Sonorités
Sonorités. Unités linguistiques non signifiantes, utilisées de façon remarquable en littérature, en particulier en poésie, soit pour leur musicalité, soit en association avec le matériel sémantique. C’est dans le cadre de la syllabe que se définissent les configurations intéressantes de sonorités, qui se fondent sur la répétition. Dans la poésie française, contrairement à d’autres langues, ce sont surtout les répétitions de voyelles qui sont utilisées. On définit ainsi l'assonance, récurrence à la fin du vers de la dernière voyelle accentuée, indépendamment de ce qui la suit éventuellement : roi / avoir, survive / justice (La Chanson de Roland) et la rime, récurrence dans la même position de la dernière voyelle accentuée, et de ce qui la suit éventuellement : délivre / vivre (Mallarmé, Le vierge, le vivace et le bel aujourd hui) Utilisée au Moyen Age, l’assonance a ensuite cédé la place à la rime, qui devint très vite une caractéristique de la poésie. A partir du xvr siècle, apparaît, dès que l’on change de rime, le principe de l’alternance entre rimes féminines, terminées par e muet (caduc, instable), suivi ou non de consonne, et rimes masculines, c’est-à-dire toutes les autres : sympathies, douceurs, averties, sœurs (Théophile Gautier, Affinités secrètes) transparent, problème, blême, pleurant (Verlaine, Mon rêve familier) A partir de la fin du xixe siècle, ce principe d’alternance, devenu exclusivement graphique, est souvent remplacé par le principe phonique de l’alternance des rimes vocaliques, terminées par voyelle orale et consonantiques, par consonnes orales : Nous vînmes au jardin fleuri pour la cueillette. Belle, sais-tu combien de fleurs, de roses-thé, Roses pâles d’amour qui couronnent ta tête, S’effeuillent chaque été? (Apollinaire, La Cueillette) On oppose les rimes pauvres, avec une seule homophonie : dieux / cheveux (Musset, Rolla) aux rimes suffisantes (deux homophonies) : athée / Prométhée (Musset, Rolla) et aux rimes riches (plus de deux homophonies) : portiques / antiques
(Musset, Rolla) Les romantiques accordent une grande importance à la consonne dite d’appui qui précède la voyelle accentuée, et qui constitue pour eux la richesse de la rime : austère, soirs, terre, encensoirs (Vigny, La Maison du berger) La rime représente généralement un compromis entre les exigences de l’oreille et celles de l’œil, ce qui oblige parfois à des changements orthographiques ou entraîne des interdictions comme celles de faire rimer un mot singulier avec un mot pluriel. Les rimes dites normandes sont de purs homographes qui ne constituent de rimes que pour l’œil : aimer et mer par exemple. Les rimes participent à la définition de la strophe et s’organisent en rimes plates ou suivies : Et l’ange devint noir, et dit : - Je suis l’amour. Mais son front sombre était plus charmant que le jour, Et je voyais, dans l’ombre où brillaient ses prunelles, Les astres à travers les plumes de ses ailes. (Victor Hugo, Apparition) rimes croisées : Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges Jeter l’ancre un seul jour? (Lamartine, Le Lac) et rimes embrassées : Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse, Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit. O Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit, Afin que je m’en aille et que je disparaisse ! (Hugo, Veni, vidi, vixi) Contestée au nom du naturel à partir de la seconde moitié du xixe siècle, la rime est souvent remplacée par d’autres recherches sur les sonorités, comme l'allitération (au sens strict répétition de la consonne initiale de la syllabe) : palais / lois (Aragon, Pour demain) ou la consonance (répétition de la consonne finale) : Rosemonde / Hollande (Apollinaire, Rosemonde) A côté de ces répétitions codées, existent des récurrences aléatoires de sonorités, qu’on appelle souvent improprement des allitérations, et qu’il vaudrait mieux appeler échos phoniques. Ces échos, qui apparaissent également en prose, participent au rythme et à la musicalité du vers ou de la phrase : Le soir je m’embarquais sur l’étang, conduisant seul mon bateau au milieu des joncs et des larges feuilles flottantes du nénuphar.
(Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe') mais ils permettent également des associations sémantiques. Le symbolisme phonétique est en effet très restreint, limité aux onomatopées et à certains couplages synesthésiques, où, à partir de mouvements articulatoires, certains sons sont reliés à des formes, à des grandeurs et à des sons ( [i] associé à la petitesse et à l’aigu, [o] associé à la rondeur, à la grosseur et au grave). Mais s’il est impossible de conférer des valeurs sémantiques aux sonorités, elles peuvent souligner le sens de certains termes, ou permettent d’apparier sémantiquement, en vertu de leur ressemblance phonique, des termes pourtant différents : Belle, sanglote un peu... Chaque fleur qui se fane, C’est un amour qui meurt. (Apollinaire, La Cueillette) C’est le principe de la paronomase, dont la rime ne constitue qu’un cas particulier.