Antoine HEROËT (1492-1568) - La parfaite amie
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Antoine HEROËT (1492-1568) - La parfaite amie (Fragment du livre III) Mais maintenant achevons de répondre A ceux qui ont, pour notre amour confondre, Dit que c'était passion véhémente Sur la raison de l'homme trop puissante. Qu'il soit nommé passion, je l'accorde. Passion est aussi miséricorde, Et toutefois, pour être ainsi nommée, Femme qui l'a ne doit être blâmée. Notre terre est sujette aux passions, A un millier de perturbations, Dont y en a de mauvaises et bonnes. Quand cette-là d'amour vient aux personnes, Elle est si forte et a telle efficace Qu'affections toutes autres efface. Autres pourraient être en extrémité, Toutes ensembles et d'une infinité Troubler les sens de l'homme et jugement ; Mais si l'amour y passe seulement, Il veut régner seul et sans compagnie. Ô bon tyran ! ô douce tyrannie ! Et, si c'est mal, ô heureuse malice, Qui ne reçoit avec elle aucun vice ! Il vaut trop mieux à ce doux mal entendre, Qui seul nous peut de tous autres défendre, Puisqu'à tous maux notre faiblesse est née, Qu'en demeurant en simplesse obstinée, Aux ennemis laisser la porte ouverte Et nous fâcher avecques notre perte. Cela me plaît, dira quelque craintive ; Mais s'il me vient de volonté naïve Désir d'aimer homme ailleurs engagé, N'aurai-je point le coeur découragé ? N'aurai-je point tourments innumérables ? Y en a-t-il au monde de semblables ? Répondons-lui que toute femme sage De son amour prend conseil et présage, Qu'elle s'enquiert à soi-même de soi, De quelle force et constance est sa foi. Si un long temps lui pourrait faire injure, Si de durer obstinément s'assure, Sonde son coeur ; et, s'il est suffisant De soutenir un fardeau si pesant Comme est celui de sa persévérance, Si jamais n'eut désir d'autre accointance, Si tous les biens venant d'ailleurs refuse, En s'excusant si un soupir l'accuse, S' elle se sent si vivement atteinte, Qu'elle ait ensemble et hardiesse et crainte, Ne mette point en longueur son affaire ; Je ne vois point par quoi elle diffère. Ce continu désir et obstiné Montre l'ami lui être destiné Qu'il ne pourrait, s'il voulait, s'exempter De la servir et de la contenter. Pour vous donner de cela certitude, Pensez qu'amour vient de similitude Tant d'espérits que de complexions : Si j'ai porté fermes affections A mon ami, pour ce que lui ressemble, Il faut qu'il ait (au moins il me le semble) Lui ressemblant, à moi quelque semblance Qui le contraigne à une bienveillance. Pareille en lui, comme en moi, je la sens ; Pourrait-il bien entrer en aucun sens, Que volonté fut d'aucune approchante, Qui en serait lointaine et différente ? Certes, nenni. Dames, je vous promets Qu'il n'adviendra, et il n'advint jamais Que vrai amour n'ait été réciproque. Ne craignez point, les fois qu'il vous provoque, D'entrer en tant horrible et dur service. Faites à lui de vos coeurs sacrifice, Laissez-lui en tout le gouvernement, Et s'il ne fait bien et heureusement Vivre chacune en ses amours contente, Ne m'appelez jamais parfaite amante.
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