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Boris Vian, L'Ecume des jours, épilogue

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Boris Vian, L'Ecume des jours, épilogue Vraiment, dit le chat, ça ne m'intéresse pas énormément. - Tu as tort, dit la souris. Je suis encore jeune, et jusqu' au dernier moment, j'étais bien nourrie. - Mais je suis bien nourri aussi, dit le chat, et je n'ai pas du tout envie de me suicider, alors tu vois pourquoi je trouve ça anormal. - C'est que tu ne l'as pas vu, dit la souris. - Qu'est-ce qu'il fait ? demanda le chat. Il n'avait pas très envie de le savoir. Il faisait chaud et ses poils étaient tous bien élastiques. - Il est au bord de l'eau, dit la souris, il attend, et quand c'est l'heure, il va sur la planche et il s'arrête au milieu. Il regarde dans l'eau. Il voit quelque chose. - Il ne peut pas voir grand-chose, dit le chat. Un nénuphar, peut-être. - Oui, dit la souris, il attend qu'il remonte pour le tuer. - C'est idiot, dit le chat, ça ne présente aucun intérêt. - Quand l'heure est passée, continua la souris, il revient sur le bord et il regarde la photo. - Il ne mange jamais? demanda le chat. - Non, dit la souris, et il devient très faible, et je ne peux pas supporter ça. Un de ces jours, il va faire un faux pas en allant sur cette grande planche. - Qu'est-ce que ça peut te faire? demanda le chat. Il est malheureux, alors?... - Il n'est pas malheureux, dit la souris, il a de la peine. C'est ça que je ne peux pas supporter. Et puis il va tomber dans l'eau, il se penche trop. - Alors, dit le chat, si c'est comme ça, je veux bien te rendre ce service, mais je ne sais pas pourquoi je dis "si c'est comme ça", parce que je ne comprends pas du tout. - Tu es bien bon, dit la souris. - Mets ta tête dans ma gueule, dit le chat, et attends. - ça peut durer longtemps? demanda la souris. - Le temps que quelqu'un me marche sur la queue, dit le chat; il me faut un réflexe rapide. Mais je la laisserai dépasser, n'aie pas peur. La souris écarta les mâchoires du chat et fourra sa tête entre les dents aiguës. Elle la retira presque aussitôt. - Dis donc, dit-elle, tu as mangé du requin, ce matin? - Ecoute, dit le chat, si ça ne te plaît pas, tu peux t'en aller. Moi, ce truc-là, ça m'assomme. Tu te débrouilleras toute seule. Il paraissait fâché. - Ne te vexe pas, dit la souris. Elle ferma ses petits yeux noirs et replaça sa tête en position. Le chat laissa reposer avec précaution ses canines acérées sur le cou doux et gris. Les moustaches noires de la souris se mêlaient aux siennes. Il déroula sa queue touffue et la laissa traîner sur le trottoir. Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Jules l'Apostolique.

« Commentaire d’un extrait de L’écume des jours de Boris Vian Introduction : Cet extrait est tiré du dernier chapitre de L’écume des Jours de Boris Vian.

Dans ce récit, la petite souris qui a accompagné les personnages tout au long du récit veut mettre un terme à sa vie.

En effet, son « maître » Colin est très malheureux depuis la mort de sa femme Chloé et la souris ne supporte plus de le voir souffrir.

Il passe ses journées à attendre au bord de l’eau que le nénuphar remonte ; la souris sait qu’il va mourir.

Elle veut donc quitter ce monde, c’est pourquoi elle cherche à convaincre le chat de la manger. Projet de lecture : Pourquoi peut-on dire qu’il s’agit d’un dénouement surréaliste ? Quels sont les éléments qui rattachent notre extrait au mouvement surréaliste ? I Un univers surréaliste 1) Une réalité décalée La situation est surréaliste.

Pour en mesurer tous les enjeux, il faut étudier la focalisation.

Le narrateur est omniscient, il sait ce que pense les animaux : « il n’avait pas très envie de le savoir.

Il faisait chaud et ses poils étaient tous bien élastiques ».

De plus, il transcrit le discours du chat et de la souris.

Ainsi, les animaux sont personnifiés, ils se conduisent exactement comme des êtres humains mais l’étrangeté de la situation contribue à générer un climat d’angoisse caractéristique de l’écriture de Boris Vian.

Ce monde s’apparente à un univers onirique, il est digne d’un rêve.

Cette remarque prend tout son poids quand on connaît l’importance du rêve dans le mouvement surréaliste. 2) Le poids des images et symboles Les animaux nous renvoient à notre propre condition tandis que le nénuphar symbolise la mort.

Colin est à la fois fasciné à la vue du nénuphar qui évoque à la fois la mort de Chloé et la mort de Colin lui-même.

Ainsi, l’univers de Vian est à la fois décalé, drôle et angoissant.

Vian traite de façon humoristique des thèmes métaphysiques.

Ainsi, on ne peut comprendre ce texte sans prendre en compte sa dimension hautement symbolique.

Chaque élément à une signification double, un rôle dans la structure du texte, dans la progression du récit et une dimension symbolique. 3) Un dénouement surréaliste Boris Vian propose un dénouement atypique en donnant la parole à des personnages secondaires et qui plus est à des animaux.

Il ne répond pas à l’attente du lecteur qui s’interroge sur le sort de Colin.

Il détourne les codes de l’écriture romanesque pour se les approprier et proposer une fin tout a fait originale.

Si le dénouement consiste à dénouer le nœud de l’intrigue, celui-ci ne dénoue pas réellement mais relance l’intrigue : que va-t-il arriver à Colin sans élucider le mystère. Transition : Dans cet excipit de roman particulier, les personnages se lancent dans un véritable débat d’idées autour du thème du suicide. II Un dialogue qui met le suicide en débat 1) Les marques du dialogue : la théâtralisation du récit Nous pouvons relever les marques du dialogue : les tirets qui marquent les prises de parole successives malgré l’absence de guillemets.

Cette scène pourrait aisément être mise en scène au théâtre.

C’est un échange très rapide que la narration ne vient pas interrompre. 2) L’usage de la rhétorique pour convaincre La petite souris use de toutes les ressources de la rhétorique classique pour convaincre le chat de la dévorer.

Il s’agit bien d’un débat d’idées comme l’atteste la réplique de la souris « tu as tort ».

La souris justifie le suicide ; elle cherche à prouver par la raison la nécessité de la mort ce que le chat ne comprend pas.

La souris explique la situation mais le chat n’en saisit pas la portée.

Il ne perçoit pas la force symbolique du nénuphar ni le tragique de la situation.

Bien davantage il s’en moque alors que la souris cherche à lui prouver que la mort est la seule issue.

Les enjeux de ce débat sont très forts puisque c’est la valeur même de la vie qui est en cause.

L’angoisse générée par ce débat est d’autant plus forte que Vian use d’animaux pour proposer une réflexion sur l’existence. 3) L’art de la persuasion Mais la souris échoue à convaincre le chat, celui-ci ne comprend pas ses raisons.

La communication avorte.

Le chat. »

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