Beaudelaire dissertation
Publié le 12/06/2023
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«
CORRIGÉS OFFICIELS DES DEUX DERNIERS SUJETS DE DISSERTATION SUR
BAUDELAIRE A L’ÉCRIT DU BACCALAURÉAT (2021 ET 2022)
Sujet 2021 Œuvre : Baudelaire, Les Fleurs du Mal Parcours : alchimie poétique : la boue et l’or.
On a
reproché à Baudelaire de « tout peindre, de tout mettre à nu » dans son recueil Les Fleurs du Mal.
Qu’en pensez-vous ?
[Entre crochets figurent quelques références et analyses témoignant d’un travail qui aurait pu être
conduit en classe dans le cadre du parcours associé.
Par définition, ces exemples précis ne peuvent
évidemment être considérés comme attendus.]
Introduction : La citation est extraite du réquisitoire prononcé par le procureur Pinard lors du procès
intenté à Baudelaire en 1857 à la parution des Fleurs du Mal.
Baudelaire est condamné pour « offense
à la morale publique, la morale religieuse et aux bonnes mœurs » à verser 300 francs d’amende, et six
poèmes sont censurés.
Après la fin de l’audience, Baudelaire clame qu’il s’agit d’un malentendu.
Le
scandale que provoque Les Fleurs du Mal fait écho aux autres procès en réalisme qui sont intentés au
XIXe siècle à des écrivains (Flaubert accusé par le même Pinard pour Madame Bovary, Zola accusé
d’écrire une « littérature putride ») ou à des peintres (Courbet pour L’Enterrement à Ornans ou Manet
pour Olympia).
Pour traiter le sujet, il convient d’expliciter d’abord la citation : en quoi Baudelaire cherche-t-il à « tout
peindre », et pourrait-on le ranger dans une veine réaliste, voire hyperréaliste ? Au-delà, comment
pouvons-nous comprendre le second élément de l’accusation : « tout mettre à nu » ? Tenant ensuite à
distance cette accusation, et nous souvenant des enjeux du parcours associé, nous en viendrons à
montrer que le recueil des Fleurs du mal ménage une effraction de la modernité, et que Baudelaire
transfigure la réalité bien plus qu’il ne la dépeint, donné tout entier à un projet poétique singulier et
sans doute révolutionnaire.
• Les Fleurs du mal : une poésie qui ne cache rien
Une peinture du monde Certes, il serait facile de relever au fil d’un recueil ancré dans son siècle les
éléments qui pourraient apparemment l’inscrire dans une veine nettement réaliste : Baudelaire se
montre attentif à la réalité dans laquelle il vit, et considère d’ailleurs le poète comme un « peintre de
la vie moderne ».
Les poèmes de la section « Tableaux parisiens » (« Le Cygne », « Les Sept Vieillards
») sont pour lui l’occasion privilégiée de capter l’étrange et fugitive beauté de la réalité urbaine : « Le
vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel).
» Toutefois,
le regard que le poète pose sur le monde qui l’entoure s’éloigne manifestement de celui d’un copiste.
Il se détourne obstinément de toute représentation mimétique de la ville, et on le voit rarement se
laisser situer dans l’espace réel (« Quand je traversais le vieux Carrousel… », « Le Cygne »).
C’est que le
poète ne cherche pas à rivaliser avec la réalité, mais à en révéler toute la profondeur.
Sa mission, sa
vocation peut-être, à l'instar de l'haruspice antique, consiste à lire les signes de la nature, à faire advenir
le phénomène à la signification, grâce à un réseau d’images et de métaphores inédites.
En effet, son
œil n’observe pas seulement la réalité matérielle du monde : il s’empare d’objets (« Le flacon », « La
pipe »), de paysages, de moments vécus, qu’il associe à des sensations.
En ce sens, Les Fleurs du Mal
constitue bien une invitation au voyage, mais à un voyage sensoriel avant tout, sensuel,
particulièrement olfactif (« Parfum exotique », « Le balcon », « Harmonie du soir », « L’invitation au
voyage »).
Souvenons-nous de ces vers évocateurs tirés du « Parfum », deuxième sonnet de l’ensemble
« Un fantôme » : « Lecteur, as-tu quelquefois respiré / Avec ivresse et lente gourmandise / Ce grain
d'encens qui remplit une église, / Ou d'un sachet le musc invétéré ? ».
Baudelaire prend à témoin le
lecteur, l’entraînant dans le récit d’une expérience partagée, celle d’un souvenir qui parvient à revivre
dans le concret de la sensation.
Le poète est celui qui sait « l’art d’évoquer les minutes heureuses », le
« crépuscule du soir » comme celui du matin, tous les plaisirs charnels, la volupté, le vin.
[Après
Baudelaire, nombre de poètes proposeront, au XXe siècle, un voyage dans l’épaisseur du monde, sans
se contenter de le décrire, depuis les visions surréalistes jusqu’aux méditations d’un Jaccottet et aux
explorations d’Yves Bonnefoy, en passant par le travail de dissection d’un Ponge, qui a lu Supervielle.]
Une peinture de la misère des hommes Dès le poème liminaire « Au lecteur », Baudelaire annonce
la couleur de son recueil : « La sottise, l’erreur, le péché, la lésine, Occupent nos esprits et travaillent
nos corps ».
La condition humaine, placée sous le signe de « Satan Trismégiste » est marquée par
l’abjection, vouée au mal.
Le recueil se déploie ensuite comme la traversée du « chemin bourbeux »
qu’est l’existence : Paris, « fourmillante cité » ou « cité de fange » est peuplée de fantômes, de spectres
ou « démons malsains » qui s’éveillent « comme des gens d’affaire » (« Crépuscule du soir »), de
vieillards sinistres, d’assassins et de prostituées, « muses vénales », de mendiants aveugles « vraiment
affreux » (« les Aveugles »).
« Race de Caïn », l’humanité est présentée comme fautive, souillée, elle «
rampe et meur[t] misérablement » dans la fange (« Abel et Caïn »).
Cette vision singulière explique la
réception du recueil à sa parution : « L’odieux y coudoie l’ignoble, le repoussant s’y allie à l’infect, jamais
on n'assista à une semblable revue de démons, de fœtus, de diables, de chloroses, de chats et de
vermine.
Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l'esprit, à toutes les putridités du
cœur", écrit Le Figaro.
Baudelaire outrepasse donc évidemment l’exercice d’une simple peinture
réaliste : il ouvre les cœurs et fouille dans l’abject.
C’est ainsi qu’il faut comprendre l’accusation de «
tout mettre à nu ».
« La Charogne », par exemple, suit une progression qui se rapproche de plus en
plus de l’objet jusqu’au « ventre putride ».
Le poète ne capte pas seulement la réalité matérielle du
monde, il associe les sensations par un jeu de synesthésies, afin de révéler les mystères du monde.
L’objet baudelairien le plus banal ouvre ainsi sur des profondeurs : l’horloge devient un « dieu sinistre,
effrayant, impassible » qui conduit inéluctablement à la mort.
Par les réseaux métaphoriques, il entre
« comme un coup de couteau/ dans [le] cœur plaintif » des hommes (« le Vampire »), met au jour
l’ennui qui les ronge et l’hypocrisie de ses lecteurs (« Au lecteur »).
Baudelaire est bien, selon Rimbaud,
« le premier voyant », et sa naissance, évoquée dans « Bénédiction », peut se lire comme une réécriture
inversée de l’Annonciation, celle d’un prophète qui révèle au monde la douleur.
[Avec un poème
comme « J’aime l’araignée, j’aime l’ortie », Victor Hugo ouvrait la voie à une poésie « où aucun fruit
n’est défendu ».
La laideur des villes industrielles se retrouve dans Les Villes tentaculaires de Verhaeren
ou dans « Ville » de Rimbaud.
Laforgue évoque aussi une humanité horrible dans sa « Complainte du
pauvre corps humain », tandis que Lautréamont exprime un dégoût virulent de lui-même et du monde
dans Les Chants de Maldoror.]
• Les Fleurs du mal : une effraction de la modernité
Une rupture avec la conception classique de la poésie Le recueil mêle l’archaïque et le nouveau.
Ce
n’est pas que Baudelaire rejette spontanément l’Idéal classique (« J’aime le souvenir de ces époques
nues, / Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues »), mais celui-ci est désormais perçu comme hors
d’atteinte dans un monde devenu laid, et sous un ciel vide.
« Le peintre de la vie moderne » ne peut
plus peindre comme Rubens, Léonard de Vinci, Rembrandt ou Michel-Ange évoqués dans « les Phares
».
Enfant chéri des muses, le poète a perdu son auréole sacrée.
Dans Fusées, Baudelaire écrit ainsi : «
Comme je traversais le boulevard, et comme je mettais un peu de précipitation à éviter les voitures,
mon auréole s’est détachée et est tombée dans la boue du macadam ».
« L’Albatros » évoque par une
analogie la condition du poète moderne ; « Le Cygne », ironiquement dédié à Victor Hugo, pointe une
ville défigurée.
La laideur et la vilenie contemporaine se perçoivent également dans les heurts qui
viennent déranger les formes en apparence classiques des poèmes baudelairiens (par exemple, outre
le remplacement des rimes embrassées par des rimes croisées dans les quatrains, le sonnet « La Cloche
fêlée » admet de ces fêlures en effet dans le corps fluide des alexandrins, qui font sonner une « voix
affaiblie » et laissent s’installer un certain prosaïsme).....
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