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AU BAS D'UN PORTRAIT DE MOLIÈRE - HENRI DE REGNIER (1864-1936).

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AU BAS D'UN PORTRAIT DE MOLIÈRE Le valet qui friponne et le tuteur qui peste, Le pédant, le marquis, le sot et le barbon, L'apothicaire, le fâcheux, tout lui fut bon, De l'esclave rustique au Jupiter céleste; L'intrigue et l'imbroglio» la gambade et le geste, La mascarade, la seringue et le bâton, Et jusqu'au Turc obèse au turban de coton, Et le sac de Scapin et les rubans d'Alceste. Mais, farce à la chandelle ou haute comédie, De tout ce qu'inventa sa verve, son génie En a fait de la vie et de la vérité; Et c'est pourquoi ces yeux, ce front et cette bouche Reçurent le baiser de l'Immortalité, Qui, d'abord, avaient pris leçon de Scaramouche. HENRI DE REGNIER (1864-1936).

« INTRODUCTION : A.

— Ce sonnet est un éloge de Molière.

L'auteur y explique les raisons pour lesquelles (« c'est pourquoi » au vers 12) Molière est devenu immortel. B.

— Le texte est donc d'une inspiration didactique et rédigé sur un ton enthousiaste et admiratif puisque l'auteur ne fait sur l'œuvre de Molière aucune réserve (importance de « tout » au vers 10). C — L'intérêt du texte apparaît dans l'art avec lequel l'auteur a réussi dans le cadre étroit d'un sonnet à rappeler la variété des personnages de Molière (premier quatrain); — le grand nombre de ses procédés comiques (deuxième quatrain); — les qualités de ses comédies (premier tercet); — les raisons de son immortalité (deuxième tercet). A.

— Variété des personnages de Molière.

— Dans une longue phrase qui recouvre tout le premier quatrain, Henri de Régnier énumère toute une série de personnages de Molière.

Il veut : a) laisser une impression d'abondance en accumulant les noms en apposition au pronom tout du vers 3.

Grâce à ce procédé, c'est toute une galerie, extrêmement riche, de personnages qui défile devant nous; b) marquer la variété de ces personnages empruntés aux milieux les plus divers : • Société mondaine où évoluent les marquis, les sots et les pédants (Acaste et Clitandre du Misanthrope; Trissotin et Vadius des Femmes Savantes) ; • milieux bourgeois avec leurs barbons (Arnolphe de l'Ecole des Femmes) et leurs valets (Scapin des Fourberies); • monde de la campagne (personnages de rustres comme Charlotte et Mathurine de Dom Juan, Alain et Georgette de {'Ecole des Femmes); • monde des médecins et des apothicaires (Monsieur Purgon et Thomas Diafoirus dans le Malade Imaginaire); • personnages de mythologie (Jupiter et Mercure dans Amphitryon). B.

— Procédés comiques de Molière.

Par un procédé analogue à celui qu'il a utilisé dans le premier quatrain, Henri de Régnier les énumère en les juxtaposant, mais dans une phrase, cette fois, elliptique où « tout lui fut bon » n'est pas répété : ainsi construite, la phrase donne une impression de jaillissement et d'imprévu.

Elle laisse aussi entendre que Molière n'a rien dédaigné.

La répétition de la conjonction et, l'emploi de jusque (adverbe signifiant même) au vers 7 renforcent cette impression. Molière a en effet utilisé toutes les formes de comique : • comique d'intrigues parfois quelque peu embrouillées (d'où l'emploi du mot italien « imbroglio » désignant ce genre de comédies); on pense à l'Ecole des Femmes dont l'action suppose une double identité et un double domicile; • comique visuel que suggèrent les mots « gambades, gestes » avec des déguisements, les bastonnades comme on en voit dans les Fourberies; • comédie-ballet comme la Turquerie du Bourgeois gentilhomme, qu'on consacre « mamamouchi » sur la scène (vers 7) ou la cérémonie des médecins qui, armés de leurs seringues (vers 6), admettent Argan dans leur confrérie; • haute comédie qu'évoque le nom d'Alceste, l'homme aux « rubans verts » du Misanthrope, dont le nom est cité dans le même vers à côté de celui de Scapin, non seulement parce que ces deux personnages s'opposent par leur rang social et leur caractère, mais parce qu'ils incarnent l'un la « farce à la chandelle », l'autre la « haute comédie » dont il est question au vers suivant.

Ces deux noms célèbres résonnent à la fin des deux quatrains parce qu'avec eux surgissent dans notre esprit des domaines tout à fait opposés et que Molière y a réussi avec autant d'aisance. C.

— Qualités des comédies de Molière.

— Henri de Régnier les résume par les deux mots « vie » et « vérité » qui terminent le premier tercet : a) vie, parce que l'action d'une comédie de Molière n'est jamais languissante et qu'il a l'art de faire chaque fois rebondir l'intérêt, d'animer la scène, d'attirer et de retenir l'attention, de faire jaillir le rire; b) vérité, parce que, comme il le dit lui-même dans la Critique de l'Ecole des Femmes, ses personnages sont peints « d'après nature ». C'est cet effort de « recréation » du réel que souligne l'expression du vers 11 : « son génie en a fait ».

Henri de Régnier a voulu dire qu'il ne suffisait pas à Molière d'avoir de la « verve » c'est-àdire, au sens moderne du mot, de la force comique; il fallait encore unir à cette spontanéité et à cette aisance, l'effort conscient de l'artiste qui transforme, qui crée et marque tout ce qu'il touche de la griffe de son « génie » ; ce mot est mis en relief par sa place en contre-rejet au vers 10.

Le verbe « inventa » au même vers semble d'ailleurs avoir un double sens : un sens étymologique, celui de trouver par hasard, et un sens moderne, celui d'imaginer.

C'est rappeler que Molière a pris, comme on l'a dit, son bien où il l'a trouvé, mais qu'il a su aussi comme tous les classiques, par son imagination, faire une œuvre entièrement nouvelle. D.

— Immortalité de Molière.

— Ce qui frappe dans ce second tercet c'est : a) la transition « c'est pourquoi ».

En même temps qu'elle rappelle l'intention didactique du sonnet, elle exprime l'idée qu'un artiste ne peut être assuré de l'immortalité qu'à la seule condition d'être vivant et vrai, et, à travers cette idée, transparaît toute une esthétique, tout un idéal d'art. b) La personnification de l'Immortalité.

Grâce à la majuscule le mot devient plus qu'une allégorie.

Le mot désigne une sorte de divinité qui a ses élus, presque ses amants, qu'elle comble de faveurs.

Nous voici cette fois en présence d'une conception toute aristocratique de l'art, qui réserve aux seuls « initiés » les lauriers de la gloire. c) Enfin l'allusion à Scaramouche, le célèbre acteur italien, dont on prétend que le jeune Jean-Baptiste Poquelin avait suivi avec ravissement les premières représentations sur les tréteaux parisiens.

Ce que souligne Henri de Régnier, par cette allusion, c'est le chemin parcouru par Molière, c'est toute sa carrière qu'il évoque, depuis les bateleurs du Pont-Neuf jusqu'à ses chefsd'œuvre.

C'est tout le mystère de la gloire promise à un adolescent dont les débuts (d'abord...) ne pouvaient pas laisser prévoir une si éclatante réussite. CONCLUSION : Bien qu'Henri de Régnier ait eu le mérite de marquer quelques-uns des aspects essentiels de l'œuvre de Molière et de rendre à celui-ci les hommages que mérite son génie vivant, varié et original, on peut noter que : a) L'énumération des personnages cités au premier quatrain ne cite ni l'avare, ni le mari trompé, ni le vaniteux, ni le grand seigneur corrompu et corrupteur, ni le faux dévot qui sont pourtant des personnages très importants. b) Henri de Régnier a été plus sensible à l'art de Molière qu'aux leçons de bon sens et de mesure qu'il nous donne. c) Enfin il a fait la plus large place au comique de farce, surtout visuel qui lui paraît avoir autant de prix que les hautes comédies. C'est que Régnier : a) n'a pas voulu évoquer tous les types de Molière, mais ne donner que des exemples significatifs; b) il s'est avant tout préoccupé de réhabiliter les farces que Boileau avait reprochées à Molière, en écrivant dans l'Art poétique : Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe Je ne reconnais plus l'auteur du Misanthrope; c) il a jugé en poète de l'école parnassienne, plus sensible à l'art et à la vérité qu'à la morale de Molière.

Mais n'est-ce pas le propre d'un grand écrivain que d'avoir été admiré par la postérité pour des raisons différentes ? Ce que le parnassien admire chez Molière ce n'est pas d'avoir été, comme le disait Voltaire, le « Législateur des bien- séances mondaines », ni d'avoir mêlé le rire aux larmes, comme le prétendait Musset; c'est d'avoir été un grand « artiste ».

H.

de Régnier admire aussi Molière; c'est seulement son optique qui a changé.. »

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