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vers vers blanc vers d’intonation et de conclusion vers-écho vers emboîtés vers entés vers holorimes vers impair vers léonin vers libéré vers libre

vers (du latin versus, « action de tourner »). Le vers, fondé sur un retour, s’oppose en cela à la prose, censée aller tout droit (latin prorsum). Un vers traditionnel s’écrit sur une ligne, il commence par une majuscule, et est précédé et suivi d’un blanc typographique. Il répond à des critères de limitation et de passage au vers suivant très précis et qui varient selon la prosodie de la langue considérée : nombre fixe de syllabes, nombre et répartition des voyelles longues et des voyelles brèves, ou des syllabes accentuées et non accentuées, systèmes d’homophonies, de coupes et césures, etc. En dehors du cas rarissime du monostiche, un vers s’inscrit dans un ensemble ; il est à la fois autonome par sa structuration interne, et lié aux autres vers par son appartenance à des faits de structuration externe (rime, place dans la strophe...). Le vers français est l’héritier du vers latin, bien que les deux systèmes soient radicalement différents. En effet, le vers latin est fondé sur un système de pieds et de quantités vocaliques. C’est à la suite d’une disparition de la sensibilité populaire à la différence entre voyelles longues et voyelles brèves, à partir du IVe siècle ap. J.-C., que le système des pieds a été remplacé peu à peu par un nombre de syllabes fixe. Dans le système français, on distingue deux types de vers : les vers « simples », qui ne sont pas divisés en hémistiches parce qu’ils comptent moins de huit syllabes, et les vers « composés », divisés en deux hémistiches. Les vers français prépondérants sont les vers pairs : alexandrin, octosyllabe et décasyllabe. Plus rares sont les vers impairs, dont les plus fréquents sont l’heptasyllabe, l’ennéasyllabe et l’hendécasyllabe. Les vers plus courts sont le plus souvent employés en hétérométrie, et les vers plus longs sont extrêmement rares.


vers blanc. Vers qui n’est relié à aucun autre par la rime. Il peut être ainsi isolé dans un ensemble versifié, ou encore être inséré dans un texte en prose, et présenter néanmoins tous les aspects d’un vers, tel l’alexandrin criaient qu'on achevât de leur donner la mort (avec césure médiane entre achevât et de) qui fait clausule à la fin de cette phrase de Candide de Voltaire : Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on achevât de leur donner la mort.

vers d’intonation et de conclusion. En médiévistique, termes employés pour désigner le premier et le dernier vers d’une laisse, qui revêtent des caractères formels particuliers dans les chansons de geste médiévales.

vers-écho. Vers très bref qui suit un vers long et rime avec lui (d’où l’effet d’écho), comme dans ce tercet monorime de Laforgue dans lequel le trisyllabe central est le vers-écho : Deux royaux cors de chasse ont encore un duo Aux échos, Quelques fusées reniflent s'étouffer là-haut !

vers emboîtés. On parle de vers emboîtés lorsque deux vers ont un hémistiche en commun. Par exemple une suite 6/6/6, qui peut se lire d’une part 6/6, avec les deux premiers groupes de 6 syllabes, d’autre part 6/6, avec les deux derniers. Dans Eloges de Saint-John Perse, on trouve, au sein d’un verset, cette suite de trois fois six syllabes : et le ciel plus profond (6) où des arbres trop grands (6), las d’un obscur dessein (6) On peut donc lire ces 18 syllabes comme deux alexandrins dont un hémistiche est commun : — d’une part : et le ciel plus profond où des arbres trop grands ; — d’autre part : où des arbres trop grands, las d’un obscur dessein.

vers entés. Définition de Jean Mazaleyrat : « vers dé-composables en plusieurs mètres associés par une rime d’hémistiche » (soit vers léonins, soit vers à rime brisée). Faisant double emploi avec ces autres dénominations, ce terme peut être abandonné au profit de la clarté et de la simplicité terminologiques.

vers holorimes (du grec holos, « entier »). Dans un distique, le phénomène d’homophonie s’étend sur le vers entier. L’exemple le plus connu est de Victor Hugo : Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime, Galamment de l'arène à la tour Magne, à Nîmes.

vers impair. Vers qui compte un nombre impair de syllabes. Les vers impairs sont moins employés statistiquement que les vers pairs en poésie française ; néanmoins leur utilisation est ancienne et régulière, surtout en hétérométrie.

vers léonin. Vers dont les deux hémistiches riment ensemble, comme dans ce vers de Corneille (Le Cid, II, 8) où les hémistiches assonent en [i] : Je vous l'ai déjà dit, je l'ai trouvé sans vie.

vers libéré. Terme inventé par les symbolistes. Le vers libéré garde du vers traditionnel la référence à un nombre fixe de syllabes et à un système d’homophonies finales, mais joue librement des règles du décompte (e caduc, diérèse et synérèse) et de l’hiatus. Par exemple, dans ces deux vers de Francis Jammes, il y a une simple assonance en [i], absence de majuscule au début du second vers, apocope du e de crabes, et une suite voyelle + e + consonne qui serait bannie en prosodie traditionnelle : Tu mangeais de gros fruits au goût de Mozambique et la mer salée couvrait les crabes creux et gris. .

vers libre. Le vers libre a été créé à la fin du XIXe siècle. Dans les Illuminations, Rimbaud, avec « Marine », est le premier à s’être totalement écarté du mètre classique, mais l’invention a été attribuée à Jules Laforgue et Gustave Kahn. Ce sont des vers qui ne sont pas obligatoirement des mètres, mais qui ont leur rythme propre. Laforgue décrit ainsi à Kahn, en juillet 1886, sa nouvelle manière : « J’oublie de rimer, j’oublie le nombre des syllabes, j’oublie la distribution des strophes, mes lignes commencent à la marge comme de la prose. L’ancienne strophe régulière ne reparaît que lorsqu’elle peut être un quatrain populaire [...]. » C’est le cas dans ce court extrait de « Fleur de verre » d’Albert Mockel, où les vers, qui commencent contre la marge gauche, ne sont pas métriques et se succèdent librement (7 ou 8/11/10/8) selon la logique des groupes syntaxiques, sans système de rimes mais avec des échos phoniques (-ige, -ou-, t + d + l, -li-) :
voici que toute aérienne ta tige, doucement qui s'incline, ondule, et d'elle, en détours, le calice érige sa limpidité de lumière.

Vers libre. Aux siècles classiques, on parle de vers libres lorsque les mètres sont mélangés librement, sans régularité, comme dans les fables de La Fontaine :
On exposait une peinture Où l’Artisan avait tracé Un Lion d’immense stature Par un seul homme terrassé. Les regardants en tiraient gloire, Un Lion en passant rabattit leur caquet. Je vois bien, dit-il, qu’en effet On vous donne ici la victoire ; Mais l’Ouvrier vous a déçus : Il avait liberté de feindre. Avec plus de raison nous aurions le dessus, Si mes confrères savaient peindre. (La Fontaine, Le Lion abattu par l'homme)
A partir de la fin du XIXe siècle, sous l’influence de la musique, et depuis les recherches des poètes symbolistes, on appelle ainsi un vers libéré des contraintes du mètre et de la rime et qui repose sur le rythme et le sens. Le vers libre continue à former une unité, mais celle-ci est sémantique, et organisée par une répartition des accents de groupe :
C’est vers ta chimère Vers les gonfalons et les pennons de ta chimère Que vont les désirs en pieux pèlerins, - Pèlerins fatigués des rythmes obsesseurs
Reposez-vous à l’ombre acquise A l’ombre apaisée dormez les sommeils berceurs des haltes. (G. Kahn, Les Palais nomades, Lieds III)
Sa cohésion tient également aux récurrences phoniques, le vers libre s’adressant à l’oreille et non à l’œil. Si le vers est libre, la strophe l’est également, et repose avant tout sur une cohérence sémantique.


vers mêlés. On a longtemps appelé vers libres ces mètres qui, tels ceux de La Fontaine, sont de facture tout à fait classique, qui se succèdent librement, le plus souvent en hétérométrie, sans aucun principe de récurrence, avec des rimes elles aussi classiques et respectant l’alternance des féminines et des masculines, mais disposées librement. Pour les distinguer des vers libres modernes, on parle de vers mêlés et de rimes mêlées. Prenons pour exemple un extrait de la fable « Le Coq et le Renard » : — Ami, reprit le Coq, je ne pouvais jamais Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle De cette paix; Et ce m'est une double joie De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers Qui, je m'assure, sont courriers
Que pour ce sujet on envoie : Ils vont vite et seront dans un moment à nous. Je descends : nous pourrons nous entrebaiser tous. On voit ici, suivant les méandres de ce petit discours ironique, une libre succession de mètres divers (12/12/2/4/8/12/8/8/12/12) et de rimes dont chacune a toujours son répondant (abbacddcee), avec alternance (MFFMFMMFMM).

vers mesurés. On désigne par cette expression les vers écrits en français par Baïf et quelques poètes du XVIe siècle, qui adoptaient la métrique latine fondée sur l’alternance de syllabes longues et brèves. L’entreprise, à première vue étrange puisque la poésie française est fondée sur le nombre des syllabes et la rime, s’explique par la volonté de favoriser l’alliance plus étroite de la poésie et de la musique. La théorie néoplatonicienne, chère aux poètes de la Pléiade, prête en effet à l’union de ces deux langages « des effets aussi puissants que bénéfiques » (J. Vignes). Il ne suffisait pas que la musique accompagnât le vers : il fallait unifier les principes de la musique et de la poésie. On aura donc d’un côté des noires et des blanches, de l’autre, des syllabes longues ou brèves. Le projet prit corps avec l’Académie de Poésie et de Musique, fondée en 1570 par Baïf et le musicien Thibault de Courville. Le poète composa dans cet esprit plus de trois cents Chansonnettes mesurées, dont une soixantaine est parvenue jusqu’à nous, avec le texte et les notes. L’initiative de Baïf eut des prolongements jusqu’au XVIIe siècle. En 1636, le père Mersenne, dans son Harmonie universelle, défend l’idée (sinon la pratique) de la poésie mesurée, ce qui n’entraîne pas dans son esprit une condamnation de la rime. De loin en loin, on retrouve des vers mesurés dans la littérature française après la Renaissance.

vers monorimes (du grec monos, « seul »). Groupement de vers qui sont liés par une rime unique, tels les tercets de la « Complainte sur certains temps déplacés » de Jules Laforgue, dont voici les deux premiers : Le couchant de sang est taché Comme un tablier de boucher; Oh l qui veut aussi m’écorcher ! — Maintenant c’est comme une rade ! Ça vous fait le cœur tout nomade, A cingler vers mille Lusiades !

vers orphelin. Dans certaines chansons de geste, les laisses en décasyllabes ou en dodécasyllabes monorimes s’achèvent sur un vers plus court (six syllabes) qui ne rime pas avec le reste de la laisse : on appelle ce vers court vers orphelin. On le rencontre dans plusieurs chansons du cycle de Guillaume et dans quelques autres comme Ami et Amile (fin XIIe siècle). Il existe de la chanson d'Aliscans une version à vers orphelin qui est une version remaniée de la chanson. On a longtemps cru à l’ancienneté de cette technique ; on la considère aujourd’hui comme plus tardive (XIIIe siècle).

vers pair. Vers qui comporte un nombre pair de syllabes. Ce sont statistiquement les plus fréquents en poésie française, en particulier l’alexandrin, l’octosyllabe et le décasyllabe. vers rapportés. Mode de composition des vers en vogue au XVIe siècle, qui traite à la fois plusieurs motifs qui se répètent dans le même ordre selon les différents aspects envisagés, comme dans ce premier quatrain d’un sonnet en vers rapportés de Jean de Sponde : Tout s’enfle contre moi, tout m’assaut, tout me tente, Et le Monde, et la Chair, et l’Ange révolté,
Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventé
Et m’abîme, Seigneur, et m’ébranle, et m’enchante.
Les quatre vers poursuivent la logique de chacun des trois motifs successifs ; selon ce tableau :


Le maître incontesté des sonnets en vers rapportés est Étienne Jodelle (A la triple Hécate).


Vers rapportés. Composition complexe où un même schéma syntaxique est repris plusieurs fois mais non comme un parallélisme, puisque les sujets se succèdent, les verbes et les compléments également, de sorte que pour reconstituer la proposition, il faut adopter un système de correspondances : Des astres, des forests, et d’Acheron l’honneur, Diane au monde hault, moyen et bas préside, Et ses chevaulx, ses chiens, ses Euménides guide, Pour esclairer, chasser, donner mort et horreur. (Jodelle, Des astres, des forests, et d’Acheron l’honneur) (= Diane, l’honneur des astres, préside au monde hault, et guide ses chevaux, pour esclairer Diane, l’honneur des forests, préside au monde moyen, et guide ses chiens, pour chasser Diane, l’honneur d’Acheron, préside au monde bas, et guide ses Euménides, pour donner mort et horreur.) • Roubaud J., et et Lusson P., « Sur la devise de nœu et feu : un sonnet d’Etienne Jodelle », Langue française, n° 49, 1981.

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