BECKETT - En attendant Godot (Estragon et Vladimir)
Extrait du document
«
[Dans cette pièce, qui fut vite célèbre, Beckett a voulu exprimer l'attente indéfinie,- l'espérance sans cesse déçue,
et toutes les angoisses de la condition humaine.]
Estragon.
— En attendant essayons de converser sans nous exalter, puisque nous sommes incapables de nous taire.
Vladimir.
— C'est vrai, nous sommes intarissables.
Estragon.
— C'est pour ne pas penser.
Vladimir.
— Nous avons
des excuses.
Estragon.
— C'est pour ne pas entendre.
Vladimir.
— Nous avons nos raisons.
Estragon.
— Toutes les
voix mortes.
Vladimir.
— Ça fait un bruit d'ailes.
Estragon.
— De feuilles.
Vladimir.
— De sable.
Estragon.
— De
feuilles.
Silence
Vladimir.
— Elles parlent toutes en même temps.
Estragon.
— Chacune à part soi.
Silence
Vladimir.
— Plutôt elfes chuchotent.
Estragon.
— Elles murmurent.
Elles bruissent.
Elles murmurent.
Silence Que disent-elles ? Elles parlent de leur vie.
Il ne leur suffit pas d'avoir vécu.
Il faut qu'elles en parlent.
Il ne
leur suffit pas d'être mortes.
Ce n'est pas assez.
Silence
Ça fait comme un bruit de plumes.
De feuilles.
De cendres.
De feuilles.
Long silence Dis quelque chose.
Je cherche.
Long silence Vladimir, angoissé — Dis n'importe quoi !
Estragon.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Vladimir.
— On attend Godot.
Estragon.
— C'est vrai.
Silence
Beckett, En attendant Godot, Éditions de Minuit.
Montrez comment l'auteur réussit à intéresser le spectateur sans l'attacher à une action dramatique déterminée, et
dites quelle poésie originale se dégage du dialogue et des mots eux-mêmes.
COMMENTAIRE PROPOSÉ
INTRODUCTION
Les auteurs qu'on a groupés, à partir de 1950, sous le nom général de « Nouveau Théâtre » : Beckett, Ionesco et
Adamov, ont édifié un art dramatique original, qui, mettant sur scène dans des situations cocasses ou absurdement
tragiques, des personnages étranges et misérables, en un style parfois insolite, rejoint en fait la tradition universelle
d'un comique fondé sur la sottise et la folie des hommes, et aussi sur l'absurdité de la vie en général.
Dès le début du premier acte de En attendant Godot, deux pauvres bougres, Estragon et Vladimir, sorte de
clochards lucides et bavards, sont aux prises avec le néant de la destinée : « Rien à faire », c'est la première
réplique ! et pourtant décidés à attendre un personnage dont nous ne savons rien (« On attend Godot»)...
Au
second acte, la situation paraît inchangée, pourtant l'arbre solitaire du décor s'est couvert de feuilles : nos deux
amis ont repris leur dialogue pittoresque et dérisoire : que va-t-il leur arriver ? ou plutôt, va-t-il leur arriver quelque
chose ? Que pouvons-nous apprendre d'eux ? Quel charme, quelle poésie mystérieuse pourra nous attacher à eux ?
I.
L'ABSENCE D'ACTION DRAMATIQUE
C'est l'attente qui tient lieu ici d'action dramatique.
Il y a tout d'abord un « essai de conversation » tout à fait
raisonnable et sage (« converser sans nous exalter »).
Le spectateur, tout naturellement, se met au diapason et
essaie de suivre la conversation ; mais bientôt un lambeau de phrase coupe le fil du dialogue : «toutes les voies
mortes...
» c'est alors comme une présence mystérieuse, qu'on devine, qu'on suppose.
Le spectateur, le lecteur,
écoutent les mêmes bruits, réels ou imaginaires, que ceux de Vladimir et d'Estragon : murmures, bruissements de
feuilles, de sable, qui se transforment peu à peu en voix des morts, chuchotements de fantômes.
Chacun essaie de.
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Liens utiles
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- « Le personnage dramatique ne commence vraiment à vivre que sur scène. Les diverses interprétations qu'on peut en donner le modifient de façon sensible » de Maurice Desotes dans Les grands rôles du théatre de Racine en 1957. Je doit discuter cette affirmation en un développement organisé, s'appuyant sur des exemples précis tiré du corpus donné c'est à dire Phèdre de Racine, Hernani de Victor Hugo, En attendant Godot de Beckett et Le Roi se meurt de Ionesco.
- Beckett, En attendant Godot. I.
- Samuel Beckett (1906-1989), En attendant Godot (1953), Acte 1.