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Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Illuminations) - Aube

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Arthur RIMBAUD (1854-1891) (Recueil : Illuminations) - Aube J'ai embrassé l'aube d'été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi.

« Introduction Aube est tiré des Illuminations.

Le terme « illuminations » correspond à peu près en anglais au mot enluminures : c'est ainsi qu'il faut comprendre le titre de Rimbaud, puisqu'il a donné à son œuvre le sous-titre « painted plates » mais il ne faut pas écarter l'idée de visions presque magiques, d'hallucinations spontanées ou provoquées. Aube est à la fois une impression sincère, presque simple et une aventure onirique; et, si le poème présente une unité interne, elle ne peut être que dans l'esprit du poète qui l'a vécu... 1.

Le don du pittoresque Avant tout effort d'interprétation, ou même d'explication quelconque, ne négligeons pas les éléments naturels : images, objets, mots, qui font naître une poésie toute simple, celle qui tient à la beauté des choses elles-mêmes.

C'est l'aube d'été : il fait clair, la température est douce, tout prend vie et lumière.

Rimbaud pourrait composer sur ce thème une ode lyrique ou un sonnet parnassien, et le lecteur peut s'y méprendre.

Un peu plus tard — si l'on tient compte d'une chronologie facile à suivre — l'aube est l'occasion d'une promenade, la découverte du sentier, puis d'une fleur; nous apercevons ensuite la chute d'eau — dont le nom étranger : wasserfall, fait penser à un personnage mystérieux, mais qui se répand réellement à travers les sapins et enfin la cime argentée des arbres.

Même dans les derniers paragraphes, transfigurée par la merveilleuse aventure, la réalité subsiste, car la scène se passe effectivement dans l'allée qui va vers la plaine; c'est le coq qui sert de témoin, la déesse fuit parmi les clochers et les dômes de la grand'ville, et c'est finalement en haut de la route, près d'un bois de lauriers que le poète croit la saisir : ainsi la réalité cohabite sans cesse avec la fiction. 2.

La transfiguration poétique Or la fantaisie poétique, le miracle de l'imagination créatrice transforment la vie : nous allons les voir intervenir dès le second paragraphe.

Les palais peuvent être réels ou inventés.

Mais les verbes « actifs » métamorphosent instantanément les choses en êtres vivants : les camps d'ombres ne quittent pas la route...

les haleines se réveillent... les pierreries regardent ...

les ailes se lèvent.

Dans le troisième paragraphe, la fantasmagorie se précise : une fleur dit son nom.

Puis, dans le quatrième, c'est la déesse qui apparaît.

Quelle déesse? peu importe, personnification de la nature, de la beauté, silhouette de légende et de rêve...

Notons que la chute d'eau, est animée elle aussi et humanisée : le wasserfall blond fait un clin d'œil au témoin qui entre aussitôt dans le Jeu, « je ris au wasserfall...

». Mystérieuse déesse! Va-t-elle livrer son secret? voiles ôtés un à un, dénoncée au coq qui sert de témoin, chassée sans trêve, comme le signifie l'imparfait qui termine le cinquième paragraphe : « Je la chassais ».

N'est-ce pas, en fin de compte, l'image de l'aube même, repoussée par le jour d'été comme la déesse par le poète? De même que les démons de la nuit disparaissent avec l'aurore, toute la féerie s'efface tout à coup, pour faire place au sommeil plus profond et à l'oubli : « L'aube et l'enfant tombèrent.

» — Notons ce passé simple, qui convient bien aux actes brefs et définitifs.

Le réveil ramène la réalité nette et le temps qui découpe notre vie au rythme des heures : « Au réveil il était midi ». Les mots suffiraient pour suggérer tout au long du texte la naissance du miracle poétique : palais, camps, pierreries, ailes, wasserfall, dômes, marbre, lauriers, mais il y a aussi des alliances de mots surprenantes : des camps d'ombres, des pierreries qui regardent, de frais et blêmes éclats, le wasserfall blond, les voiles amassés; et des images ou des sensations notées à cru, dans toute leur force vive : « les ailes qui se lèvent sans bruit », « courant comme un mendiant », « tombèrent au bas du bois » — et le merveilleux sujet de ce dernier verbe : « l'aube et l'enfant ». Conclusion Dans la célèbre lettre à Demeny, Arthur Rimbaud avait annoncé une nouvelle poétique : « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.

Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences...

Pour cela, il lui faut faire sentir, palper, écouter ses inventions...

» Cette entreprise quasi mystique pouvait-elle réussir? Chacun répondra à sa façon après avoir étudié l'œuvre et la vie d'Arthur Rimbaud.

Mais après la lecture d'Aube, nul ne pourra douter que, dans la brièveté de ce poème, l'auteur a su inclure une aventure personnelle qui nous touche comme les pages les plus émouvantes de Nerval, sublimant nature, rêve et légende par la beauté du verbe et les splendeurs de la poésie : c'est ainsi qu'une aube d'été devient une illumination.. »

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