Auguste BARBIER (1805-1882) - La cuve
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Auguste BARBIER (1805-1882) - La cuve Il est, il est sur terre une infernale cuve, On la nomme Paris ; c'est une large étuve, Une fosse de pierre aux immenses contours Qu'une eau jaune et terreuse enferme à triples tours C'est un volcan fumeux et toujours en haleine Qui remue à longs flots de la matière humaine ; Un précipice ouvert à la corruption, Où la fange descend de toute nation, Et qui de temps en temps, plein d'une vase immonde, Soulevant ses bouillons, déborde sur le monde. Là, dans ce trou boueux, le timide soleil Vient poser rarement un pied blanc et vermeil ; Là, les bourdonnements nuit et jour dans la brume Montent sur la cité comme une vaste écume ; Là, personne ne dort, là, toujours le cerveau Travaille, et, comme l'arc, tend son rude cordeau. On y vit un sur trois, on y meurt de débauche ; Jamais, le front huilé, la mort ne vous y fauche, Car les saints monuments ne restent dans ce lieu Que pour dire : Autrefois il existait un Dieu. Là, tant d'autels debout ont roulé de leurs bases, Tant d'astres ont pâli sans achever leurs phases, Tant de cultes naissants sont tombés sans mûrir, Tant de grandes vertus, là, s'en vinrent pourrir, Tant de chars meurtriers creusèrent leur ornière, Tant de pouvoirs honteux rougirent la poussière, De révolutions au vol sombre et puissant Crevèrent coup sur coup leurs nuages de sang, Que l'homme, ne sachant où rattacher sa vie, Au seul amour de l'or se livre avec furie. Misère ! Après mille ans de bouleversements, De secousses sans nombre et de vains errements, De cultes abolis et de trônes superbes Dans les sables perdus et couchés dans les herbes, Le Temps, ce vieux coureur, ce vieillard sans pitié, Qui va par toute terre écrasant sous le pié Les immenses cités regorgeantes de vices, Le Temps, qui balaya Rome et ses immondices, Retrouve encore, après deux mille ans de chemin, Un abîme aussi noir que le cuvier romain. Toujours même fracas, toujours même délire, Même foule de mains à partager l'empire ; Toujours même troupeau de pâles sénateurs, Mêmes flots d'intrigants et de vils corrupteurs, Même dérision du prêtre et des oracles, Même appétit des jeux, même soif des spectacles ; Toujours même impudeur, même luxe effronté, Dans le haut et le bas même immoralité, Mêmes débordements, mêmes crimes énormes, Moins l'air de l'Italie et la beauté des formes. La race de Paris, c'est le pâle voyou Au corps chétif, au teint jaune comme un vieux sou ; C'est cet enfant criard que l'on voit à toute heure Paresseux et flânant, et loin de sa demeure Battant les maigres chiens, ou le long des grands murs Charbonnant en sifflant mille croquis impurs ; Cet enfant ne croit pas, il crache sur sa mère, Le nom du ciel pour lui n'est qu'une farce amère ; C'est le libertinage enfin en raccourci ; Sur un front de quinze ans c'est le vice endurci. Et pourtant il est brave, il affronte la foudre, Comme un vieux grenadier il mange de la poudre, Il se jette au canon en criant : Liberté ! Sous la balle et le fer il tombe avec beauté. Mais que l'Emeute aussi passe devant sa porte, Soudain l'instinct du mal le saisit et l'emporte, Le voilà grossissant les bandes de vauriens, Molestant le repos des tremblants citoyens, Et hurlant, et le front barbouillé de poussière, Prêt à jeter à Dieu le blasphème et la pierre. Ô race de Paris, race au coeur dépravé, Race ardente à mouvoir du fer ou du pavé ! Mer, dont la grande voix fait trembler sur les trônes, Ainsi que des fiévreux, tous les porte-couronnes ! Flot hardi qui trois jours s'en va battre les cieux, Et qui retombe après, plat et silencieux ! Race unique en ce monde ! effrayant assemblage Des élans du jeune homme et des crimes de l'âge ; Race qui joue avec le mal et le trépas, Le monde entier t'admire et ne te comprend pas ! Il est, il est sur terre une infernale cuve, On la nomme Paris ; c'est une large étuve, Une fosse de pierre aux immenses contours Qu'une eau jaune et terreuse enferme à triples tours C'est un volcan fumeux et toujours en haleine Qui remue à longs flots de la matière humaine ; Un précipice ouvert à la corruption, Où la fange descend de toute nation, Et qui de temps en temps, plein d'une vase immonde, Soulevant ses bouillons, déborde sur le monde.
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