André-Modeste Grétry Réflexion d'un solitaire (Chapitre Amour et Respect)
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Nous aimons les innocentes fleurs, l'humble violette, la rose printanière, plus que le lys orgueilleux qui servit d'emblème aux rois. Si nous aimons particulièrement quelques fleurs, c'est par leur influence sur notre tempérament. Les émanations rafraîchissantes conviennent à l'homme chaleureux, comme les parfums corroborants doivent plaire au faible.
Quelques circonstances morales nous font aussi préférer une fleur à tout autre. J.-J. Rousseau aimait la pervenche sans nous dire pourquoi. J'ai aussi ma fleur favorite ; j'aime avec tendresse l'oreille d'ours, qu'on nomme auricule dans mon pays natal, et je sais d'où vient cette réminiscence sentimentale. J'étais enfant, enfant de chœur bien maltraité, bien malheureux. A la fin de l'hiver, je fus seul errer dans un jardin. J'aperçus, à travers la neige, une oreille d'ours en fleur, toute charmante ; les tristes frimas qui l'entouraient étaient de même dans mon jeune cœur ; je joignis les mains, mes yeux se mouillèrent, et je dis : « Pauvre petite fleur, tu es plus heureuse que moi ! ».
Homme, dis-moi, quand tu achètes des places honorifiques, et que tu brigues les décorations distinctes, est-ce pour être aimé ? Non, c'est pour être craint et respecté. Si l'amour du prochain nous était cher, nous craindrions de lui inspirer trop de respect en diminution de son amour envers nous. Il n'est, je l'ai dit, que la vertu de l'intègre magistrat, de l'homme intègre de tout état, qui puisse servir de contrepoids à l'autorité qui l'élève au-dessus de nous. Nous l'aimons alors en le respectant ; nous lui donnons même des larmes de tendresse ; et qui sait si elles ne sons pas causées par un regret intérieur de nous voir forcé de nous abaisser devant le mérite éminent, devant notre semblable qui, en quelque sorte, a cessé de l'être. Mais non : quoiqu'inépuisable, ne fouillons pas si avant dans le dédale de l'orgueil humain ; disons et croyons que ces larmes reconnaissantes sont un hommage que toujours et partout a mérité la vertu. Pour diminuer son apanage glorieux, l'homme vertueux, disons-nous, est une création céleste, comme le méchant en est une de la terre. Pourquoi ravir à la vertu le don d'être par elle-même, et par ses propres efforts ? Etre vertueux sans vanité, est-ce donc cesser de l'être ? La rose est-elle moins aimable en ignorant ses parfums ?
J'ai dit, à peu près, ce que je pensais dire à l'égard de l'amour respectueux que nous portons aux femmes. Il est suspect, ce respect, comme le sont tous les sentiments qui dérivent de nos intérêts personnels ; il est suspect, autant que notre amour pour le sexe nous est naturel. En effet, la nature a tellement marqué la supériorité sur le front de l'homme qu'il rougit en secret en reconnaissant une femme pour sa souveraine, hors du domaine de Vénus. Aussi l'on voit que si la femme règne politiquement, c'est l'homme qui gouverne, et que trop souvent le lit nuptial régit le sceptre impérieux de l'homme qui croit régner.
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André-Modeste Grétry
Réflexion d'un solitaire
(Chapitre Amour et Respect)
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