Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles) - La nuit d'octobre
Extrait du document
Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles) - La nuit d'octobre LE POÈTE Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve. Je n'en puis comparer le lointain souvenir Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève, Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir. LA MUSE Qu'aviez-vous donc, ô mon poète ! Et quelle est la peine secrète Qui de moi vous a séparé ? Hélas ! je m'en ressens encore. Quel est donc ce mal que j'ignore Et dont j'ai si longtemps pleuré ? LE POÈTE C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes ; Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur, Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes, Que personne avant nous n'a senti la douleur. LA MUSE Il n'est de vulgaire chagrin Que celui d'une âme vulgaire. Ami, que ce triste mystère S'échappe aujourd'hui de ton sein. Crois-moi, parle avec confiance ; Le sévère dieu du silence Est un des frères de la Mort ; En se plaignant on se console, Et quelquefois une parole Nous a délivrés d'un remord. LE POÈTE S'il fallait maintenant parler de ma souffrance, Je ne sais trop quel nom elle devrait porter, Si c'est amour, folie, orgueil, expérience, Ni si personne au monde en pourrait profiter. Je veux bien toutefois t'en raconter l'histoire, Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer. Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire Au son de tes accords doucement s'éveiller. LA MUSE Avant de me dire ta peine, Ô poète ! en es-tu guéri ? Songe qu'il t'en faut aujourd'hui Parler sans amour et sans haine. S'il te souvient que j'ai reçu Le doux nom de consolatrice, Ne fais pas de moi la complice Des passions qui t'ont perdu, LE POÈTE Je suis si bien guéri de cette maladie, Que j'en doute parfois lorsque j'y veux songer ; Et quand je pense aux lieux où j'ai risqué ma vie, J'y crois voir à ma place un visage étranger. Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t'inspire Nous pouvons sans péril tous deux nous confier. Il est doux de pleurer, il est doux de sourire Au souvenir des maux qu'on pourrait oublier. LA MUSE Comme une mère vigilante Au berceau d'un fils bien-aimé, Ainsi je me penche tremblante Sur ce coeur qui m'était fermé. Parle, ami, - ma lyre attentive D'une note faible et plaintive Suit déjà l'accent de ta voix, Et dans un rayon de lumière, Comme une vision légère, Passent les ombres d'autrefois. LE POÈTE Jours de travail ! seuls jours où j'ai vécu ! Ô trois fois chère solitude ! Dieu soit loué, j'y suis donc revenu, À ce vieux cabinet d'étude ! Pauvre réduit, murs tant de fois déserts, Fauteuils poudreux, lampe fidèle, Ô mon palais, mon petit univers, Et toi, Muse, ô jeune immortelle, Dieu soit loué, nous allons donc chanter ! Oui, je veux vous ouvrir mon âme, Vous saurez tout, et je vais vous conter Le mal que peut faire une femme ; Car c'en est une, ô mes pauvres amis (Hélas ! vous le saviez peut-être), C'est une femme à qui je fus soumis, Comme le serf l'est à son maître. Joug détesté ! c'est par là que mon coeur Perdit sa force et sa jeunesse ; - Et cependant, auprès de ma maîtresse, J'avais entrevu le bonheur. Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble, Le soir, sur le sable argentin, Quand devant nous le blanc spectre du tremble De loin nous montrait le chemin ; Je vois encore, aux rayons de la lune, Ce beau corps plier dans mes bras... N'en parlons plus... - je ne prévoyais pas Où me conduirait la Fortune. Sans doute alors la colère des dieux Avait besoin d'une victime ; Car elle m'a puni comme d'un crime D'avoir essayé d'être heureux. LA MUSE L'image d'un doux souvenir Vient de s'offrir à ta pensée. Sur la trace qu'il a laissée Pourquoi crains-tu de revenir ? Est-ce faire un récit fidèle Que de renier ses beaux jours ? Si ta fortune fut cruelle, Jeune homme, fais du moins comme elle, Souris à tes premiers amours. LE POÈTE Non, - c'est à mes malheurs que je prétends sourire. Muse, je te l'ai dit : je veux, sans passion, Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire, Et t'en dire le temps, l'heure et l'occasion. C'était, il m'en souvient, par une nuit d'automne, Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci ; Le murmure du vent, de son bruit monotone, Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci. J'étais à la fenêtre, attendant ma maîtresse ; Et, tout en écoutant dans cette obscurité, Je me sentais dans l'âme une telle détresse Qu'il me vint le soupçon d'une infidélité. La rue où je logeais était sombre et déserte ; Quelques ombres passaient, un falot à la main ; Quand la bise sifflait dans la porte entr'ouverte, On entendait de loin comme un soupir humain. Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage Mon esprit inquiet alors s'abandonna. Je rappelais en vain un reste de courage, Et me sentis frémir lorsque l'heure sonna. Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée, Je regardai longtemps les murs et le chemin, - Et je ne t'ai pas dit quelle ardeur insensée Cette inconstante femme allumait en mon sein ; Je n'aimais qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle Me semblait un destin plus affreux que la mort. Je me souviens pourtant qu'en cette nuit cruelle Pour briser mon lien je fis un long effort. Je la nommai cent fois perfide et déloyale, Je comptai tous les maux qu'elle m'avait causés. Hélas ! au souvenir de sa beauté fatale, Quels maux et quels chagrins n'étaient pas apaisés ! Le jour parut enfin. - Las d'une vaine attente, Sur le bord du balcon je m'étais assoupi ; Je rouvris la paupière à l'aurore naissante, Et je laissai flotter mon regard ébloui. Tout à coup, au détour de l'étroite ruelle, J'entends sur le gravier marcher à petit bruit... Grand Dieu ! préservez-moi ! je l'aperçois, c'est elle ; Elle entre. - D'où viens-tu ? Qu'as-tu fait cette nuit ? Réponds, que me veux-tu ? qui t'amène à cette heure ? Ce beau corps, jusqu'au jour, où s'est-il étendu ? Tandis qu'à ce balcon, seul, je veille et je pleure, En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu ? Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible Que tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ? Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible Oses-tu m'attirer dans tes bras épuisés ? Va-t'en, retire-toi, spectre de ma maîtresse ! Rentre dans ton tombeau, si tu t'en es levé ; Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse, Et, quand je pense à toi, croire que j'ai rêvé ! LA MUSE Apaise-toi, je t'en conjure ; Tes paroles m'ont fait frémir. Ô mon bien-aimé ! ta blessure Est encor prête à se rouvrir. Hélas ! elle est donc bien profonde ? Et les misères de ce monde Sont si lentes à s'effacer ! Oublie, enfant, et de ton âme Chasse le nom de cette femme, Que je ne veux pas prononcer. LE POÈTE Honte à toi qui la première M'as appris la trahison, Et d'horreur et de colère M'as fait perdre la raison ! Honte à toi, femme à l'oeil sombre, Dont les funestes amours Ont enseveli dans l'ombre Mon printemps et mes beaux jours ! C'est ta voix, c'est ton sourire, C'est ton regard corrupteur, Qui m'ont appris à maudire Jusqu'au semblant du bonheur ; C'est ta jeunesse et tes charmes Qui m'ont fait désespérer, Et si je doute des larmes, C'est que je t'ai vu pleurer. Honte à toi, j'étais encore Aussi simple qu'un enfant ; Comme une fleur à l'aurore, Mon coeur s'ouvrait en t'aimant. Certes, ce coeur sans défense Put sans peine être abusé ; Mais lui laisser l'innocence Était encor plus aisé. Honte à toi ! tu fus la mère De mes premières douleurs, Et tu fis de ma paupière Jaillir la source des pleurs ! Elle coule, sois-en sûre, Et rien ne la tarira ; Elle sort d'une blessure Qui jamais ne guérira ; Mais dans cette source amère Du moins je me laverai, Et j'y laisserai, j'espère, Ton souvenir abhorré ! LA MUSE Poète, c'est assez. Auprès d'une infidèle, Quand ton illusion n'aurait duré qu'un jour, N'outrage pas ce jour lorsque tu parles d'elle ; Si tu veux être aimé, respecte ton amour. Si l'effort est trop grand pour la faiblesse humaine De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui, Épargne-toi du moins le tourment de la haine ; À défaut du pardon, laisse venir l'oubli. Les morts dorment en paix dans le sein de la terre : Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints. Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière ; Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains. Pourquoi, dans ce récit d'une vive souffrance, Ne veux-tu voir qu'un rêve et qu'un amour trompé ? Est-ce donc sans motif qu'agit la Providence Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t'a frappé ? Le coup dont tu te plains t'a préservé peut-être, Enfant ; car c'est par là que ton coeur s'est ouvert. L'homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. C'est une dure loi, mais une loi suprême, Vieille comme le monde et la fatalité, Qu'il nous faut du malheur recevoir le baptême, Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté. Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ; Pour vivre et pour sentir l'homme a besoin des pleurs ; La joie a pour symbole une plante brisée, Humide encor de pluie et couverte de fleurs. Ne te disais-tu pas guéri de ta folie ? N'es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu ? Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie, Si tu n'avais pleuré, quel cas en ferais-tu ? Lorsqu'au déclin du jour, assis sur la bruyère, Avec un vieil ami tu bois en liberté, Dis-moi, d'aussi bon coeur lèverais-tu ton verre, Si tu n'avais senti le prix de la gaîté ? Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure, Les sonnets de Pétrarque et le chant des oiseaux, Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature, Si tu n'y retrouvais quelques anciens sanglots ? Comprendrais-tu des cieux l'ineffable harmonie, Le silence des nuits, le murmure des flots, Si quelque part là-bas la fièvre et l'insomnie Ne t'avaient fait songer à l'éternel repos ? N'as-tu pas maintenant une belle maîtresse ? Et, lorsqu'en t'endormant tu lui serres la main, Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse Ne rend-il pas plus doux son sourire divin ? N'allez-vous pas aussi vous promener ensemble Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin ? Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin ? Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune, Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras, Et si dans le sentier tu trouvais la Fortune, Derrière elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ? De quoi te plains-tu donc ? L'immortelle espérance S'est retrempée en toi sous la main du malheur. Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience, Et détester un mal qui t'a rendu meilleur ? Ô mon enfant ! plains-la, cette belle infidèle, Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux ; Plains-la ! c'est une femme, et Dieu t'a fait, près d'elle, Deviner, en souffrant, le secret des heureux. Sa tâche fut pénible ; elle t'aimait peut-être ; Mais le destin voulait qu'elle brisât ton coeur. Elle savait la vie, et te l'a fait connaître ; Une autre a recueilli le fruit de ta douleur. Plains-la ! son triste amour a passé comme un songe ; Elle a vu ta blessure et n'a pu la fermer. Dans ses larmes, crois-moi, tout n'était pas mensonge. Quand tout l'aurait été, plains-la ! tu sais aimer. LE POÈTE Tu dis vrai : la haine est impie, Et c'est un frisson plein d'horreur Quand cette vipère assoupie Se déroule dans notre coeur. Écoute-moi donc, ô déesse ! Et sois témoin de mon serment : Par les yeux bleus de ma maîtresse, Et par l'azur du firmament ; Par cette étincelle brillante Qui de Vénus porte le nom, Et, comme une perle tremblante, Scintille au loin sur l'horizon ; Par la grandeur de la nature, Par la bonté du Créateur, Par la clarté tranquille et pure De l'astre cher au voyageur. Par les herbes de la prairie, Par les forêts, par les prés verts, Par la puissance de la vie, Par la sève de l'univers, Je te bannis de ma mémoire, Reste d'un amour insensé, Mystérieuse et sombre histoire Qui dormiras dans le passé ! Et toi qui, jadis, d'une amie Portas la forme et le doux nom, L'instant suprême où je t'oublie Doit être celui du pardon. Pardonnons-nous ; - je romps le charme Qui nous unissait devant Dieu. Avec une dernière larme Reçois un éternel adieu. - Et maintenant, blonde rêveuse, Maintenant, Muse, à nos amours ! Dis-moi quelque chanson joyeuse, Comme au premier temps des beaux jours. Déjà la pelouse embaumée Sent les approches du matin ; Viens éveiller ma bien-aimée, Et cueillir les fleurs du jardin. Viens voir la nature immortelle Sortir des voiles du sommeil ; Nous allons renaître avec elle Au premier rayon du soleil !
Liens utiles
- Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles) - La nuit d'août
- Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles) - Sonnet à la même (Madame M. N.) (I)
- Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles) - Par un mauvais temps
- Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles) - Chanson de Fortunio
- Alfred de MUSSET (1810-1857) (Recueil : Poésies nouvelles) - Une soirée perdue