Bal chez madame de Bauséant - Honoré de BALZAC - Le Père Goriot.
Extrait du document
«
Balzac eut conjointement l'idée du roman intitulé Le Père Goriot et du retour des personnages
qui devait assurer la cohérence de l'ensemble de l'œuvre La Comédie humaine.
Plus que la triste
destinée du « Christ de la Paternité », le roman évoque l'initiation du jeune Rastignac.
La
pension Vauquer, dans laquelle il loge, recèle différents types d'individus dont Vautrin.
L'arrestation de ce dernier constitue un épisode clé dans l'apprentissage de Rastignac, comme
l'épisode présenté ici.
Madame de Beauséant qui règne sur le faubourg Saint-Germain, autre lieu
mythique du Paris balzacien, donne un dernier bal avant de se retirer du monde car elle a été
abandonnée par l'homme qu'elle aime.
Balzac, dans ce passage, célèbre une héroïne de la
passion amoureuse qu'il grandit jusqu'à l'héroïsme, évoque le spectacle fastueux d'un bal,
prétexte à une symbolisation pessimiste, celle de « la comédie humaine ».
Madame de Beauséant domine ce passage pour différentes raisons.
Abandonnée par l'homme
qu'elle aime, elle demeure d'autant plus une héroïne dans cette ultime parade mondaine.
Elle
organise un dernier bal, dernier miroir de sa splendeur et adieu au monde qu'elle quitte.
Elle se détache de la foule par
sa beauté, la majesté de sa contenance, son désespoir masqué.
Différents procédés stylistiques contribuent d'ailleurs
à faire d'elle une figure héroïque.
La beauté de Madame de Beauséant est rapidement évoquée : « Vêtue de blanc, sans aucun ornement dans ses
cheveux simplement nattés », mais elle contraste avec la coquetterie chatoyante des invités.
Balzac évoque par
exemple « les gens illustres en tout genre, chamarrés de croix, de plaques, de cordons multicolores ».
Les pages
précédentes ont montré les préparatifs de toilette des deux filles du père Goriot, présentes au bal.
En renonçant à la
parure, Madame de Beauséant signe ses adieux au monde, au siècle.
L'apparence physique est moins importante que
l'attitude morale.
Celle-ci est faite de contenance et de majesté.
Différents termes appartenant au même champ
sémantique témoignent de sa superbe : Balzac emploie successivement les périphrases « cette grande dame », et « la
dernière fille de la quasi royale maison de Bourgogne », la métaphore de « la reine » (« les lambris dorés de ce palais,
désert pour sa reine »), relayée par le terme de « souveraine » (« le monde semblait s'être paré pour faire ses adieux à
l'une de ses souveraines »).
Sa noblesse (« la vicomtesse ») est amplifiée par la force morale dont elle fait preuve.
Romancier omniscient, Balzac
dresse un double portrait moral de Madame de Beauséant : apparence de calme pour ceux qui l'observent de
l'extérieur, c'est-à-dire la foule des invités, amis et spectateurs ; désespoir pour le romancier qui sonde les cœurs.
Madame de Beauséant affecte le calme : elle se montre « supérieure à son mal », elle « domina jusqu'à son dernier
moment le monde ».
Elle est impénétrable : « elle semblait calme et n'affichait ni douleur, ni fierté, ni fausse joie.
Personne ne pouvait lire dans son âme ».
La comparaison avec la statuaire mythologique prend toute sa valeur : «
Vous eussiez dit d'une Niobé de marbre ».
Son art de la dissimulation est parfait, sans excès (« ni fierté, ni fausse joie
») et permet de tromper parfaitement ceux qui l'observent « elle parut à tous semblable à elle-même et se montra si
bien ce qu'elle était quand le bonheur la parait de ses rayons...
».
Seuls le romancier et le lecteur perçoivent l'ampleur
de la tragédie à travers quelques termes contrastant avec cette ambiance de fête.
Des termes comme « au moment
de sa chute », « son mal », « désert pour sa reine », « douleur » témoignent du décalage entre l'attitude apparente et
la réalité du cœur.
Balzac, grâce à ce contraste, fait de Madame de Beauséant une héroïne, capable de porter le masque de la mondanité
lors d'une tragédie personnelle.
Différents procédés stylistiques assurent « l'héroïcisation » de Madame de Beauséant.
Balzac utilise des périphrases ennoblissantes soit morales « cette grande femme », soit aristocratiques « la deuxième
fille de la quasi royale maison de Bourgogne ».
Il recourt à des comparaisons historiques avec la Grande Mademoiselle,
maîtresse du duc de Lauzun, avec les gladiateurs romains (on notera que par l'image, Madame de Beauséant témoigne
d'une force morale « virile ») ou mythologiques quand il évoque Niobé.
Par sa beauté, son impassibilité, Madame de Beauséant est une héroïne digne des mythes balzaciens.
A travers son
héroïsme, Balzac symbolise la passion amoureuse vécue par une aristocrate du faubourg Saint-Germain.
La figure héroïque de Madame de Beauséant est rehaussée par le cadre du bal, décrit de manière réaliste et
symbolique.
Balzac, comme de nombreux romanciers du xixe siècle, se plaît à évoquer un bal, grande fête aristocrate, scène de
genre du roman contemporain.
Le bal est symbole de luxe et de concours d'invités prestigieux.
Le texte est aussi sous
le signe de la lumière : « les lanternes de cinq cents voitures éclairaient les abords de l'hôtel de Beauséant,...
la porte
illuminée,...
les lambris dorés.
» La musique concourt à l'impression de fête : « l'orchestre faisait résonner les motifs de
sa musique ».
La foule des invités (« cinq cents voitures ») et la qualité des hôtes ajoutent au faste de la réception.
Tout Paris est là : « le grand monde...
les plus belles femmes de Paris...
les hommes les plus distingués de la cour...,
les gens illustres en tout genre ».
Balzac recourt à différents moyens stylistiques pour évoquer les invités : des termes
génériques (« les ambassadeurs, les ministres ») ; des comparatifs de supériorité (« les plus belles femmes...
les
hommes les plus distingués ») ; des superlatifs (« les gens illustres en tout genre ») ; des énumérations qui insistent
plus sur le nombre que sur la caractérisation précise des éléments (« chamarrés de croix, de plaques, de cordons
multicolores »).
Cette évocation du bal, motif romanesque assez courant dans la littérature du xixe siècle puise son originalité dans des
effets de contraste savamment ménagés par Balzac.
Opposition entre la foule numériquement présente et la solitude
morale de Madame de Beauséant comme le souligne la phrase : « l'orchestre faisait résonner les motifs de sa musique
sous les lambris dorés de ce palais, désert pour sa reine ».
Opposition également entre le chatoiement des robes des
femmes, les décorations des hommes et la stricte tenue de l'hôtesse : « vêtue de blanc, sans aucun ornement dans
ses cheveux simplement nattés » qui s'oppose à « les plus belles femmes de Paris animaient les salons de leurs
toilettes ».
Opposition enfin entre l'état d'esprit des invités conviés à un bal et l'adieu >au monde de Madame de.
»
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