Alexandre Dumas, Le grand dictionnaire de cuisine. « Cave »
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Alexandre Dumas, Le grand dictionnaire de cuisine. « Cave »
Une cave soigneusement organisée doit être à la fois sèche et fraîche, l'air ne doit y pénétrer que par de faibles issues, le soleil, dont les rayons méritent notre hommage au dehors, le soleil, qui a d'abord été adoré par les peuples comme le Dieu de l'univers parce qu'il faisait naître et mûrir tous les dons de la nature, est funeste pour la cave. Un gourmand expérimenté ne fait point grâce à ses rayons, il les condamne à un éternel exil.
On trouve ces préceptes déjà suivis dans l'Antiquité ; on doit au célèbre architecte Mazois la description de la maison de Scaurus. Voici ce qu'il dit de la cave : « Du côté du nord sont les cellae vinariae où l'on conserve les vins de toute espèce qui, selon certains plaisants, comptent plus de consulats que les ancêtres de Scaurus n'en ont vu à eux tous. Ces caves tirent leur jour du côté du septentrion et du levant équinoxial ; cette exposition est choisie de préférence afin que les rayons solaires ne puissent, en échauffant le vin, le troubler et l'affaiblir. On a soin qu'il n'y ait près de cet endroit ni fumier, ni racines d'arbres, ni aucune chose fétide. On en éloigne aussi les bains, les fours, les égouts, les citernes, les réservoirs, dans la crainte que leur voisinage n'altère le goût du vin en lui communiquant une mauvaise odeur. Scaurus, qui a plus de soin de sa cave que de sa réputation, fréquente volontiers les hommes les plus corrompus de Rome ; mais il ne souffrirait pas que rien de ce qui peut corrompre son vin approchât des murs de son cellier ; il pensa une fois faire divorce avec sa femme parce qu'elle avait visité cet endroit dans un moment où elle était indisposée comme les femmes ont coutume de l'être ; ce qui pouvait, selon lui, faire aigrir ses vins précieux. Il porte si loin l'attention à cet égard, qu'il fait parfumer avec de la myrrhe, non seulement les vases pour donner bon goût au vin, mais même le local tout entier. « La cave de Scaurus est renommée, il est parvenu à y rassembler trois cent mille amphores de presque toutes les sortes de vins connues ; il en a de cent quatre-vingt-quinze espèces différentes qu'il soigne d'une manière particulière ; rien n'est négligé, la forme des vases a été soumise à certaines observations, et les amphores trop ventrues y sont proscrites. « Au-dessus des caves, ou plutôt des celliers, sont les magasins pour les provisions, recevant aussi la lumière du septentrion, afin que le soleil ne puisse, en y pénétrant, faire éclore les insectes qui dévorent les grains. » Après avoir vu comment était aménagée la cave d'un gourmand antique, voyons comment doit s'aménager la cave d'un gourmand moderne. Le nombre des espèces de vins que doit contenir la cave d'un amateur n'est pas limité, mais une sage prévoyance, la science de l'âge auquel le vin doit être bu, doivent allier le luxe à l'économie ; il n'y a que quelques espèces qui doivent être amoncelées en grande quantité, beaucoup d'autres ne doivent figurer qu'en nombre suffisant pour la consommation de quelques années. Malheur au buveur ignorant qui entasse dans sa cave les tonneaux de bourgogne et de champagne ; ces vins qui n'ont que peu d'années à vivre, doivent être bus aussitôt qu'ils ont atteint leur maturité ; leur dégénérescence est rapide, le bourgogne aigrit, le champagne graisse. En général, les vins blancs sont d'une conservation difficile, on ne doit s'approvisionner qu'au fur et à mesure des besoins, mais le bordeaux, les vins méridionaux et les vins d'Espagne peuvent et doivent être conservés longtemps, parce que la vieillesse est leur principal mérite ; ceux-là doivent s'élever en tas énormes, les espèces encore trop jeunes seront cachées sous les piles d'autres vins, afin qu'elles ne reparaissent que lorsqu'elles auront été longtemps oubliées ; alors elles se produiront sur la table dans des bouteilles murées d'une triple couche de tartre, et si l'amphitryon, poussé par un noble orgueil, s'écrie comme Horace : « Voilà du vin de l'époque de ma naissance, Mummius étant consul », un rire sardonique ne circulera pas parmi les convives, et l'on ne prendra pas ces paroles pour une gasconnade.
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