Alfred de Musset, Lorenzaccio, acte IV, scène 9.
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Alfred de Musset, Lorenzaccio, acte IV, scène 9.
[La pièce se passe à Florence, au XVl` siècle. Lorenzo de Médicis a décidé d'assassiner son cousin Alexandre de Médicis, duc de Florence, qui gouverne en tyran. Le moindre détail de ce meurtre a été prémédité : Lorenzo a volé la cotte de mailles d'Alexandre, a arrangé un faux rendez-vous galant avec sa tante Catherine Ginori pour attirer Alexandre dans sa propre maison où attend en embuscade Scoronconcolo, un ami dévoué à Lorenzo. Lorenzo erre dans les rues, attendant l'heure du rendez-vous fatal.]
Une place; il est nuit. Entre Lorenzo.
LORENZO : Je lui dirai que c'est un motif de pudeur, et j'emporterai la lumière — cela se fait tous les jours — une nouvelle mariée, par exemple, exige cela de son mari pour entrer dans la chambre nuptiale, et Catherine1 passe pour très vertueuse. — Pauvre fille ! Qui l'est sous le ciel si elle ne l'est pas ? — Que ma mère mourût de tout cela, voilà ce qui pourrait arriver.
Ainsi donc voilà qui est fait. Patience ! Une heure est une heure, et l'horloge vient de sonner. Si vous y tenez cependant — mais non pourquoi ? — Emporte le flambeau si tu veux; la première fois qu'une femme se donne, cela est tout simple. — Entrez donc, chauffez-vous donc un peu. — Oh ! mon Dieu, oui, pur caprice de jeune fille; et quel motif de croire à ce meurtre ? — Cela pourra les étonner, même Philippe2.
Te voilà, toi, face livide ? (La lune paraît.)
Si les républicains étaient des hommes, quelle révolution demain dans la ville ! Mais Pierre est un ambitieux; les Ruccellai seuls valent quelque chose. — Ah ! les mots, les mots, les éternelles paroles ! S'il y a quelqu'un là-haut, il doit bien rire de nous tous; cela est très comique, très comique, vraiment. — Ô bavardage humain ! Ô grand tueur de corps morts ! Grand défonceur de portes ouvertes ! Ô hommes sans bras !
Non ! non ! Je n'emporterai pas la lumière. J'irai droit au coeur; il se verra tuer... Sang du Christ ! On se mettra demain aux fenêtres.
Pourvu qu'il n'ait pas imaginé quelque cuirasse nouvelle, quelque cotte de mailles. Maudite invention ! Lutter avec Dieu et le diable, ce n'est rien; mais lutter avec des bouts de ferraille croisés les uns sur les autres par la main sale d'un armurier ! — Je passerai le second pour entrer; il posera son épée là, — ou là — oui, sur le canapé. — Quant à l'affaire du baudrier à rouler autour de la garde, cela est aisé. S'il pouvait lui prendre fantaisie de se coucher, voilà où serait le vrai moyen. Couché, assis, ou debout ? Assis plutôt. Je commencerai par sortir; Scoronconcolo est enfermé dans le cabinet. Alors nous venons, nous venons — je ne voudrais pourtant pas qu'il tournât le dos. J'irai à lui tout droit. Allons, la paix, la paix ! L'heure va venir. — Il faut que j'aille dans quelque cabaret; je ne m'aperçois pas que je prends du froid, et je viderai un flacon. — Non; je ne veux pas boire. Où diable vais-je donc ? Les cabarets sont fermés.
Est-elle bonne fille ? — Oui vraiment. — En chemise ? — Oh ! non, non, je ne le pense pas.
— Pauvre Catherine ! Que ma mère mourût de tout cela, ce serait triste. — Et quand je lui aurais dit mon projet, qu'aurais-je pu y faire ? Au lieu de la consoler, cela lui aurait fait dire : Crime ! Crime ! Jusqu'à son dernier soupir ! [...]
1. Catherine Ginori, tante de Lorenzo
2. Philippe Strozzi, Pierre et les Ruccellai appartiennent au clan des républicains, adversaires des Médicis
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