Carlo Goldoni
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Carlo Goldoni
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur la vie longue et singulière de Goldoni pour découvrir aussitôt que ce "génie" du théâtre italien est de
dimensions fort réduites.
Certes, il n'a pas donné moins de deux cents pièces dont certaines sont de petits chefs-d'oeuvre, mais il n'est
ni ce Shakespeare ni ce Molière à qui des pédants mâtinés de chauvins ont inventé de le comparer, et il a suffi des attaques du comte
Carlo Gozzi pour arrêter net son abondante production.
Lassé, écoeuré, Goldoni n'hésite pas alors à abandonner Venise pour Paris, où
la Comédie Italienne lui propose du travail.
Cela se passe en 1762 et il ne disparaîtra qu'en 1793.
Durant ces trente et un ans de Paris,
il vivote, bâtissant d'abord des canevas pour les Italiens, sans réussir à sauver la troupe de la faillite, composant ensuite pour les
Comédiens Français un fade Bourru bienfaisant, rédigeant en français de longs et faciles Mémoires, mais surtout donnant des leçons
d'italien aux enfants du roi Louis XV, tout en ruminant, on peut l'imaginer, son brillant et fugitif passé.
Et il n'est pas sans signification
qu'après sa mort, l'année de la Terreur, on n'ait jamais pu retrouver ses restes afin de lui consacrer autre chose qu'un simulacre de
tombeau...
Il était né en 1707, à Venise, d'une famille aisée qui vivait dans le désordre et l'allégresse.
Sa jeunesse est celle d'un délicieux cancre,
qui passe assidûment d'une école à l'autre et débute, dès la quatorzième année, dans l'art des fugues fugues à Rimini, à Chioggia, à
Padoue, en Toscane.
Par la suite, il fait alterner de vagues études juridiques avec les amitiés théâtrales, les nuits au tripot, les
carnavals, les rendez-vous nocturnes, les dettes, les sonnets satiriques et les aventures galantes...
A trente ans, après son mariage, à
Gênes, avec Nicoletta Connio, laquelle n'a que dix-neuf ans, il décide de s'assagir.
Pendant dix ans, en effet, il exerce bourgeoisement
son métier d'avocat et puis, un jour, le hasard d'une rencontre l'arrachant à la jurisprudence, le voici le poète attitré de la troupe de
Girolamo Medebach au théâtre Sant'Angelo, puis au théâtre San Luca.
Et peut-être eût-il fini par devenir le géant comique que voudraient faire de lui les auteurs de manuels, s'il n'avait échauffé la bile
redoutable du comte Carlo Gozzi et s'il n'avait fui celle-ci en France où, après avoir été l'un des nombreux parasites de Versailles, il
sera un vieux pensionné aveugle se promenant mélancoliquement dans la rue Saint-Sauveur.
Finalement, innocente victime de la
Révolution qui lui supprime sa pension, il meurt de misère en 1793, la veille même du jour où, sur la proposition de Joseph-Marie
Chénier, on rétablissait sa petite rente...
Lorsqu'on y songe, on serait presque tenté de voir dans tout cela quelque diablerie, et peut- être la riposte de ces "masques" qu'il avait
tout fait pour réduire au silence...
De fait, le premier mérite que l'on attribue à Goldoni est celui d'avoir lutté victorieusement contre la commedia dell'arte.
A cette forme
populaire du théâtre italien qu'il jugeait à juste titre, du reste sclérosée, Goldoni, dans ses grandes années, s'efforça de substituer ce
qu'il appelle la "comédie de caractère", dont il trouve le modèle chez Molière et qui, au contraire de la "comédie à canevas", est
entièrement écrite.
C'est là sans doute un grand mérite encore que, de nos jours, on ne laisse pas de regretter la chaleur et les trouvailles poétiques de la
commedia dell'arte, et que certains aillent même, un peu abusivement, jusqu'à définir cette improvisation comme la seule vraie forme
du spectacle comique...
En tout cas, il ne s'agit là que d'une réforme technique, d'un fait de l'Histoire et de l'histoire des lettres
italiennes, et non pas d'un apport aux lettres universelles ; et d'ailleurs, cette réforme seule ne suffit pas à faire un grand écrivaind'autant qu'elle ne va pas sans une imitation parfois puérile de la manière de Molière jusque dans ses défauts : une langue pas toujours
riche, un bien maigre alexandrin que Goldoni a l'idée discutable d'introduire dans la métrique italienne, à laquelle il ne convient guère...
Dans ses Mémoires inutiles, analysant avec sa férocité coutumière l'oeuvre de son souffre douleur, Gozzi lui découvre quatre aspects :
des pièces à canevas que Goldoni a bien été obligé de fabriquer avant et après sa splendeur ; des comédies quelque peu larmoyantes,
telles celles qu'il a tirées de la Pamela de Richardson, et des ouvrages un peu trop romanesques et exotiques, à la mode du temps.
Sur
tout cela, qui comprend une bonne centaine de titres, l'aigre comte tire joyeusement un trait et ne marque de l'indulgence que pour la
quatrième manière, et la seule originale de Goldoni : ses tableaux de la vie vénitienne, en dialecte ou en italien.
Gozzi ne jugeait pas si mal que cela.
Les six ou sept incontestables chefs-d'oeuvre de Goldoni et, du reste, les quinze ou vingt pièces
que l'on peut encore lire ou voir avec agrément comptent effectivement parmi ces comédies strictement vénitiennes où l'on dirait que
le dialogue chante et danse, tant il a de naturel, de vérité, de mouvement, de jeunesse.
Peu, ou pas, de sujet à proprement parler,
mais des personnages observés avec acuité et transportés tout chauds sur la scène, rusteghi ou rustres, brontolon ou "rouspéteurs",
massère ou ménagères, amateurs de potins, aigrefins, coquettes, pédants, etc.
Tout ce qui grouillait entre altane et calli, la bonhomie
et la cocasse gravité des hommes, la malice et l'esprit d'intrigue des femmes, voilà ce qui revit d'une vie éternelle dans La Bottega del
caffé (le Café), dans le Campiello, dans Todaro brontolon (Théodore le grondeur), dans les Rusteghi (les Rustres), ou dans les
étincelantes Barattée chiozzote (les Chamailleries de Chioggia).
Oui, le dialecte de sa ville natale inspira Goldoni.
Quand il écrit en italien, cherchant à dépasser la simple mais miraculeuse couleur
locale pour atteindre une profondeur-psychologique, il s'affadit, il s'amenuise, car, encore une fois, il n'est pas Molière et il ne lui est
pas donné de créer de vrais caractères.
Mais il met parfois tant d'adresse à construire ses intrigues que certains de ses ouvrages nonvénitiens tels que la Locandiera, l'Eventail ou la trilogie de la Villégiature seraient déjà à vanter pour leur verve et leur animation si l'on
n'y retrouvait en plus, comme à travers une traduction, un reflet du soleil de la lagune et un écho de la mélodie de la Merceria et du
Grand Canal.
Le reste de son oeuvre (pièces et piécettes, comédies à canevas ou tragédies en vers, ballets et livrets d'Opéra, drames et
divertissements) est vraiment à jeter au panier, ainsi que le voulait l'irascible Gozzi...
Tel est donc Goldoni.
Rien de plus, mais, aussi, rien de moins.
Quelqu'un en somme, qui ressemble un peu à Nestroy ou à Raimund, à
ces écrivains dont l'oeuvre appartient surtout au patrimoine d'une ville, auteurs municipaux, génies locaux, clefs d'une époque et d'un
site mais quelle époque et quel site !
Goldoni ? Un petit maître, mais un grand petit maître !.
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