Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Illuminations) - Aube
Extrait du document
«
Introduction
Aube est tiré des Illuminations.
Le terme « illuminations » correspond à peu près en anglais au mot enluminures : c'est
ainsi qu'il faut comprendre le titre de Rimbaud, puisqu'il a donné à son œuvre le sous-titre « painted plates » mais il ne
faut pas écarter l'idée de visions presque magiques, d'hallucinations spontanées ou provoquées.
Aube est à la fois une impression sincère, presque simple et une aventure onirique; et, si le poème présente une unité
interne, elle ne peut être que dans l'esprit du poète qui l'a vécu...
1.
Le don du pittoresque
Avant tout effort d'interprétation, ou même d'explication quelconque, ne négligeons pas les éléments naturels : images,
objets, mots, qui font naître une poésie toute simple, celle qui tient à la beauté des choses elles-mêmes.
C'est l'aube
d'été : il fait clair, la température est douce, tout prend vie et lumière.
Rimbaud pourrait composer sur ce thème une
ode lyrique ou un sonnet parnassien, et le lecteur peut s'y méprendre.
Un peu plus tard — si l'on tient compte d'une
chronologie facile à suivre — l'aube est l'occasion d'une promenade, la découverte du sentier, puis d'une fleur; nous
apercevons ensuite la chute d'eau — dont le nom étranger : wasserfall, fait penser à un personnage mystérieux, mais
qui se répand réellement à travers les sapins et enfin la cime argentée des arbres.
Même dans les derniers
paragraphes, transfigurée par la merveilleuse aventure, la réalité subsiste, car la scène se passe effectivement dans
l'allée qui va vers la plaine; c'est le coq qui sert de témoin, la déesse fuit parmi les clochers et les dômes de la
grand'ville, et c'est finalement en haut de la route, près d'un bois de lauriers que le poète croit la saisir : ainsi la réalité
cohabite sans cesse avec la fiction.
2.
La transfiguration poétique
Or la fantaisie poétique, le miracle de l'imagination créatrice transforment la vie : nous allons les voir intervenir dès le
second paragraphe.
Les palais peuvent être réels ou inventés.
Mais les verbes « actifs » métamorphosent
instantanément les choses en êtres vivants : les camps d'ombres ne quittent pas la route...
les haleines se réveillent...
les pierreries regardent ...
les ailes se lèvent.
Dans le troisième paragraphe, la fantasmagorie se précise : une fleur dit
son nom.
Puis, dans le quatrième, c'est la déesse qui apparaît.
Quelle déesse? peu importe, personnification de la
nature, de la beauté, silhouette de légende et de rêve...
Notons que la chute d'eau, est animée elle aussi et
humanisée : le wasserfall blond fait un clin d'œil au témoin qui entre aussitôt dans le Jeu, « je ris au wasserfall...
».
Mystérieuse déesse! Va-t-elle livrer son secret? voiles ôtés un à un, dénoncée au coq qui sert de témoin, chassée
sans trêve, comme le signifie l'imparfait qui termine le cinquième paragraphe : « Je la chassais ».
N'est-ce pas, en fin
de compte, l'image de l'aube même, repoussée par le jour d'été comme la déesse par le poète? De même que les
démons de la nuit disparaissent avec l'aurore, toute la féerie s'efface tout à coup, pour faire place au sommeil plus
profond et à l'oubli : « L'aube et l'enfant tombèrent.
» — Notons ce passé simple, qui convient bien aux actes brefs et
définitifs.
Le réveil ramène la réalité nette et le temps qui découpe notre vie au rythme des heures : « Au réveil il était
midi ».
Les mots suffiraient pour suggérer tout au long du texte la naissance du miracle poétique : palais, camps, pierreries,
ailes, wasserfall, dômes, marbre, lauriers, mais il y a aussi des alliances de mots surprenantes : des camps d'ombres,
des pierreries qui regardent, de frais et blêmes éclats, le wasserfall blond, les voiles amassés; et des images ou des
sensations notées à cru, dans toute leur force vive : « les ailes qui se lèvent sans bruit », « courant comme un
mendiant », « tombèrent au bas du bois » — et le merveilleux sujet de ce dernier verbe : « l'aube et l'enfant ».
Conclusion
Dans la célèbre lettre à Demeny, Arthur Rimbaud avait annoncé une nouvelle poétique : « Je dis qu'il faut être voyant,
se faire voyant.
Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.
Toutes les
formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les
quintessences...
Pour cela, il lui faut faire sentir, palper, écouter ses inventions...
»
Cette entreprise quasi mystique pouvait-elle réussir? Chacun répondra à sa façon après avoir étudié l'œuvre et la vie
d'Arthur Rimbaud.
Mais après la lecture d'Aube, nul ne pourra douter que, dans la brièveté de ce poème, l'auteur a su
inclure une aventure personnelle qui nous touche comme les pages les plus émouvantes de Nerval, sublimant nature,
rêve et légende par la beauté du verbe et les splendeurs de la poésie : c'est ainsi qu'une aube d'été devient une
illumination..
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