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théâtralité. Caractère de ce qui est propre au théâtre. Cette notion est difficile à définir tant elle est utilisée dans des sens variés, souvent à tort et à travers. La théâtralité d’un texte dramatique s’inscrit à la fois en lui et à son défaut : c’est son aptitude à inscrire en lui la possibilité, l’exigence d’une bonne représentation dramatique. La théâtralité se fait sentir lorsque le texte appelle en quelque sorte le geste du personnage, lorsqu’il s’offre à la voix et à l’intonation qui doit compléter son sens, en un mot lorsqu’il s’offre au corps d’un acteur virtuel. La théâtralité est aussi appel à la spatialisation du texte, inscription dans un protocole dramatique. Au-delà de la question du texte, relèvent encore de la théâtralité le soulignement de certains gestes, de certaines paroles, qui fait comprendre qu’ils sont destinés à un public virtuel ou réel, l’emphase soudaine qui montre qu’ils sont « en représentation ». La théâtralité (ou le propre du théâtre) tient en effet à la conscience qu’un geste ou une parole ne relèvent pas de la nature mais de l’art.

théâtre à thèse. Type de théâtre dont la caractéristique est d’utiliser la forme théâtrale pour proposer au spectateur une leçon. Sartre ou Brecht ont écrit du théâtre à thèse. L’expression est utilisée aujourd’hui avec une valeur souvent péjorative pour désigner une pièce lourdement didactique et elle sert souvent à discréditer toute forme de théâtre perçue, à tort ou à raison, comme « intellectuelle ». On remarquera par ailleurs que ni Brecht (malgré les Lehrstücke), ni Sartre, ni Camus n’ont entrepris d’assener aux spectateurs une thèse préformée en quelque sorte. On réservera donc cette expression à des pièces didactiques ratées.


théâtre dans un fauteuil. On désigne ainsi la production théâtrale qui n’est pas destinée à la scène : celle de Musset, par exemple, qui, après l’échec de La Nuit vénitienne (1830), n’écrit plus pour être joué comme le montre la publication d’Un spectacle dans un fauteuil (1832) : il peut ainsi se libérer de certaines , conventions de son époque. Mais l’expression vaut également pour le théâtre de Hugo, qui renonce également à la scène après l’échec de ses Burgraves (1843), tout en continuant à travailler aux pièces de son Théâtre en liberté. L’expression désigne aussi parfois les pièces qui ne semblent pas jouables.

théâtre de boulevard. Genre théâtral qui ne prétend, en général, qu’au pur divertissement. II doit son nom aux « grands boulevards » parisiens sur lesquels, depuis le milieu du XVIIIe siècle, se sont installés des théâtres privés. Le théâtre de boulevard est voué à la comédie ou à des drames attendrissants. Il met en valeur de grands acteurs, qui, comme l’était Sacha Guitry, sont parfois aussi des auteurs. Il a connu son âge d’or à la fin du XIXe siècle, avec des auteurs comme Labiche ou Courteline. Encourageant un style de jeu dramatique dépourvu de toute audace et fondé sur la complicité du public (jeu « boulevardier »), il cède à la facilité et réutilise sans fin les mêmes recettes.

théâtre de l’absurde. Expression qui désigne la création d’un certain nombre de dramaturges des années 1950 et trouve son origine dans l’absurde théorisé par Camus comme divorce lucidement constaté (et surmonté) entre l’homme et un monde dépourvu de sens. L’événement fondateur de cette avant-garde est la création de La Cantatrice chauve de Ionesco au mois de mai 1950, mais on peut citer aussi bien le théâtre d’Adamov, de Beckett ou de Jean Tardieu pour définir des œuvres qui, à la différence du théâtre engagé, qui revêt une signification politique (Sartre ou Camus), disent la solitude, la difficulté à communiquer et la vacuité d’un monde tourné en dérision sur un mode tragique ou comique et selon des formes nouvelles d’où s’effacent largement l’intrigue et la psychologie traditionnelles.

absurde (théâtre de l'). Le théâtre des années cinquante a hérité d’une dénomination malencontreuse : « théâtre de l’absurde », qui a fini par prévaloir à la fois sur « Nouveau Théâtre », formé par analogie avec Nouveau Roman, ou «Nouvelle Vague », et sur le nom proposé par Ionesco et malicieusement retourné contre lui : l’« antithéâtre », que celui-ci considérait comme l’antidote du théâtre traditionnel, psychologique et réaliste, devenu, dans la bouche de ses détracteurs, négation du théâtre, spectacle qui n’en est pas un. Le mot « absurde » fait plutôt référence au climat philosophique de l'avant-guerre, transposé par Sartre dans L’Être et le néant (1943) et qui a donné naissance au théâtre existentialiste (Huis-clos, 1943 ; Le Malentendu, 1944 ; Caligula, 1945) et au théâtre engagé, à l’opposé du théâtre « nouveau ». La notion d’absurdité incite d’autre part le spectateur à une écoute distraite ou divertissante, puisque, dans la langue familière, un comportement ou un discours absurde est privé de sens et provoque le rire ou le scandale, comme celui du fou ou de l’idiot. C’est pourtant bien à une vision du monde et à une éthique précises que Ton a affaire dans ces pièces brèves, polémiques, se moquant d’elles-mêmes et de leur insuccès, qui se jouaient dans les petites salles de la rive gauche devenues presque mythiques, comme le Théâtre de Babylone, où l’on attendit en vain Godot, ou les Noctambules, où la cantatrice chauve refusa obstinément de se montrer. Reprise à La Huchette, dans la mise en scène de Nicolas Bataille, et jouée sans interruption depuis sa création (1950), la pièce de Ionesco est restée le parangon de ce théâtre d’avant-garde. Le théâtre de l’absurde est un théâtre logique qui pousse à l’extrême les conséquences d’un postulat. Les premières pièces de Beckett : En attendant Godot, Fin de partie, Oh, les beaux jours, La Dernière Bande, sont fondées sur une vision apocalyptique. Nous assistons à la fin du monde, nous contemplons les derniers soubresauts de l’humanité. Beckett met en scène alternativement les deux scénarios traditionnels de la catastrophe, la conflagration ou le déluge. La terre désertée ne sera bientôt plus que la demeure des pierres, un gigantesque dépôt de crânes pétrifiés, comme la montagne chauve où périt le Sauveur. C’est la substance du monologue de Lucky dans Godot, un discours exterminateur dont l’intelligence est toutefois obscurcie par l’incohérence et le délabrement mental du « philosophe ». La pensée jette ici ses derniers feux, vite réduite au silence par la colère des protagonistes qui préfèrent ne rien savoir. Hamm se dérobe à la pitié et refuse de prolonger le cours de l’existence des misérables : « Mais réfléchissez, réfléchissez, vous êtes sur terre, c’est sans remède » (Fin de partie). Maudit par son père et abandonné par Clov, cloué sur la case de l’échiquier, Hamm veut garder l’illusion de la maîtrise et mettre fin au jeu. « Rien n’est plus drôle que le malheur », commente la vieille Nell enfouie dans sa poubelle — une des images les plus saisissantes du théâtre contemporain. Le théâtre de Ionesco a été victime du même malentendu. On a pris La Cantatrice chauve pour une pièce désopilante, alors que Ionesco voulait y exprimer sa stupeur devant la tragédie du langage et l’absence de communication entre les hommes. La conversation des Smith et des Martin est une langue morte, modelée sur des clichés. L’homme répète comme un perroquet des phrases apprises, porteuses de préjugés et de discriminations sociales, sexuelles ou raciales. Mais le dialogue de la pièce, loin d’être désordonné, est réglé comme une partition. Ainsi, la scène 7 est traitée comme un quatuor vocal : note initiale (Hum !) reprise et régulièrement augmentée, longue série de quatre répliques alternées par couple (les Martin, les Smith), par genre (les maris, les dames), en chiasme (M. Smith, Mme Martin / M. Martin, Mme Smith) ou en chœur (Oh !), avec de petits écarts qui font office de ponctuation. L’incident du coup de sonnette quatre fois répété donne lieu à deux enchaînements symétriques : Mme Smith se précipite vers la porte ou refuse de l’ouvrir, obligeant ses partenaires à une longue dispute qui dresse les hommes contre les femmes et les enferme dans un paralogisme irréductible : « Lorsqu’on sonne à la porte, c’est qu’il y a toujours quelqu’un / c’est qu’il n’y a jamais personne». L’interrogatoire méthodique du pompier dans la scène suivante ne résout rien. La distraction du personnage, sa mauvaise foi ou son esprit farceur entraînent l’effondrement de toute certitude : « Ne riez pas, Monsieur le Capitaine. L’affaire est trop triste ». L’échec ne tient pas à la nature du langage, mais à son mauvais usage. Les Chaises contiennent le bilan d’une vie. Au moment de mourir, un couple de vieillards convoque une réunion pour révéler au monde son testament spirituel, confié à un orateur professionnel. Mais la foule des invités est imaginaire, et la voix du porte-parole détraquée comme celle de Lucky. L’incohérence et l’insignifiance de la vie ressort de la confession manquée, en même temps que l’angoisse et le remords devant son incomplétude, symbolisée par les chaises vides. Chacun cherche une justification à son existence. Mais l’eût-il trouvée, le vieux s’en fût prévalu et eût tenté d’imposer aux autres son système, de transformer son expérience en modèle pour sauver l’humanité. C’est la crainte des langages totalitaires qui anime Ionesco, et la lutte contre l’aliénation de l’esprit.
Les premières pièces d’Adamov appartiennent également à ce théâtre métaphysique. La Parodie met en scène deux personnages symboliques qui veulent échapper à une persécution sans cause, l’un par l’immobilité et l’attente de l’anéantissement, l’autre par une agitation désordonnée qui le projette en tous sens comme une girouette. Inconstante, écartelée entre ses prétendants, Lili se prête à leurs fantasmes sans accéder à l’existence. « Le comportement absurde des personnages, les gestes manqués, doivent apparaître absolument naturels et s’inscrire dans la vie quotidienne », recommande la note liminaire. Des scènes de rafle en coulisses donnent à la fable une sinistre actualité. Au fil des pièces d’Adamov, la faute, le mal originel est de plus en plus clairement identifié : c’est la soumission à la tyrannie, familiale ou policière. Dans La Grande et la Petite Manœuvre, le Mutilé paie de sa chair l’obéissance et l’aveuglement, incapable de résister ni aux ordres des aboyeurs, ni aux insinuations doucereuses d’Erna, l’indicatrice. Mais le théâtre d’Adamov échappe au didactisme par son caractère onirique : l’auteur traduit les cauchemars collectifs de l’après-guerre, rend les idées visibles. Il faut souligner le caractère concret, sensible, de la représentation dans le théâtre de l’absurde. D’abondantes didascalies règlent le jeu : le décor à métamorphoses fait partie intégrante de la pièce, qui ne dédaigne ni les accessoires ni les masques. Le grotesque et l’humour corrigent le caractère traumatisant du spectacle. Théâtre pauvre et monté sans moyens, dans des circuits marginaux, par des metteurs en scène intrépides — Roger Blin, Jean-Marie Serreau, Jacques Mauclair — le théâtre des années cinquante fait appel largement à l’imaginaire et à la complicité des spectateurs, qu’il ne cherche ni à endoctriner ni à séduire. C’est un théâtre de l’anarchie plus que de la révolte.

-► Petites Scènes... grand théâtre, catalogue d’exposition, Ville de Paris, 1986. — Michel Corvin, Le Théâtre nouveau en France, PUF, coll. Que sais-je ?, 1987.

théâtre de société. Théâtre joué en société, c’est-à-dire comme divertissement de salon, avec des acteurs amateurs. Le théâtre de société était parfois aussi (à la fin du XVIIIe siècle) le fait d’amateurs qui se mettaient en société pour jouer et qui, parfois, faisaient appel à des acteurs professionnels qui se mêlaient à eux, ou de personnes privées passant commande à des comédiens pour jouer en société, c’est-à-dire devant un public d’amis. Le théâtre de société est, le plus souvent, un théâtre divertissant : parfois on jouait des proverbes dramatiques, parfois du théâtre pour la jeunesse (des pièces de Mme de Genlis, 1746-1830). On a joué aussi des pièces grossières, voire obscènes, des parades, ou des pièces que la censure n’aurait jamais tolérées sur des théâtres ouverts au public.

théâtre épique. Type de drames ou de comédies qui se caractérisent par la manifestation d’un truchement narratif et par le rejet d’une forme dramatique fermée, ou refermée sur le conflit traditionnel. Au début du XXe siècle, avec Claudel, Brecht ou Piscator, ce théâtre a voulu rompre avec la routine des pièces bien faites, des comédies bourgeoises et avec la dénégation du théâtre qui les caractérise. Il s’agissait aussi de renouer avec des formes dramaturgiques anciennes, grecques, médiévales ou orientales. L’épicisation du théâtre s’opère à travers divers procédés, comme l’adjonction d’un prologue, avec un annonceur qui s’adresse au public, la présence d’un récitant, le déroulement narratif d’une suite de tableaux dont le sens se construit au montage, le refus d’une action dramatique close.

théâtre national. Dans les années qui précédèrent la Révolution, l’importance croissante de la conscience nationale et la laïcisation générale de la pensée politique et sociale imposèrent progressivement l’idée d’un théâtre présentant des héros nationaux et réunissant la nation autour de héros et d’actions exemplaires de l’histoire de France. La Révolution tenta pendant une brève période de donner corps à cette idée. Romain Rolland la reprit à l’extrême fin du XIXe siècle mais elle ne s’incarna vraiment qu’à la Libération, en 1947, lorsque Jean Vilar joua au Festival d’Avignon et lorsque, en 1951, il reprit le Théâtre national populaire (TNP) fondé par Gémier.

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