Automne malade de Guillaume Apollinaire
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Automne malade de Guillaume Apollinaire
Automne malade et adoré
Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers
Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les fixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n’ont jamais aimé
Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé
Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu’on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule
Introduction
Le recueil d'Alcools fait date dans l'histoire de la poésie moderne.
On est loin ici de l'art sophistiqué de Mallarmé et des
brouillards symbolistes : tout y est au contraire jeune, dynamique, désinvolte même, tout y est surprise.
Automne
malade n'est sans doute pas le poème le plus représentatif du recueil, mais on y perçoit ce qui fait l'originalité
attachante d'Apollinaire qui, grâce au choix de ses images, au jeu des rythmes et des sonorités, nous fait accéder, à
partir de thèmes lyriques traditionnels, à l'univers unique et ouaté de sa mélancolie.
1.
Des thèmes traditionnels
Le thème de l'automne, de l'agonie de la nature n'est pas nouveau : il a été exploité par nombre de poètes lyriques
avant Apollinaire.
Aussi est-ce tout naturellement qu'il s'y attache, lui qui a aimé Ronsard et qui doit tant à Verlaine.
L'imminence de la mort — « Automne malade...
Tu mourras » — n'est-elle pas plus bouleversante, plus pathétique que
la mort elle-même? Moment privilégié pour l'âme désenchantée qui se complaît à envisager la mort qui vient — «
Automne malade et adoré » —.
Le parfum des fruits trop mûrs rappelle encore les richesses de cette saison
d'abondance en même temps qu'il annonce la pourriture irréversible! « les éperviers planent » guettant leurs victimes
pas encore offertes; les animaux ont déjà pressenti l'angoisse de l'hiver — « Les cerfs ont bramé » —; toute la nature
est attente, attente triste d'un destin inéluctable : « Le vent et les forêts...
pleurent...
»
Cette attente est aussi celle du poète.
L'étroite harmonie qui s'établit entre la saison en pleurs et son propre état
d'âme, suggérée depuis le début du poème, devient évidente dans la dernière strophe.
Le « Et » qui ouvre le premier
vers montre bien qu'il ne peut s'empêcher d'avouer alors ouvertement et passionnément son amour pour l'automne — «
Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs » — la reprise du verbe épouse étroitement l'élan irrésistible du cœur,
avec ce qu'il peut avoir d'un peu trop éloquent parce que trop passionné.
Mais ce transport ne dure pas et la strophe
s'achève sur un refrain désabusé mais presque serein : tel ce train insolite dont la course est comme l'image « civilisée
» de celle de la nature qui suit son cycle toujours recommencé, la fuite du temps s'impose au poète et avec elle la
certitude terrible mais résignée de l'irréversibilité du destin.
2.
Une poésie originale
Aucune composition artificielle, aucune rhétorique dans ce poème en vers libres où l'absence de ponctuation met en
évidence la valeur fondamentale du rythme, son pouvoir de suggestion.
Il s'en dégage au contraire une impression de
spontanéité que le clin d'œil des exotiques et savantes « nixes nicettes » ne vient guère troubler.
Spontanéité,
émotion contenue ou épanchée s'expriment à travers la diversité des rythmes, le choix du vocabulaire et des sonorités.
Il s'agit bien ici du lyrisme le plus intime.
Apollinaire ne fait pas de concession au pittoresque qui est des plus discret.
Les flamboyantes couleurs de l'automne
ne le retiennent pas : il ne s'attache qu'aux signes qui, en cette saison, sont annonciateurs de l'hiver, de la mort.
Saison pitoyable et malade, dont la récente abondance est déjà révolue : les fruits tombent sans qu'on les cueille et «
vergers » rime avec « neigé »...
L'hiver est présent déjà dans le futur implacable du deuxième vers « Tu mourras ».
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