il soit très marqué par le romantisme), Stendhal, Sainte-Beuve, Michelet, Alexandre Dumas. La deuxième génération commence à écrire en 1830 avec Théophile Gautier, Musset, George Sand, Nerval. Après 1843, le romantisme qui n’existe plus en tant que courant, perdure pendant toute l’époque réaliste. Hugo écrit jusqu’à la fin du siècle. Quant à Nerval, il donne de 1851 à 1855 ses œuvres maîtresses, Sylvie, Aurélia, Les Chimères. On regroupe traditionnellement sous le nom de « romantiques mineurs » des poètes un peu oubliés : Aloysius Bertrand, Marceline Desbordes-Valmore, Maurice de Guérin. Nerval fut injustement classé dans cette catégorie jusqu’à ce que les surréalistes donnent à son œuvre la place de premier plan qu’elle mérite. Par poète lakiste, on entend les poètes romantiques anglais, comme Woodworth, Coleridge et Southey qui résidèrent temporairement au même endroit, dans les lacs (anglais : lake) de l’Angleterre du Nord. Le romantisme, qui se définit en réaction contre le classicisme, prône la liberté en art. Il abolit la hiérarchie des genres, abandonne la distinction entre les niveaux de style (élevé, moyen, bas). En matière de théâtre, il rejette le carcan de la règle des trois unités et prône le mélange des tons sublimes et grotesques. Les poètes, refusant les formes classiques, cherchent leur inspiration dans la poésie populaire et retournent spontanément aux genres anciens comme la ballade. Ils réhabilitent le sonnet (peu prisé au XVIIIe siècle). Ils brisent la symétrie classique de l’alexandrin. Ces écrivains redécouvrent le Moyen Age, cet « art primitif » sur lequel la Renaissance et le classicisme avaient jeté l’ostracisme, et y puisent une part de leur inspiration. Ex. : Hugo situe l’action de son roman historique Notre-Dame de Paris à la fin du Moyen Age.
Avec le romantisme naît une sensibilité nouvelle. Les écrivains exaltent le «moi», systématisant une attitude inaugurée par Goethe dans Werther (1774) et par Rousseau dans Les Confessions (1782). Ils cultivent «l’égotisme», témoins ces Souvenirs d’égotisme (1821-1830) que nous a laissés Stendhal ou le Journal de Maine de Biran. Ils se racontent inlassablement, inaugurant la mode de l’autobiographie (Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand) et du journal intime. Méprisant la raison chère aux classiques, ils lui préfèrent le monde tumultueux de la passion et les chimères de l’onirisme. Cela explique leur propension pour le fantastique. L’Orient les enchante par son ésotérisme (Nerval, Voyage en Orient, 1851). La nature, qu’ils célèbrent dans leurs vers, exerce sur eux une véritable fascination. Ils rêvent d’une harmonie entre leur état d’âme intérieur et la paix de la nature; ils voudraient changer le monde et sont déçus par l’échec des révolutions, surtout les plus jeunes d’entre eux pour qui 1830, comme plus tard 1848, représente l’anéantissement des aspirations sociales. Leur déception se manifeste dans ce « mal du siècle » dont Musset brosse un tableau dans sa Confession d’un enfant du siècle. L’artiste est pour eux investi d’une haute fonction. Il est le « mage » qui guide le peuple vers le progrès. De nombreux écrivains ont d’ailleurs participé à la vie politique, Lamartine, Hugo et Vigny notamment.