«CARACTÈRE» DE LA BRUYÈRE
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«CARACTÈRE» DE LA BRUYÈRE
Vous expliquerez, sous forme de commentaire composé, ce texte de la Bruyère:
Je connais Mopse d'une visite qu'il m'a rendue sans me connaître; il prie des gens qu'il ne connaît point de le mener
chez d'autres dont il n'est point connu; il écrit à des femmes qu'il connaît de vue.
II s'insinue dans un cercle de
personnes respectables, et qui ne savent quel il est, et là, sans attendre qu'on l'interroge, ni sans sentir qu'il interrompt,
il parle, et souvent, et ridiculement.
Il entre une autre fois dans une assemblée, se place qu'il se trouve, sans nulle
attention aux autres, ni à soi-même; on l'ôte d'une place destinée à un ministre, il s'assied à celle du duc et pair; il est là
précisément celui dont la multitude rit, et qui seul est grave et ne rit point.
Chassez un chien du fauteuil du roi, il grimpe
à la chaire du prédicateur; il regarde le monde indifféremment, sans embarras, sans pudeur; il n'a pas, non plus que le
sot, de quoi rougir.
Avec son personnage de « Mopse », La Bruyère veut nous montrer le ridicule du « Fâcheux », cet être insupportable et
ennuyeux qui se trouve partout et incommode les gens tout en se rendant ridicule.
Où qu'il se trouve, il est chez lui, et il
évolue en maître là où il devrait se considérer comme un intrus.
La Bruyère ne nous le décrit que par son défaut le plus
marquant, « le sans-gêne ».
Dès là première phrase il l'indique en spécifiant «sans me connaître».
Cette remarque étonne, mais ne surprend pas outre
mesure, car bien des événements peuvent nous conduire à rendre visite à des personnes que l'on ne connaissait pas
jusqu'alors.
Mais bien vite, ce personnage va apparaître sous le ridicule qu'il a lui-même forgé.
« Il prie...
» il demande avec
insistance à « des gens qu'il ne connaît point de le mener chez d'autres dont il n'est pas connu ».
Tout l'inutile, le manque de
bon sens de «Mopse» se trouvent réunis dans cette phrase.
A quoi cela lui sert-il de courir à droite et à gauche pour rendre
visite à des gens «dont il n'est pas connu»? Au lieu de se rendre utile, il importune.
Il va jusqu'à écrire à des femmes «qu'il
connaît de vue».
Ainsi, malgré son impolitesse, il va faire sa cour à des femmes qui ne lui ont jamais adressé la parole ni
peut-être accordé la moindre attention, et qui se moquent, sans nul doute, de ce ridicule personnage qui fait le paon.
Le
style est bref, haché.
Les points virgules qui séparent les trois parties de cette phrase leur donnent à chacune une
individualité.
Un lien pourtant les rassemble, la répétition du verbe connaître et l'opposition entre le premier terme : « je
connais...
», et les autres expressions : « sans me connaître...
ne connaît point..., n'est pas connu..., connaît de vue».
Cette
présentation du personnage est originale, vivante et concise ; on le voit évoluer, on le connaît sûr de lui, se trouvant bien
partout, sans politesse ni délicatesse.
On attend d'un tel homme les pires goujateries et incorrections.
Son attitude ne va
pas contrecarrer cette opinion,, mais au contraire elle va l'ancrer plus profondément dans notre esprit.
La Bruyère va donner, à présent, des exemples concrets.
« Il s'insinue.» On le voit se glisser, se faufiler au milieu de gens
bien différents de lui, et avec qui il n'a rien à faire.
Et lui, qui joint au sans-gêne l'impolitesse, va s'introduire « dans un cercle
de personnes respectables », personnes de haut rang à qui l'on doit le respect, gens d'esprit et de valeur « qui ne savent
quel il est (aujourd'hui on emploierait qui et non quel).
Il est véritablement l'intrus, l'indésirable.
Là encore, il n'est , pas
connu, et il s'en moque.
Au lieu de se conduire avec tact et bienséance, de ne pas se faire remarquer par ces gens qui lui
sont supérieurs, il va se montrer le plus odieux des convives.
«Et là» marque la transition entre les deux parties de la phrase.
C'est à présent le compte rendu de son attitude grossière qui s'oppose au terme « respectable ».
A son incorrection...
« sans
attendre qu'on l'interroge », il joint son orgueil, son manque de bon sens: « ni sans sentir qu'il interrompt...» Il est l'étranger
à tout ce qui n'est pas lui-même.
Il croit avoir de l'esprit, une conversation et une compagnie agréables, « il parle, et souvent,
et ridiculement ».
La reprise du «et» devant les deux adverbes donne l'impression d'une continuation.
Il parle sans arrêt,
sans, se rendre compte qu'il ennuie et qu'il , est ridicule : c'est un « fat ».
Cette anecdote, qui relate son manque de tact, de convenance, la sottise de sa conversation et son ridicule, est suivie d'un
autre exemple qui, lui, va nous instruire sur sa tenue dans le monde, son impolitesse, sa hardiesse.
Une fois de plus, Mopse
va se trouver dans un lieu d'où il devrait être absent, et où il n'aurait jamais dû pénétrer : « dans une assemblée ».
Et lui, qui
devrait se faire tout petit et passer inaperçu, va « sans nulle attention aux autres ni à soi-même » se donner une importance
détestable et ridicule.
Son orgueil l'aveugle et il né voit pas que les autres le désapprouvent, le blâment : « il se place où il se
trouve».
Peut-il se mettre ici? Il n'en sait rien et ne s'en préoccupe nullement.
Il tombe de mal en pis et ne s'en aperçoit pas.
« On l'ôte d'une place destinée à un ministre, il s'assied à celle du duc et pair.
» Quel aveuglement, quel:, inconséquence ! Il
commet les pires impairs, il ne sait rien du protocole, il est la risée de tous : « il est là précisément celui dont la multitude rit...
» Et attitude opposée, digne : « et qui seul est grave et ne rit point».
Son attitude est toujours opposée à celle qu'elle
devrait être.
La conclusion est ironique, sans aucun respect pour la nature humaine de ce personnage.
La Bruyère associe Mopse à un
chien, animal considéré comme sans aucun sentiment, aucune pensée à cette époque, mais comme une mécanique.
On
pardonne donc à cette bête de grimper en chaire après avoir été chassée « du fauteuil du roi ».
Et que pourrait-il faire
d'autre ? Rien ; il ne comprend pas, il ne peut pas comprendre ; aussi regarde-t-il le monde « indifféremment, sans embarras,
sans pudeur ».
Le chien ne connaît pas la gêne, ni la pudeur, sentiments bien humains ; le sot ne les connaît pas non plus,
donc Mopse ne les connaît pas : « il n'a pas de quoi rougir ».
Ainsi Mopse qui se croit intelligent, important, est rabaissé à la
qualité de sot, d'un être sans esprit, une mécanique.
Ce texte est une petite comédie : présentation du personnage avec ses défauts, ses manies, ses prétentions ; évolution de
cet homme dans la société : ses attitudes, ses pensées, ses prétentions ; enfin une conclusion peu élogieuse qui le rabaisse
à un niveau peut-être plus bas qu'il ne l'est véritablement, mais que son attitude a provoquée.
On voit évoluer autour de lui
d'autres personnages, comme ces « personnes respectables » ou « un ministre », « un duc et pair » et toute « l'assemblée »,
mais il les éclipse par ses sottises et sa vanité.
Il en est ainsi dans toutes les pièces des Caractères de La Bruyère.
Cette étude des personnages ridicules a été traitée par la comédie de Molière, mais elle sera reprise sous une couverture
presque semblable aux Caractères par Montesquieu, dans les Lettres Persanes, au début du xviiie siècle.
Le style est sérieux, mais cette gravité cache une ironie mordante de critique envers une société dont les personnages sont
souvent ridicules.
Ce passage peut être approché de celui d'Arrias, par le ridicule, la hardiesse et l'orgueil du personnage.
La
Bruyère a voulu brosser un nouveau portrait du « fat », le pire ennemi de la société..
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