Baudelaire « A celle qui est trop gaie », LES FLEURS DU MAL, paru en 1857.
Extrait du document
«
Ce poème fait partie des pièces censurées des Fleurs du Mal ,qui ont valu a Baudelaire son
procès .
Le poète joue en effet dans ces pièces avec le non-dit, les insinuations, et les codes
sociaux en vigueur a l'époque, qui définissent ce qui est bienséant.
Il peut être intéressant de regarder dans ce poème comment s'articulent, d'une part,
l'acceptation des codes de la bienséance et des codes de la poésie classique ; et d´autre part,
le jeu subversif du poète avec ces codes, jeu qui lui a valu la censure.
I) la tradition de la poésie amoureuse...
-forme classique : succession régulière de quatrains d'octosyllabes a rimes embrassées ; pointe
finale qui rappelle celle d'un sonnet ; rythme régulier, pas de césures ni d'enjambements.
- tradition de l'éloge de la femme aimée : comparaisons entre la femme et la nature ;
multiplication de qualificatifs positifs ( beau, frais, clair) ; utilisation du motif classique des
fleurs pour suggérer le charme féminin
-le vers 16 reprend la figure du paradoxe, traditionnelle dans la poésie amoureuse (voir les sonnets de Louise Labé,
« Je vis je meurs ») : l'amour est mêle de haine, il éveille pour celui qui l'éprouve a la fois plaisir (§2) et douleur (« Folle
dont je suis affole »)
-figure du poète de l'amour courtois (« l'esprit des poètes ») ébloui par la femme
II) ...
rendue subversive et démoniaque
-la femme est à la fois glorifiée et réifiée, rabaissée : le poète la tutoie, il quitte le domaine élève des sentiments pour
rentrer dans le concret et le prosaïque (sein, flanc, lèvres) en faisant allusion a l'acte amoureux, dans lequel il domine :
il la châtie, la meurtrit, la blesse, l'empoisonne .
La dureté est rendue dans des allitérations en CH ou F par exemple a
la §8.
-ironie par rapport a la tradition de l'éloge amoureux : pluriel dénigrant des « poètes » louangeurs ; le poète utilise des
expressions imagées figurant la douleur amoureuse (la blessure au flanc, au sein) mais il les reprend littéralement, pour
leur donner un sens plus provocant .
De plus, l'acte amoureux est mêlé a l'idée d'inceste (« ma soeur ») rendu plus
frappant par la collocation venin/soeur.
-le poète prend l'image du démon : il est tente par l'idée de détruire la Nature (oeuvre de Dieu) dont la beauté
l'insupporte ; il a la figure auto-dénigrante du « lâche « mais aussi le pouvoir quasi divin de châtier.
Le mot « venin »
pour designer le sperme suggère le serpent, symbole du Diable.
III) la définition d´une nouvelle esthétique
-une nouvelle esthétique qui fait primer les rapprochements inattendus (rire et vent frais, idee que le rire « joue »)
dans une perspective qui semble presque préfigurer le surréalisme.
Le poète glorifie aussi l'artificiel : les fleurs ne
servent pas de point de comparaison pour le teint de la femme (ce qui est assez classique) mais pour ses robes, ses
parures.
-une nouvelle définition de la beauté : ce qui est classiquement admis comme beau, et dont il parle au début du
poème, laisse ensuite la place a une beauté plus intense « plus belles », mais anti-conventionnelle et crue (elle
s'applique au sexe féminin) .
Parallèlement la beauté des paysages, des robes bariolées est définie dans le titre comme
un excès, presque une faute méritant le châtiment : « trop gaie »
Le poète joue habilement et avec ironie avec un cadre classique qui est celui de l'éloge a la femme aimée : il reprend
des motifs connus mais les détourne rapidement de manière subversive, et affirme ainsi sa modernité en définissant
une esthétique qui inspirera les mouvements ultérieurs comme le surréalisme..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- CHARLES BAUDELAIRE, « L’ennemi » “ Spleen et idéal” Les Fleurs du mal (1857)
- Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal) - A celle qui est trop gaie
- Charles Baudelaire, "Paysage", Tableaux parisiens, Les Fleurs du Mal (1857)
- Charles Baudelaire : Je n'ai pas oublié, voisine de la ville... (Les Fleurs du Mal, Spleen et Idéal, LXX, 1857).
- Charles Baudelaire : La servante au grand coeur... (Les Fleurs du Mal, Spleen et Idéal, LXIX, 1857).