André Maurois
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André Maurois
Printemps 1918.
La guerre dure, et les Allemands, en un dernier sursaut, tentent de s'emparer d'Amiens.
C'est alors que parait, chez
Bernard Grasset, le premier livre d'un inconnu, un livre tout scintillant d'humour : les Silences du Colonel Bramble.
D'un coup, son
auteur est célèbre ; des écrivains aussi différents qu'Anatole France et Kipling lui adressent des félicitations, et on ne tarde pas à
découvrir, sous le pseudonyme d'André Maurois, un jeune officier-interprète auprès de l'armée britannique : Émile Herzog.
Il est né à Elbeuf où sa famille, originaire d'Alsace, avait transplanté son usine de lainage et ses quatre cents ouvriers, après la défaite
de 1871.
André Maurois semblait destiné à devenir à son tour un industriel.
Mais, très tôt, s'éveilla en lui une vocation d'écrivain que
ses premières lectures allaient attiser : “ J'ai lu, trop jeune peut-être, rapporte-t-il dans ses Mémoires, tout Flaubert, tout Maupassant,
les premiers romans de Paul Bourget, d'Anatole France, de Marcel Prévost, de Maurice Barrès.
Je mêlais le bon et le mauvais, le
sérieux et le futile, l'histoire et la fiction.
Du meilleur comme du pire, je tirais des plaisirs, incroyablement vifs, de délectation littéraire
et d'émotion sensuelle.
” Ses succès scolaires (toujours le premier de sa classe) lui firent songer un temps à franchir le seuil de l'École
Normale pour préparer une carrière d'universitaire, mais son professeur de philosophie au lycée de Rouen, Émile Chartier, qui
commençait à publier dans le journal local ses premiers Propos sous la signature bientôt célèbre d'Alain, le détourna de ce projet et
conseilla à son élève, sur lequel il devait exercer une influence si profonde et si durable, d'observer d'abord les hommes au travail
dans les ateliers paternels.
Ce que fit Maurois.
Sa vocation, pourtant, fut la plus forte.
Dans les années qui suivirent l'Armistice de 1918, il tenta de mener parallèlement sa vie
d'industriel et sa vie d'homme de lettres, mais ses goûts, sa vaste culture, ses affections, ses succès finirent par le persuader qu'il
fallait choisir.
Par l'intermédiaire de Bernard Grasset, il s'était lié avec François Mauriac, Jean Giraudoux, Paul Morand.
En 1922, convié
par Paul Desjardins aux fameuses Décades de Pontigny, il y avait connu Roger Martin du Gard, Jean Schlumberger, André Gide,
Edmond Jaloux, et Charles Du Bos qui devint pour lui un véritable directeur de conscience.
Ces nouveaux amis, avec lesquels il se
reconnaissait tant d'affinités, le rendaient heureux.
Son mariage, en revanche, était un échec et, après les quatre années de séparation
que la guerre avait imposées, sa jeune femme, Janine, blonde et fragile, lui devenait chaque jour un peu plus lointaine ; elle ne
comprenait ni n'approuvait les aspirations de son mari et lorsqu'elle mourut, au début de 1924, il sentit que venait de se rompre un des
liens qui le retenaient au passé.
L'année suivante, ce fut son père qui disparut...
Désormais, il était tout à fait libre de sa destinée.
Quarante années se sont écoulées depuis ; quarante années au cours desquelles, patiemment, harmonieusement, André Maurois a
édifié son œuvre qu'un jour François Mauriac a comparée à “ un beau palais aéré que des galeries ouvertes et de vastes portiques
relient à des terrasses et à des jardins ”.
Au total, plus de quatre-vingts ouvrages où s'affirment tour à tour les dons les plus variés
d'un esprit pénétrant et jamais rassasié.
Romancier, André Maurois nous propose de subtiles études psychologiques dans Bernard
Quesnay, si proche de lui-même, Climats, tout plein aussi de son expérience intime, le Cercle de famille, l'instinct du bonheur, les
Roses de septembre.
Conteur, il nous donne Meïpe ou la délivrance, le Peseur d'âmes, la Machine à lire les pensées, où les jeux de son
imagination s'allient à de graves réflexions.
Essayiste, il nous entraîne dans tous les domaines où sa propre curiosité l'a mené, qu'il
s'agisse du monde extérieur ou intérieur, ainsi qu'en témoignent Dialogues sur le commandement, Aspects de la biographie, Mes
songes que voici, Chantiers américains, Alain, Choses nues, cependant que c'est un véritable moraliste qui s'offre à nous dans
Sentiments et coutumes, Un art de vivre, Ce que je crois, Cours de bonheur conjugal.
Ce n'est pas tout encore.
André Maurois a toujours été fasciné par les destins exemplaires (c'est du reste le titre d'un de ses livres) et
son œuvre contient une éblouissante galerie de portraits, inaugurée par trois Anglais : Shelley, Disraeli et Byron, auxquels s'ajoutèrent
par la suite les figures contrastées de Lyautey, Tourgueniev, Voltaire, Édouard VII et Chateaubriand.
Et ce fut ensuite la série de ces
grandes biographies, où André Maurois se montra insurpassable et qui ressuscitèrent sous nos yeux Marcel Proust, George Sand, Hugo,
les trois Dumas, l'étonnante Adrienne de La Fayette et jusqu'à sir Alexander Fleming.
Mais le portraitiste voulut aussi peindre de larges
fresques : d'où ces Histoires d'Angleterre, des États-Unis et de la France qui sont autant de tableaux vivants et précis, brossés d'une
main sûre.
Remarié en 1926 avec Simone de Caillavet, dont la grand-mère avait été l'égérie d'Anatole France et qui, elle-même, avait inspiré à
Marcel Proust la gracieuse silhouette de Mlle de Saint-Loup, vivant studieusement tantôt à Neuilly, tantôt dans le château périgourdin
d'Essendiéras, fief de sa belle-famille, trouvant auprès de sa femme l'appui constant de la plus attentive des collaboratrices, André
Maurois fut vite compté parmi les meilleurs écrivains de sa génération et, lorsque l'Académie française l'accueillit en 1938 pour
succéder à René Doumic, son audience, accrue encore par son séduisant talent de conférencier, s'était déjà largement étendue à
travers le monde, en particulier en Angleterre, où il comptait de nombreux amis, et aux États-Unis qu'il allait élire comme refuge
pendant les années de l'Occupation.
Impossible de suivre ici son œuvre dans tous ses méandres ; elle est trop vaste et trop variée.
Mais que cette ampleur, cette variété ne
nous trompent pas car, à la bien regarder, cette œuvre nous révèle une secrète unité.
C'est que son auteur est tout entier présent dans
chacun de ses livres, lesquels constituent une patiente et perspicace enquête sur l'homme.
L'homme : ce qu'il éprouve, ce qu'il conçoit, les ressorts qui l'animent, les forces qui l'orientent, ses combats avec l'Ange, son
cheminement dans les siècles, son difficile mais exaltant accomplissement personnel, les limites de son pouvoir, les moyens pour
devenir ce qu'on est, voilà ce qui a fait l'objet de sa constante recherche, et ce qu'il a voulu nous transmettre.
Discrètement d'ailleurs,
et avec une affabilité qui est celle de l'homme même.
André Maurois ne consent jamais à hausser le ton, à enfler sa phrase, à
rechercher l'effet.
“ Pas la couleur, rien que la nuance ”, pourrait-il dire avec Verlaine, sachant que ce n'est pas là manquer de force ou
de conviction.
La mesure, l'équilibre, le raffinement sont des conquêtes difficiles, qui exigent du temps et un incessant contrôle de soi.
Point d'abandon à sa pente, mais un perpétuel effort pour se développer, se hausser, se polir.
Ainsi se forme toute civilisation.
Tout honnête homme aussi, et André Maurois en est un..
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