Dissertation Alcools, 1913 de Appolinaire
Publié le 13/02/2023
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«
ALCOOLS, 1913
Alcools, dont le titre primitif était Eau de Vie a paru en avril 1913 au Mercure de
France.
Le recueil est composé de textes pour la plupart éparpillés dans diverses
Revues et qui offrent le reflet mêlé de la poésie d’Apollinaire entre 1898 et 1912.
Au cours de la correction des épreuves, le poète a systématiquement supprimé
toute ponctuation : ce fait est considéré comme une innovation importante.
Par sa
généralisation, il marque, en effet, une date.
Mais déjà Mallarmé (1842-1898) avait
utilisé le procédé.
Apollinaire lui-même avait toujours eu une ponctuation pauvre et
errante.
En 1913, il n’a fait que pousser à l’extrême un principe : « le rythme même et
la coupe des vers voilà la véritable ponctuation ».
Trois disques, enregistrés au Musée
de la Parole en 1914, montrent qu’il modulait plutôt qu’il ne récitait ses textes.
L’ordre adopté dans le recueil ne répond vraisemblablement qu’à des raisons de
variété et de surprise.
Un seul fait pose problème : le dernier en date des poèmes,
Zone, a été introduit après coup et placé en tête, comme pour donner une brusque
enseigne révolutionnaire à un ensemble qui ne répond pas absolument à cette
annonce.
Compte tenu de cet arbitraire et sans prétention à l’exacte chronologie, une
présentation fragmentaire peut donc ordonner les textes d’Apollinaire de façon à faire
sentir à la fois la variété et l’évolution de sa poétique.
Ce recueil, qu'Apollinaire mit 15 ans à élaborer, annonce la quête de modernité,
de jeu avec la tradition, de renouvellement formel de la poésie de l'auteur.
Alcools est
un recueil pluriel, polyphonique, qui explore de nombreux aspects de la poésie, allant
de l'élégie au vers libre, mélangeant le quotidien aux paysages rhénans dans une
poésie qui se veut expérimentale, alliant une quasi-perfection formelle et une grande
beauté (Mai) à un hermétisme, un art du choc, de l'électrochoc, qui valut à Apollinaire
d'être qualifié de mystificateur.
Alcools montre le poète déchiré par ses ruptures
amoureuses (avec Annie Playden, avec Marie Laurencin), ruptures qui résonnent au
travers de poèmes tels que Mai, Les Colchiques et, surtout, La Chanson du Mal Aimé.
C'est après avoir assisté à une lecture par Blaise Cendrars de sa future
publication, La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, qu'Apollinaire
aurait décidé de transformer à son tour son futur recueil.
Il y plaça Zone en ouverture,
ce qui lui donna valeur de manifeste, et supprima toute trace de ponctuation,
s'inspirant de l'innovation de Cendrars.
Alcools ayant été publié avant la Prose du
Transsibérien, on attribue souvent à tort la primeur de la suppression de la ponctuation
à Apollinaire.
Selon lui, en poésie, le rythme du vers et de la respiration suffisent.
Audelà de cette considération, cette suppression lui permit de faire naître des images
inédites en rapprochant certains termes comme par accident.
On pense par exemple au
vers de Zone : « Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants » où,
dans une première lecture, à cause de l'utilisation transitive du verbe « croire »,
l'absence de ponctuation conduit à lire le verbe « prier » comme étant lui aussi
transitif, « les femmes » apparaissant alors comme complément d'objet direct du
verbe.
Ce procédé crée également des ambiguïtés de sens, enrichissant les lectures
possibles.
I.
La structure de l’œuvre
1.
Le choix d’une composition éclatée
Le titre du recueil comportait, dans l’édition originale, une indication temporelle :
1898-1913.
Ces deux dates pouvaient laisser penser qu’Alcools s’organiserait selon une
progression chronologique, donnant ainsi à percevoir les différentes étapes d’un
parcours poétique.
S’il est vrai que le livre fait la somme d’une évolution esthétique, il
n’en demeure pas moins que le poète a fait le choix d’une composition éclatée,
discontinue et non linéaire.
Les poèmes semblent n’entretenir entre eux que des relations contiguës
dépourvues de liaison marquée.
Apollinaire a voulu cet éclatement : c’était de sa part
un dessein poétique.
Ainsi a-t-il dispersé dans l’espace du recueil des textes d’époques
et d’inspirations diverses, brouillant de cette façon la logique temporelle.
Un exemple : les textes de la période allemande ne sont pas tous regroupés
dans la suite des « Rhénanes » ; certains comme « Les Colchiques », « Crépuscule »,
« Automne », « Marizibill », « La Tzigane » ou encore « La Maison des morts » et
« Automne malade » sont disséminés dans Alcools, apparemment libres de toute
contrainte d’unité.
2.
Un effet cadre
Toutefois, en plaçant « Zone », qui est son poème le plus récent, en tête de
volume, et en lui choisissant « Vendémiaire » (autre poème récent) comme pendant
en position de clôture, Apollinaire a manifestement voulu créer un effet-cadre et
dessiner ainsi les contours de son livre.
Si ces deux poèmes se répondent de manière ouvertement contrastée (par
leur titre d’abord, mais aussi par les procédés rhétoriques mis en œuvre), ils
entretiennent également des rapports de convergence thématique.
L’un comme l’autre
peuvent être considérés comme des arts poétiques : le premier vers de « Zone » - « A
la fin tu es las de ce monde ancien » - consacre une rupture avec le passé et suscite
l ‘apologie de la modernité ; de même « Vendémiaire » lance un appel initial aux
« Hommes de l’avenir ».
Cette modernité ouvertement affichée est double, puisqu’elle
se vérifie aussi bien sur le plan du contenu du poème – avec l’introduction de la vie
urbaine, de son agitation et de sa beauté spécifique – que sur le plan de la forme
poétique elle-même, qui est comme éclatée ou morcelée.
Ces aspects sont également
perceptibles dans « Vendémiaires », qui est, comme « Zone », un poèmedéambulation.
Ces deux textes sont des hymnes au renouveau qui réalisent la modernité
poétique dont ils forment le programme.
3.
Convergence et échos
La composition éclatée n’empêche pas certains effets de convergence qui
donnent au lecteur une impression d’unité et de cohésion : d’un poème à l’autre, tout
un tissu d’échos et de résonances dessine en effet comme l’architecture secrète du
livre.
Les poèmes de « fin d’amour » par exemple s’ordonnent de manière
semblable : « Le pont Mirabeau » (qui appartient au « cycle » des textes inspirés par
Marie Laurencin) est repris en écho par « Cor de chasse », avant-dernier texte du
recueil.
Dans l’intervalle important qui sépare ces deux poèmes se rencontrent « Le
voyageur » et « Marie » qui font partie du même cycle.
De même, « La chanson du
Mal-aimé » (qui relève du « cycle » des amours d’Annie Playden) irradie dans toute
la première moitié du volume, entraînant une modulation thématique, tantôt resserrée,
tantôt plus relâchée : « Les Colchiques », venant juste après « La chanson du MalAimé » engendre un premier effet de concentration ; « L’adieu » et « Salomé »
observent un fonctionnement comparable.
De part et d’autre de ces deux pôles gravitent, à intervalles espacés, d’autres
pièces telles que « Annie », « L’émigrant de Landor Road », « Mai », « La dame ».
Les
poèmes sont ainsi liés et se répondent, soit à distance, soit de manière rapprochée,
créant moins une continuité qu’un rythme de lecture.
4.
Équilibre et contrepoint
Un autre réseau de convergences structure le recueil.
Il s’agit de la relation qui
se noue entre la suite « A la santé » et « La chanson du Mal-Aimé », du fait de la
tonalité élégiaque et du sentiment d’abandon que ces deux textes expriment.
En
fait, « A la santé » vient équilibrer, en fin de volume, les longs poèmes lyriques qui, à
l’ouverture du livre, chantent les souffrances et les peines de l’amour.
Mais cette partition mélancolique est contrebalancée par des poèmes porteurs
d’un message d’espoir et de renouveau.
Ces poèmes sont disposés à peu près à
égale distance les uns des autres.
Il s’agit du « Poème lu au mariage d’André
Salmon », du « Brasier », des « Fiançailles » et de « Vendémiaire ».
Quatre textes
majeurs qui font contrepoint aux accents élégiaques et parfois désespérés des poèmes
de la détresse.
La preuve est faite du caractère non progressif d’Alcools.
Loin d’avoir
ordonnée son livre comme un parcours conduisant d’une crise (poétique) à un
dénouement, Apollinaire a préféré multiplier et associer les schémas structurels en
privilégiant sans doute l’équilibre des masses et des volumes.
Ainsi, les poèmes
mélancoliques et sombres mènent chemin parallèle avec les poèmes enthousiastes qui
louent les vertus de la création poétique et le renouveau de l’être.
II.
Les grands thèmes de l’œuvre
1.
Peines d’amour : à l’ombre d’Annie et de Marie
Héritier d’une riche tradition lyrique, qui remonte à Charles d’Orléans et à
François Villon, Apollinaire chante sur tous les tons ses peines d’amour et ses blessures
de cœur : sa vie sentimentale est faite de liaisons malheureuses, d’abandon et de
tristesse.
De telles expériences nourrissent en profondeur l’inspiration du poète.
C’est en août 1901 qu’Apollinaire s’éprend d’Annie Playden, jeune
gouvernante anglaise qui sert chez Madame de Milhau.
Dans cette famille aisée
originaire de Cologne, le poète a été recruté comme précepteur de français pour
l’instruction de Gabrielle, la fille de Madame de Milhau, âgée de neuf ans.
Pendant l’été
1901, la famille part pour l’Allemangne.
Guillaume est du voyage.
Annie Playden
également.
L’aventure sentimentale a pour cadre la Rhénanie.
A la fin de leur séjour en
Allemagne, Annie et Guillaume se quittent, l’un rentre à Paris, l’autre à Londres.
Les poèmes qui remontent à cette période (1901-1905) témoignent d’un sentiment réel
de perte et d’abandon : « « Les colchiques », « L’émigrant de Landor Road », « Annie »
mais surtout la « Chanson du mal-aimé », véritable petit « roman » des amours
malheureuses de Guillaume et d’Annie.
En 1907, alors qu’il s’installe à Montmartre, Apollinaire fait la rencontre de
Marie Laurencin, jeune peintre à peu près inconnue dont Picasso lui avait
chaleureusement parlé.
C’est l’aube d’un nouvel amour, qui annonce d’ailleurs sa
(re)naissance dans l’épigraphe de « La chanson du Mal-Aimé » : « […] mon amour à la
semblance / Du beau Phénix s’il meurt un soir / Le matin voit sa renaissance ».
Des
cendres de la passion pour Annie surgit ainsi l’amour pour Marie.
Mais cette liaison ne
va pas sans tensions ni querelles.
Elle s’achève en juin 1912.
Le scénario du Mal-aimé
ou du « mal-aimant » se reproduit, seule change la protagoniste.
Et c’est cette même histoire, assortie de variantes, que l’on retrouve dans
les poèmes mélancoliques sur lesquels plane l’ombre de Marie : « Marie » bien sûr,
« Cors de chasse », mais aussi « Zone », poème de « fin d’amour », et « Le pont
Mirabeau », qui est, selon les mots du poète, « la chanson triste de cette longue liaison
brisée ».
La thématique de l’amour, telle qu’elle se développe....
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