« Ce que le théâtre peut montrer de plus émouvant est un caractère en train de se faire, le moment du choix, de la libre décision qui engage une morale et toute une vie. Et comme il n'y a de théâtre que si l'on réalise l'unité de tous les spectateurs, il faut trouver des situations si générales qu'elles soient communes à tous. » (J.-P. Sartre). Expliquez et commentez ces réflexions en vous appuyant sur les pièces de Jean-Paul Sartre que vous connaissez.
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« Ce que le théâtre peut montrer de plus émouvant est un caractère en train de se faire, le moment du choix, de la libre décision qui
engage une morale et toute une vie.
Et comme il n\'y a de théâtre que si l\'on réalise l\'unité de tous les spectateurs, il faut trouver des
situations si générales qu\'elles soient communes à tous.
» (J.-P.
Sartre).
Expliquez et commentez ces réflexions en vous appuyant sur
les pièces de Jean-Paul Sartre que vous connaissez.
INTRODUCTION
Le succès remporté au théâtre par les oeuvres de J.-P.
Sartre a donné à ses thèmes philosophiques une audience qu'elles n'auraient
jamais rencontrée hors de la scène.
Cette « efficacité » dramatique n'est pas due au hasard, elle est le fruit de réflexions, que l'écrivain
résume en soulignant la force émouvante d'un « caractère en train de se faire » placé dans des « situations si générales qu'elles soient
communes à tous ».
Cette conception du héros et du cadre de la pièce ne renouvelle-t-elle pas la conception traditionnelle du théâtre ?
I.
« DES SITUATIONS...
GÉNÉRALES...
»
L'idée que l'homme doit toujours être envisagé « en situation » est un des thèmes favoris de la philosophie existentialiste.
Nous ne nous
étonnons donc pas de voir Sartre définir ses personnages à l'occasion des circonstances dans lesquelles ils se trouvent placés.
Situations historiques Soucieux de capter l'attention du spectateur, il transpose plus ou moins directement des événements contemporains
: c'est ainsi que Les Mains sales mettent en scène quelques militants communistes se déchirant dans la tourmente de la Seconde Guerre
mondiale ; les Résistants de Morts sans sépulture vivent une angoissante aventure que des milliers d'hommes ont connue.
Le problème
concret du racisme aux États-Unis fait le sujet de La P...
respectueuse.
Même lorsque J.-P.
Sartre semble s'éloigner de notre monde et
nous emporte au coeur de la légende antique, il donne à sa pièce l'atmosphère pesante d'un univers concentrationnaire : Argos écrasée
par la peur et le remords paralysant, dans Les Mouches, Oreste cherchant à libérer son peuple d'une servitude avilissante à laquelle il
consent, tout cela ne nous est pas étranger.
Problèmes individuels Le cadre n'occupe d'ailleurs pas toujours, dans les pièces de Sartre, des proportions si grandioses : nous voici avec
Huis Clos dans un « salon style Second Empire », et si les personnages prennent du fait de leur mort une dimension d'étrangeté, ils
restent très humains par leurs haines, leurs désespoirs, leurs tentatives se heurtant — comme celles de tous les hommes
à l'irréversibilité du temps : l'amour, l'amitié, le crime, la lâcheté, c'est le lot de ces trois personnages emmurés et il n'est pas si loin de
nous.
Mais ces situations diverses ne présentent pas d'intérêt en elles-mêmes aux yeux de Sartre.
Quelque souci qu'il ait des problèmes
contemporains, ceux-ci l'intéressent dans la mesure où l'individu s'y insère.
II.
« UN CARACTÈRE EN TRAIN DE SE FAIRE »
Aussi l'évolution des personnages placés dans une situation bien déterminée constitue-t-elle l'intérêt essentiel de chaque oeuvre.
Évolution brutale Chaque héros se trouve au début de
l'oeuvre à la veille d'un choix — qu'il pressent à peine, dont il ignore la teneur.
Il est jusque-là presque inconsistant : Oreste ne sait pas
ce qui l'attend à Argos, il cherche un poids qui puisse lester sa conscience vide : « Ah, s'écrie-t-il, comme je suis libre.
Et quelle superbe
absence que mon âme.
» Dans Les Mains sales aussi, Hugo, totalement disponible, cherche l'acte qui lui permettra de se donner la
sensation d'exister.
L'acte libre Pour tous cet acte ne va pas sans déchirement
intérieur, le cas d'Oreste est le plus limpide : il lui faut conquérir un passé pour lui-même, un avenir pour le peuple qu'il guidera.
Seul le
crime semble lui ouvrir la voie : mais ce n'est pas l'acte gratuit d'un Lafcadio, c'est un choix délibéré qu'Oreste s'impose, un choix
solidement motivé par ce qu'il pense être la justice.
Une fois le double meurtre accompli, il l'assume, le revendique comme sien, alors
qu'Électre s'effondre : elle n'a pas su tirer de sa décision une orientation qui aurait pu déterminer 'sa « morale » et sa « vie ».
Une morale qui se crée Pour Oreste au contraire c'est un nouveau départ vers une existence' « dense » : il a pris conscience de sa liberté
totale, il crie son triomphe à Jupiter désormais impuissant.
Hugo aussi, dans Les Mains sales, a trouvé sa voie : il ne sait pas très bien
pourquoi il a tué Hoederer, mais cet acte détermine son refus final ; se déclarer « récupérable » serait effacer sa réalisation de lui-même
et il reste fidèle jusqu'à la mort à son choix ambigu.
Le théâtre de J.-P.
Sartre correspond donc parfaitement à la méthode qu'il a définie.
Mais l'on peut se demander dans quelle mesure il s'agit là d'une conception neuve.
III.
PORTÉE LITTÉRAIRE
Les problèmes dramatiques ont fait l'objet, depuis Aristote, de nombreux traités.
De façon succincte, Sartre indique ici les fins que doit
selon lui se proposer le théâtre.
Souci d'efficacité Son but est d'« émouvoir » le public.
C'était déjà celui de la « catharsis » aristotélicienne, c'était aussi l'objet auquel tendait Racine comme il l'indique dans la Préface de
Bérénice : «La principale règle est de plaire et de toucher ».
L'unité Mais si les « honnêtes gens »
de tous les spectateurs devaient constituer le public idéal au XVIIe siècle, les auteurs dramatiques modernes ont de plus vastes ambitions
: il faut créer « l'unité de tous les spectateurs ».
Bien des obstacles en effet, et qui ne tiennent pas seulement à la langue, s'insinuent
entre un auditoire profane du XXe siècle et une tragédie de Racine : les personnages paraissent lointains, leurs aventures sont plus ou
moins bien comprises, les conventions sont trop difficiles à admettre.
Nous avons vu au contraire à quel point une pièce comme Les Mains
sales peut produire un effet de choc : des conditions de vie que nous avons connues ou qui nous menacent, des personnages placés en
face de problèmes concrets -- les compromissions politiques, l'obéissance aux directives d'un parti — une langue familière, triviale parfois,
toujours « parlée » et vivante : tout contribue à entretenir l'intérêt.
La tradition théâtrale Cette forme de théâtre touche donc un public d'autant plus vaste, mais le fond même du spectacle est-il modifié ?
L'émotion que suscite l'oeuvre de Sartre correspond-elle aux distinctions traditionnelles d'Aristote ? Si la terreur et la pitié, dans la
tragédie, étaient inspirées par le jeu de la fatalité écrasant l'être humain, il n'en est plus de même dans le drame sartrien : le personnage
n'arrive pas sur scène nettement individualisé, il se crée peu à peu, conquiert sa liberté et sa personnalité contre le hasard et la fatalité ;
il ne s'agit plus seulement d'un conflit de passions ou d'intérêts.
Et peut-être le dénouement inspire-t-il l'indignation plus que la terreur.
CONCLUSION
Quelque admiration que l'on porte aux oeuvres dramatiques des derniers siècles, on peut apprécier la force des pièces de Sartre :
illustrant une thèse philosophique abstraite, elles lui donnent un poids considérable et s'adaptent étroitement aux aspirations du
spectateur moderne.
On peut cependant se demander si trois siècles n'ôteraient pas à ces spectacles beaucoup plus de prestige que n'en
ont perdu les tragédies du xvile siècle..
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