Devoir de Français

Style bas Style coupé style élevé Style fleuri style formulaire Style naturel style noble style poissard Style simple style tempéré stylème stylistique stylisation

style. Ensemble des caractéristiques propres de l’expression d’un auteur, le style combine des marques lexicales, syntaxiques, prosodiques, rhétoriques. Cet ensemble de particularités locales est perçu comme un tout, un ton attaché à une personnalité. La catégorie de style, fort instable d’un point de vue théorique, correspond à une indéniable réalité intuitive : on peut parfois aisément reconnaître un style dès les premiers mots.

Style bas. Dans la description traditionnelle (rhétorique) des trois degrés de style, le style bas correspond, strictement parlant, au style simple, qui doit être précis, clair et bref (celui qui correspond le mieux à la définition idéale de l’atticisme). Dans les débats littéraires de l’époque classique, puis à l’époque romantique, l’expression peut aussi caractériser un style familier, sans distinction, comme dans le burlesque ou dans la farce : il désigne alors aussi bien l’emploi d’un lexique familier (mots vulgaires, expressions populaires) que la référence à un univers socialement peu élevé.

Style coupé. Type de style qui favorise les juxtapositions, les asyndètes, les propositions brèves, en vogue en particulier au XVIIIe siècle, comme dans ce passage de Candide de Voltaire : Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il était en cendres : c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort.

style élevé. Dans la tripartition traditionnelle des styles, le style élevé est celui qui doit être, selon Cicéron (dans son traité intitulé L’Orateur), «majestueux, riche, sublime, éclatant » : c’est le style qui exerce le plus, d’action sur l’auditoire, en provoquant l’admiration et l’étonnement, par l’emploi des figures les plus spectaculaires. Les caractères de ce style sont l’énergie, la vivacité, l’abondance, et son but ultime est le movere (troisième but de la rhétorique : « émouvoir »). La tradition rhétorique l’associe à la notion de sublime, c’est le style de la grande éloquence d’apparat, celui qu’il convient d’utiliser dans la péroraison et où règne le plus l’ornement. Le grand modèle de ce style est l’orateur grec Démosthène. En poésie, c’est le style de l’épopée et de la tragédie.


Style fleuri. Cette désignation renvoie à l’usage intensif des ornements, de ce que l’on appelle traditionnellement les « fleurs de rhétorique » ; selon Quintilien (Institution oratoire), c’est le caractère dominant du style tempéré, où l’usage des métaphores et des métonymies, ainsi que les effets de variations, sont recommandés. Il vise avant tout à plaire, et la douceur (suavitas) est son principal atout.

style formulaire. Dans l’Antiquité, au Moyen Âge, et dans certaines littératures orales (yougoslave, africaine), composition reposant sur l’emploi de stéréotypes d’expression, admettant un nombre limité de variantes, et qui sont coulés dans un moule rythmico-syntaxique correspondant aux exigences de la métrique (hémistiches de quatre et six syllabes du décasyllabe épique, par exemple). Ainsi, pour désigner l’action d’éperonner le cheval, le jongleur pourra utiliser à loisir des variantes formulaires parfaitement équivalentes : Le destrier broche, Son cheval point, Point le destrier, etc. ; ce que l’auditeur entend et saisit, ce n’est pas la variante, c’est la répétition. On ne peut donc commenter un texte en style formulaire avec les principes d’analyse stylistique qui valent généralement pour la littérature. Il est à présent admis que ce style, qui favorise la mémorisation et surtout la semi-improvisation

Style naturel. Le naturel est une valeur qui s’affirme au XVIIe siècle, envahissant peu à peu tout le champ de la rhétorique mondaine : il est lié au style simple, en tant qu’il rejette l’affectation trop visible d’une rhétorique ornée et travaillée, savante, en un mot, telle qu’on l’apprend dans les collèges. Il est en effet le style idéal de la conversation, genre matriciel de tous les genres mondains, ce qui renvoie aussi à l’idéal rhétorique de naïveté : on est cette fois du côté de l’idéal linguistique promu depuis le XVIe siècle, qui veut faire de la langue française l’outil exclusif de l’expression littéraire (contre le modèle latin, encore bien vivace). A ce titre, l’ordre naturel de la pensée est un des points sur lesquels insistent les grammairiens des années 1670-1680 : l’idée que la langue française est fidèle à la logique naturelle de la pensée est une conviction partagée par tous à cette époque. Cela s’accompagne des vertus traditionnelles de l’atticisme : clarté, élégance, simplicité, transparence. C’est ainsi que le P. Bouhours a pu comparer la langue française à une eau claire et limpide, sans goût, par opposition aux obscurités et aux difficultés de la langue espagnole ou italienne (Entretiens d’Ariste et d’Eugène, 1671). Comme catégorie proprement rhétorique du style, le naturel est une valeur qui permet de dénoncer tous les vices du mauvais style (affectation, enflure, froideur, obscurité), et on évoque souvent comme exemples antiques de cette vertu, le Grec Xénophon (attique par excellence) et le Latin Térence (maître de la comédie de caractères) : le premier peut apparaître comme le modèle de la narration en prose, et le second est un modèle pour le théâtre de Molière, grand défenseur du naturel dans le jeu théâtral. Par le biais du style, le naturel est donc appelé à devenir une vertu sociale et mondaine, qui caractérise l’idéal contemporain de l’honnête homme.


style noble. Selon les théoriciens antiques de la rhétorique, la noblesse est une des « catégories » du style (Hermogène, IIe siècle ap. J.-C.), qui appartient au registre de la grandeur : c’est dire qu’il caractérise à la fois l’élocution (choix des termes, figures, effets sonores et rythmiques) et le sujet traité (les « pensées nobles », dit Hermogène). Le style noble suppose donc un accord entre la hiérarchie des styles, celle des genres (tragédie, épopée) et celle des thèmes correspondants. Il convient donc pour traiter des réalités divines, mythologiques ou des hautes actions humaines (faits héroïques, combats, etc.) ; un vocabulaire majestueux et de registre élevé doit être utilisé, avec des effets sonores appuyés (notamment les voyelles ouvertes, o et à) : on voit à quel point cela peut correspondre au registre tragique ou épique. A l’inverse, l’usage de ces mêmes procédés pour traiter un sujet bas conduit directement au burlesque. Le style noble est, par excellence, le style du genre démonstratif (ou épidictique) et, en poésie lyrique, celui de l’ode. style poissard (de poissard, « voleur », c’est-à-dire « celui dont les doigts se collent aux objets comme de la poix »). Se dit d’un style qui imite les façons du bas peuple, comme dans cette strophe des Complaintes de Laforgue, qui s’adresse à la lune :

— Va donc, rosière enfarinée ! Hé l Notre-Dame des gens soûls, Des filous et des loups-garous ! Metteuse en rut des vieux matous ! Coucou !

Style simple. C’est le style le plus bas de la hiérarchie instaurée par la tripartition traditionnelle des styles (Cicéron, L'Orateur) : ses caractères sont la précision, la clarté et la convenance. Il est étroitement lié à la notion d’atticisme, car on prêtait ses qualités, selon Cicéron, aux orateurs d’Athènes ; la pureté du vocabulaire y est aussi très importante, car l’efficacité repose ici sur la précision des idées et la sobriété des effets, loin de tout ornement excessif, comme les métaphores rares ou les périodes compliquées. L’orateur athénien Lysias est souvent évoqué, par les théoriciens, comme le modèle de ce style. Il excellait notamment dans la narration; qui s’en tient aux faits sans multiplier les effets voyants d’une éloquence d’apparat. Selon Quintilien {Institution oratoire), c’est le style qui vise au premier but de la rhétorique : instruire (docere). C’est pourquoi le style simple convient particulièrement à la narration historique ou romanesque. Dans l’esthétique classique, ce style est associé au naturel et à l’élégance, c’est aussi celui qui convient aux mots d’esprit et à la conversation.

style tempéré. Selon la tripartition traditionnelle des styles, dans la rhétorique classique, ce style tient le juste milieu entre le style simple et le style élevé ou sublime. Cicéron le définit, dans son traité L'Orateur, comme le style de l’agrément et du charme : son mouvement doit être doux, et on y utilise de préférence les métaphores et les métonymies, car ce qui est recherché est la variété et la séduction. La finalité est ici le delectare (« plaire » : le second but de la rhétorique). A cet égard, il se distingue nettement du style simple, nerveux et bref, et du style élevé, abondant et véhément. Il est assimilable au style fleuri, car les ornements y sont nombreux et variés. Les théoriciens anciens citaient comme modèle de ce genre l’orateur athénien Isocrate. Dans le domaine de la poésie ou du roman, le style tempéré est celui qui convient le mieux à la description, alors que le style simple sera celui de la narration.

stylème (n. m.). Fait stylistique (généralement grammatical ou prosodique) que l’on retrouve très fréquemment dans les textes d’un auteur et qui est caractéristique de sa manière d’écrire : le détachement appositif en tête de phrase est un stylème sartrien particulièrement frappant (Tendre, elle m'apprit la tendresse; clandestin, je fus vrai, J.-P. Sartre, Les Mots, 1964).

stylisation. Au théâtre, simplification délibérée des formes et de la décoration, dans le but d’obtenir un effet plus puissant, de suggérer l’universalité ou la dimension essentielle et symbolique d’une forme. La stylisation est souvent dirigée contre le réalisme ou le naturalisme. On peut ainsi styliser un décor, faire ressortir en lui la puissance de l’esquisse, en faire sentir le style et l’art au détriment de la représentation réaliste. Un acteur peut, avec une intention semblable, styliser son jeu pour interpréter un personnage.

stylistique. La rhétorique, depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle inclus, a été un ensemble de règles permettant d’élaborer des discours aptes à persuader; les maîtres d’éloquence avaient étudié ces procédés pour former un art de la parole. Avec la stylistique, la perspective s’inverse : il ne s’agit plus de lois d’élaboration, mais au contraire d’analyses du discours littéraire constitué. C’est Charles Bally (1865-1947), élève et successeur de Ferdinand de Saussure, qui fonde, au début du XXe siècle, cette nouvelle discipline. Depuis sa création, la stylistique a connu nombre de mises au point et de redéfinitions, avec à la clé des polémiques ardentes. Dans son extension la plus large, on peut dire qu’elle se penche sur les procédés d’expression individuelle, écrite ou orale, mais l’utilisation la plus répandue de la stylistique et qui donne lieu à une définition plus rigoureuse est en fait l’analyse linguistique et esthétique des textes littéraires en tant que tels : elle permet de spécifier et de mettre en valeur ce qui fait d’eux des textes littéraires. Elle trace son sillon propre entre deux limites : d’un côté, l’analyse littéraire, puisqu’elle sert l’interprétation par la rigueur avec laquelle elle étudie l’écriture (histoire des genres, contexte, choix des mots, figures, cohérence des images et des références, aspects rhétorique et poétique) ; de l’autre, l’analyse linguistique, puisqu’elle se sert d’outils grammaticaux et linguistiques (énonciation, pragmatique, sémiotique, etc.). La gageure, depuis les débordements terminologiques des années 1970, est, par-delà les écueils d’une technicité abusive ou d’interprétations hâtives qui tendent à oublier le texte et brouillent l’accès à ce qu’il a d’unique et de spécifique, de privilégier ce qui lui donne sa couleur propre et son unité : la stylistique est plutôt une pratique et une méthode d’analyse qu’une théorie. Il s’agit de mobiliser une connaissance préalable du fonctionnement de la langue et de ses procédés pour savoir lire, écouter le texte, ne pas se tenir autour ou à côté, mais entrer dans l’univers d’écriture qu’il circonscrit ou ouvre, comme on voudra. La stylistique a donc pour objet le texte littéraire et pour ambition l’intelligence la plus rigoureuse possible de ce qu’il met en jeu.


Liens utiles